Tunisie- Le nouveau costume de Ghannouchi le présidentiable

 Tunisie- Le nouveau costume de Ghannouchi  le présidentiable

Nouveaul look avec cravate rouge de Rached Ghannouchi


Ghannouchi ne pouvait pas se porter candidat aux présidentielles en 2014. Il était ostensiblement impopulaire (a-t-il cessé de l’être ?) à la suite de l’échec de la troïka, rejetée spectaculairement par l’opinion pour ses dérives et ses violences. 


Il se complaisait encore dans la djellabah du cheikh, faite pour un émir guidant ses fidèles vers la voie de Dieu, l’identifiant beaucoup plus à un ascèse vivant reclus, à un chef de congrégation coranique ou à un prédicateur machiavélique qu’à un candidat politique moderne, se présentant à une élection démocratique médiatisée. Il ne voulait même pas laisser d’autres candidats ou dirigeants d’Ennahdha postuler pour la présidence de la République. Une ligne rouge dont Hamadi Jebali en a fait les frais. Un nouveau présidentiable nahdhaoui est de nature à lui faire de l’ombre pour la suite du parcours. Prudent et viscéralement méfiant, il ne s’en démord pas.


 En ce temps-là, son parti n’a pas fait encore sa mue. Il traîne encore les séquelles du Mouvement de la Tendance Islamique. Parti prédicateur, en butte aux affres de la clandestinité et au régime autoritaire, qui n’a pas fait sa conversion politique et idéologique, même après la Révolution. Ce sera chose faite en mai 2016 au congrès du parti. Ennahdha se proclame désormais parti politique « pleinement » professionnel, spécialisé dans la politique. La prédication est seulement transférée aux associations, qui rôdent certainement autour d’Ennahdha, c’est-à-dire à la toile islamiste. Par ailleurs, la popularité ascendante de Béji Caïd Essebsi depuis la création de Nida Tounès en 2012 a fait réfléchir Ghannouchi. Réaliste, il n’ignorait pas que la troïka et les islamistes sont rejetés en bloc par les modernistes et les progressistes et que l’alternance civile était à l’ordre du jour, comme le montraient les sondages successifs. La patience est de rigueur. Il en sait quelque chose en matière de patience.


Il se pourrait même, mais rien n’est sûr à ce sujet, qu’il ait  négocié avec Essebsi à Paris sa non candidature aux présidentielles en contrepartie d’un partenariat au gouvernement en cas de victoire de Nida.


Pour les élections 2019, la conjoncture est toute autre. L’âge avancé de Béji, qui aura 93 ans en 2019, ne lui permettra raisonnablement plus de briguer de nouveau la présidence, malgré le maintien de sa popularité. Ghannouchi peut estimer que Béji est désormais une force déclinante, du moins dans la perspective des futures échéances électorales politiques. Nida, lui, n’a pas actuellement de leader politique présidentiable. D’abord, le parti est devenu dépendant d’Ennahdha, de par son infériorité numérique des sièges au parlement. Le directeur exécutif, HCE, plus impopulaire que jamais, croyant exclusivement à la fidélité politique, a fait le vide dans le parti. Il ne s’entoure plus que de personnalités sans envergure, louches, intéressées, benalistes farouches, dont certaines d’entre elles se sont adonnées dans le passé au mercenariat politique et aujourd’hui à la politique politicienne. Nida se donne en spectacle et déçoit ses sympathisants de la première heure. L’image du parti en a pris un sacré coup. HCE s’allie avec Ghannouchi pour fidéliser la majorité et le partenariat, et pour couper l’herbe sous les pieds au jeune Youssef Chahed, populaire et menaçant. Ce dernier est d’ailleurs prié par Ghannouchi en personne, de ne pas se porter candidat aux présidentielles, de rester neutre, et de ne s’occuper que de l’intendance gouvernementale, au nom d’une tâche qui lui a été confiée par l’accord de Carthage. Outre que Chahed n’a pas tout à fait la bénédiction du parti, gêné par sa popularité et par sa politique de lutte contre la corruption, qui risque de viser (et c’est déjà le cas) quelques barons du parti. Si ça tenait à Ghannouchi, le fils Essebsi constituerait sans doute l’adversaire présidentiel idéal du camp moderniste qu’il aura à affronter. Il ne cesse d’ailleurs de l’appuyer contre Chahed. Le prédicateur a toujours été plus politique que les pseudo-politiques. Ses arrière-pensées s’imposent.


Ghannouchi est, lui au moins, à la tête d’un parti majoritaire en nombre de sièges. Un parti qui, quoiqu’on en dise, est toujours discipliné et solide. Il est à l’aise dans son nouveau rôle. Il semble trouver un malin plaisir dans la déconfiture de Nida et dans la déchéance d’une classe politique moderniste, sans leadership, sans imagination et sans solutions. La nature a horreur du vide. Ghannouchi s’y croit déjà, comme Néjib Chebbi qui a fait le même constat sur le gouvernement, les partis et les leaders, pour revenir sur la scène politique avec un nouveau parti dans la perspective présidentielle.


Ghannouchi a conclu, depuis deux ans déjà, un accord avec une agence de communication étrangère et d’experts en la matière. Ses photos abondent sur les réseaux sociaux le montrant jouer au foot, manipuler son smartphone ou faisant une vidéo debout dans une cérémonie. On le voit de plus en plus dans des postures mondaines, un verre à la main avec de jolies femmes modernistes. Il fait des selfies avec tous ceux et toutes celles qui le lui demandent. Le costume présidentiel, il l’a mis dans tous les sens du terme, propre et figuré. Comme le Beaujolais non halal, le nouveau Ghannouchi 2019 est arrivé. Il ne lui reste plus qu’à enlever la barbe, glisser quelques mots en français, comme le font de plus en plus les dirigeants islamistes, et de faire une gomina pour paraître plus moderniste que les modernistes.


Ses amis le présentent comme un homme de conciliation, un démocrate, qui croit au consensus au sein de l’alliance gouvernementale, à la stabilité politique, au développement des régions, à la justice de transition, à la lutte contre la corruption, à la croissance économique. Un véritable progressiste. Il voyage beaucoup, rencontre toutes sortes de personnalités mondiales, comme à Davos. Il s’est fait Docteur honoris causa en philosophie et en civilisation islamique en juillet 2017 à l’Université islamique de Malaisie. Politique, moderniste et savant, et la boucle est bouclée. Le salafisme, qui lui « rappelait son enfance », à ses dires, est relégué au musée de l’histoire. Qu’il soit membre des frères musulmans et de l’Internationale islamiste, ami de Qaradhaoui, qu’il encourage idéologiquement la finance islamique, les jardins d’enfants et les écoles islamistes, les universités islamiques privées, ou qu’il soit le maître des mosquées (fréquentées par environ 500 000 croyants d’après un membre d’Ennahdha), ça passe. En un mot, qu’il soit favorable à une évolution sociétale islamique à reculons dans un pays moderniste, on oublie tout et on recommence. On est en démocratie et il a montré son sens des responsabilités en soutenant le gouvernement de coalition et la stabilité politique. Récemment, l’entourage nahdhaoui a même dit de lui qu’il lutté ces dernières années contre le terrorisme, comme le prouvent ses déclarations sur Daech et ses prises de position en la matière.


Un véritable costume de présidentiable. Son programme politique sera  d’ordre triptyque : le passé (le sien), le présent (la transition) et le futur (promesses célestes). Populaire ou impopulaire, il y va avec la bénédiction de Dieu le tout-puissant.


Hatem M'rad