Le congrès inespéré de Nida et de son directeur exécutif
A défaut de faire un congrès constitutif, comme il est de tradition, à l’issue de sa création en été 2012, avant toute participation électorale, Nida Tounès s’apprête à faire, tardivement, sa toilette légale, par un raccourci opportun, trois ans et demi après qu’il ait accédé au pouvoir, remporté la majorité aux législatives, donné un président au pays, et fait l’objet de plusieurs scissions.
Le directeur exécutif de NidaTounès, Hafedh Caïd Essebsi, chef non élu du parti, homme d’appareil plutôt que d’action, en quête de légitimité, vient de donner des consignes aux instances et membres du parti dans les différentes régions pour organiser (enfin) le congrès du parti. Sa décision se justifie d’abord par le report des élections municipales de décembre 2017, probablement pour le mois de mars 2018 (Le parti envisageait au départ d’organiser son congrès après les élections municipales).
Elle se justifie ensuite, à ses dires, par des sondages récents toujours favorables à Nida Tounès. Tant un sondage Emrhod Consulting rendu public le 21 septembre 2017 qu’un sondage Sigma Conseil publié par le journal « Al-Maghrib » aujourd’hui, le 22 septembre (auxquels HCE et le parti avaient sans doute eu vent avant leur publication), placent Béji Caïd Essebsi, le président-fondateur du parti, en tête dans les cotes de popularité (suivi tantôt par Youssef Chahed, tantôt par Moncef Marzouk selon le sondage; Ghannouchi étant, lui, loin derrière, entre la 7e place et la 11eplace).
Ils attribuent surtout à Nida Tounès la première position dans les intentions de vote. Ces sondages gardent, dans les deux cas, le même ordre de classement pour les outsiders(la 2e place pour Ennahdha et la 3epour le Front Populaire).
Le fils Essebsi n’est pas dépourvu de tout machiavélisme. Il est élevé à la bonne école. Ayant achevé « l’épuration » du parti (certains se sont « épurés » d’eux-mêmes), écarté toute dissidence et rébellion, rameuté quelques Rcédistes rompus à la tâche, achevé la mainmise de fait sur le parti et s’être assuré de la fluidité de l’obéissance des militants et des instances régionales, Hafedh Caïd Essebsi peut envisager la tenue du congrès du parti avec beaucoup de sérénité.
Son élection sera sans doute une simple formalité. Populaire ou pas populaire auprès de l’opinion, ce n’est son propos pour l’heure. Il ne vit depuis 2012 que pour la préservation de la « patente » et pour le pouvoir. Lui, le novice en la matière, le méconnu dans l’action politique, il n’ignore pas que le père n’est pas éternel et qu’à la longue, en cas de réussite, ce dernier ne peut que le laisser faire.
HCE s’estime en droit alors d’avancer ses pions et de remplir le vide. L’homme se présente déjà aux élections législatives partielles, pour remplacer un député nidéiste représentant la circonscription d’Allemagne, appelé à une fonction gouvernementale. Au cas où il serait élu (chose probable), il serait intéressé, d’après les rumeurs, par la présidence du parlement. Question de prendre de l’envergure, et peut-être contrecarrer la montée menaçante du chef de gouvernement (2e en cote de popularité après le président).
Pour le président Béji Caïd Essebsi, seuls les résultats et l’efficacité comptent en la matière. Il constate que son fils est en train de maîtriser les structures du parti. Il prend acte. Son fils ne constitue au fond, pour lui, qu’une des cartes politiques à jouer. Il doit en avoir plusieurs. Il a assez d’expérience pour savoir qu’il ne faut pas insulter l’avenir, que chaque chose vienne en son temps, que la vie politique est toujours pleine de surprises en démocratie, et surtout dans une transition confuse. Et pire encore, souvent, ce sont les plus pressés, ceux qui ne savent pas attendre leur heure, qui ont le plus de « chances » de déchanter.
Il n’est pas sûr que les sondages favorables aient déterminé Hafedh Caïd Essebsi et le parti à organiser ce congrès. La suprématie de Nida (toujours suivi par Ennahdha) est une des constantes de la vie politique depuis les élections législatives de 2014. Une bipolarisation de fait, de type islamo-laïque, s’est mise en place dans le système politique en dépit du scrutin proportionnel, qui pourtant, d’ordinaire, provoquel’éclatement du système partisan.
Force est de constater qu’au-delà de Nida et d’Ennahdha, c’est en effet le vide politique à l’heure présente. Pas de solution de rechange en vue, pas de personnalité d’envergure issue d’autres partis, propre à renverser le cours des choses. Les Tunisiens, par ailleurs, ou les sympathisants de Nida, ne semblent pas beaucoup soutenir les dissidents de Nida Tounès, comme l’indiquent les sondages de manière constante pour « Machrou Tounès », pour « Tounès Awalan » ou pour « Mostakbil Tounès », le parti de Tahar Ben Hassine, tous scissionnistes.
C’est peut-être le côté légitimiste des Tunisiens qui remonte à la surface, toujours épris de stabilité, même si elle donne lieu à des élucubrations, et si elle vise à cautionner un héritier dans un régime post-autoritaire. En effet, dans le sondage Sigma Conseil du 22 septembre, tous les courants dissidents de Nida se trouvent neutralisés.
Seul Machrou Tounès parvient à se classer difficilement en 7e position des intentions de vote aux législatives (mais avec 0,8% des intentions en comparaison avec Nida, le premier, qui recueille 15,8% des intentions). Les autres courants dissidents ne sont pas classés. Ce qui accrédite l’idée que Nida Tounès est plutôt une machine électorale, qui s’appuie sur les notables locaux, et qui se retrouve, dans les moments clés, seul face aux islamistes.
Il se peut que la perspective de la candidature de Hafedh Caïd Essebsi aux législatives partielles ait décidé ce dernier pour la tenue du congrès. Celui-ci doit en effet faire preuve de ses capacités électorales et s’assurer de sa légitimité, d’abord au sein du parti, avant de penser le faire pour la députation. Le congrès du parti, profitant du report des municipales, est une bénédiction inespérée.
Du coup, le puzzle se reconstitue de proche en proche, mais reste encore incomplet. Ni Béji, ni Youssef Chahed n’ont encore dit leur dernier mot, du moins pour la présidence, ou même pour le gouvernement. Mais une issue se présente pour le mal aimé de l’opinion, HCE, notamment pour la direction du parti.
La préparation méticuleuse du congrès, le choix des hommes (les siens), la tenue ou la « bonne tenue » du Congrès (pour lui), enfin son élection à la direction du parti au congrès – le parlement du parti – ont des chances de prouver son bureaucratisme partisan et d’assurer sa légitimité interne. Quant à sa cote de popularité à lui auprès de l’opinion, c’est une autre paire de manche.
Hatem M'rad