Tunisie – La politique étrangère : la grande absente des débats

 Tunisie – La politique étrangère : la grande absente des débats

ERIC LALMAND / BELGA MAG / Belga / AFP


Les journalistes, les médias et les candidats aux présidentielles parlent peu de politique étrangère, pourtant domaine réservé du président tunisien à élire. Un paradoxe étonnant.


Il est tout de même curieux de constater que durant cette élection présidentielle la politique étrangère soit absente des débats, alors même que les compétences principales du Président de la République à élire se rapportent à la diplomatie, aux relations internationales, à la défense, à la politique étrangère et à la sécurité. Ces compétences sont consciemment ou inconsciemment étouffées dans les débats et les discours des candidats par le fait des journalistes ou du fait des candidats eux-mêmes ou du désintérêt des citoyens. Un paradoxe dans un débat électoral censé être libre, pluriel, utile et transparent.


C’est vrai que ces questions sont sensibles, nécessitant beaucoup de précaution et de discrétion. Elles sont généralement entourées de mystère, en raison de leur nature délicate. C’est vrai également que la politique étrangère est souvent regardée de manière étrange. Pour tout un chacun, la politique étrangère est compliquée, difficile à saisir, éloignée des préoccupations quotidiennes et ménagères du citoyen. C’est ce qui fait que les citoyens ne se préoccupent principalement que de la politique nationale. Ils ne s’intéressent à la politique étrangère que de manière intermittente, lorsque leur pays est directement ou indirectement concerné (attentat, terrorisme, conflit diplomatique) ou lorsqu’il y a une guerre régionale ou une grave crise internationale de nature à les émouvoir.


Seule la classe politique, mieux informée, semble à même de suivre, au même titre que les experts et les stratèges, l’évolution de la politique étrangère ou des relations internationales. Bref, on fait comme si les affaires étrangères étaient vraiment, comme son nom l’indique, des « affaires étrangères » à l’opinion commune, au sens banal ou premier de l’expression. Réflexe entretenu par l’idée du « secret d’Etat » qui sous-tend ces domaines. Secret d’Etat qu’on ne peut divulguer à la masse sous peine de nuire aux intérêts majeurs du pays, même si tout n’est pas « secret d’Etat » et qu’on peut légitimement faire la part des choses.


Mais ce n’est pas une raison pour abuser le peuple et les électeurs. Les compétences internationales du président de la République ont une grande incidence sur la souveraineté, l’économie, la stabilité, la sécurité, et même sur le quotidien et le vécu des citoyens. Quand la France a décidé d’augmenter le montant des inscriptions des étudiants non européens, cette décision a touché directement les intérêts des familles tunisiennes. La sécurité des frontières, le terrorisme, les flux migratoires, les rapports de la Tunisie vis-à-vis du monde arabe, de l’UE, des Etats-Unis, la question de l’ALECA, les investissements internationaux, l’organisation des ambassades, toutes ces questions intéressent au premier chef les citoyens, et ont une incidence directe sur leur vécu quotidien. L’élaboration de la politique étrangère n’est pas spectaculaire, mais son incidence sur le terrain y est certainement, en positif ou en négatif.


La politique étrangère et la diplomatie supposent certes une part de discrétion. Mais en démocratie, le peuple a le droit de savoir. Un compromis est nécessaire entre ces deux soucis. Aujourd’hui à l’ère de la mondialisation et de l’interdépendance planétaire, il est difficile d’ignorer les ressorts de la politique étrangère du pays, tant le domaine interne et le domaine des relations internationales sont enchevêtrés. L’opinion a le droit de savoir pour pouvoir peser sur ses gouvernants.


On s’étonne de ne pas voir des débats électoraux autour des candidats aux présidentielles sur la politique étrangère, domaine réservé de droit (Constitution) du président de la République. Si on schématise, on trouve en effet que les attributions du président relèvent à 75% de ces secteurs (diplomatie, sécurité, défense), et 25% pour le reste (initiative des lois, nomination). Les candidats ne font campagne ni pour les municipales, ni pour les législatives. Il ne faut pas se tromper de cible.


Malheureusement, les journalistes, surtout des télévisions et des radios, n’insistent pas sur ce domaine international lorsqu’ils invitent des candidats aux présidentielles, de peur sans doute d’ennuyer les téléspectateurs ou de ne pas avoir assez d’audimat. Il est facile d’observer les insuffisances des journalistes en la matière, qui généralement confondent en politique internationale « information » (et pas toujours la bonne)et « savoir » (le savoir international est complexe). Les journalistes chargées parfois dans une rubrique médiatique de parler de politique internationale, glissent aussitôt, vieux réflexe de repli, vers la politique nationale, qui leur convient mieux. Dans le passage de Youssef Chahed à Attassia TV, le candidat n’a pu parler de politique étrangère, alors même que l’émission a une durée de 2h20 minutes. La question de la Libye a été abordée pour être aussitôt détournée par des bavardages journalistiques. La sécurité, la défense, la question de l’ALECA ont été expédiée d’un revers de main en une ou deux minutes. Dans la même émission, on n’a évoqué avec le candidat Néji Jelloul aucun thème international. La question des révoltes en Algérie et leur incidence sur la Tunisie, n’est généralement pas évoquée avec les différents candidats. Inversement, les élections tunisiennes intéressent au premier plan les Etats étrangers, nos voisins, l’Algérie et la Libye, même s’ils sont eux-mêmes en ébullition, le monde arabe en général, ainsi que les pays de l’UE, les Etats Unis. On n’en parle pas. L’Algérie sous Bouteflika a soutenu Essebsi, tourné le dos à Marzouki et a invité Ghannouchi à faire patte de velours et à s’insérer dans le processus démocratique et institutionnel. Et aujourd’hui ?On n’en parle pas. L’Union Européenne, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis soutiennent quels candidats aux présidentielles ?Ils doivent pourtant avoir les leurs. Mutisme.


Les journalistes préfèrent parler de l’action passée des candidats, notamment pour les anciens ministres ou les dirigeants des partis, ou des rivalités entre des dirigeants, ou faire des buzz futiles pour la galerie. Beaucoup de choses dépendent de la politique des médias, et non des candidats. On aurait souhaité entendre les candidats nous parler des méthodes qu’ils proposent pour remédier aux failles éventuelles de la diplomatie tunisienne, renouveler les méthodes de la diplomatie, les instruments de la politique étrangère, pour gérer la défense, améliorer la sécurité nationale, se prémunir contre le terrorisme, négocier les migrations, étendre la diplomatie tunisienne vers d’autres cieux. On ne parle pas non plus de la question palestinienne, de l’Iran, des pays du Golfe. Les candidats ne peuvent parler de ces questions que si les journalistes, munis de bonnes connaissances et de bonnes informations, daignent les y pousser.