Point de vue – Tunisie. Inexorables pressions diplomatiques
Les Ambassadeurs des États membres du G7 ont publié un communiqué commun à forte tonalité, risquant d’avoir des suites diplomatiques, par lequel ils recommandent à Kais Saied le retour de la Tunisie au cadre constitutionnel et à l’État de droit.
Si le président de la République pouvait, à la limite, faire la sourde oreille aux pressions internes, celles des partis, des organisations, associations, des médias et des élites, critiquant la voie anti-étatique et anti-institutionnelle qu’il a choisi d’emprunter, quitte à figer le processus politique, pouvait-il rester insensible à de fortes pressions diplomatiques et internationales, de plus en plus actives et pesantes ? On en doute fort.
En général, une pression diplomatique existe lorsque des puissances internationales s’adressent à un État en position d’« accusé », en tentant de lui faire passer un message sur un ton fort, intense, presque contraignant, quoique diplomatique, n’excluant pas la détérioration des rapports diplomatiques entre ces puissances et le pays concerné. Le ton et les propos exprimés dénotent déjà d’une certaine désapprobation des puissances et instances internationales. Il est presque dit que ces puissances peuvent en cas de non suivi de leurs recommandations quasi-exigeantes, traduire en actes ces désapprobations par divers moyens politiques, diplomatiques et économiques en leur possession.
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Trois étapes de mécontentement du G7
Il faut rappeler que la pression internationale fait généralement partie de la réalité politique et diplomatique entre les États et dans la communauté internationale. Si on remonte au début de la « crise » du 25 juillet (ou « délivrance » pour une partie des Tunisiens), ce communiqué paraît comme une troisième étape dans l’ascension des préoccupations des membres du G7 (États-Unis, Canada, Japon, France, Italie, Grande-Bretagne et Allemagne). En diplomatie, il est en effet de tradition de procéder par étapes. La première étape du mécontentement de ces puissances était leur « étonnement » et leur « surprise » (voire leur silence pour certains) dans la tournure des événements. Habitués aux crises successives depuis la révolution en 2011, sur un plan constitutionnel, politique, social et économique, ils ne pensaient pas que la Tunisie démocratique puisse subir un « coup d’État » ou un « coup de force » hors du système constitutionnel ou de l’État de droit, et puisse revenir en arrière après avoir tourné la page de la dictature. La deuxième étape consistait pour les membres du G7 à envoyer sur place des responsables politiques de second rang ou des délégations de députés et sénateurs pour rencontrer le président Saied et s’enquérir directement de la situation. Ayant observé que le président est résolu, obstiné et peu apte au dialogue et aux concessions, ils passent à la troisième étape, c’est celle du communiqué du 6 septembre. Un communiqué ressemblant par certains côtés aux communiqués et déclarations qu’on lit à la veille des conflits diplomatiques, tensions internationales ou grandes résolutions diplomatiques. Nul besoin d’ajouter que, dans le cadre de cette logique diplomatico-politique, la quatrième ou les prochaines étapes risquent d’être encore plus alarmantes dans les rapports entre les membres du G7 et la Tunisie et pourront donner lieu à des décisions prises (peut-être en commun) par des responsables politiques de haut rang, comme les chefs d’État et les chefs de gouvernement des G7. Cela n’est pas exclu, malgré les bonnes relations historiques de la Tunisie avec ces pays et les conventions liant les uns aux autres.
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Contenu du communiqué
À lire le communiqué des ambassadeurs du G7 réclamant le retour de la Tunisie (de Kais Saied) à la démocratie et l’État de droit prévalant antérieurement, avant le déclenchement des mesures exceptionnelles du 25 juillet dernier, on constate que les exigences sont à peine feutrées quant aux propos employés. Le premier paragraphe, une entrée en matière, réaffirme les engagements des membres du G7 à collaborer avec la Tunisie à travers des partenariats économiques et des alliances politiques, pour peu que la Tunisie assure une gouvernance « honnête, efficace et transparente ». Le deuxième paragraphe « recommande » le retour à l’ordre constitutionnel. Et le terme « recommande » ici est loin d’être dans le style des recommandations habituelles. Il fait plus que recommander, parce qu’il s’agit d’une chose grave et sérieuse, sur laquelle les membres du G7, pays démocratiques, ne semblent pas transiger, du moins vis-à-vis d’un pays qui a déjà, suite à une révolution, opté pour la démocratie, et avec lequel, on a commencé à le traiter en tant que tel. D’où l’exigence de « retour à un cadre constitutionnel dans lequel le parlement élu joue un rôle significatif ». Le parlement « élu » symbolise la démocratie, sa suspension est alors inacceptable ; et la désignation, dans le même paragraphe, d’« un nouveau chef de gouvernement, pour former un gouvernement », qui soit apte à gérer la crise économique et sanitaire, « et de créer un espace inclusif de dialogue sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées » devient pressante. Face aux agitations et aux troubles de la région (migration, coronavirus, terrorisme), la démocratie tunisienne impliquant même des islamistes élus, est pour eux un facteur de stabilité méditerranéenne. Pour les membres du G7, il ne peut, à l’évidence, y avoir de dialogue politique entre les partis et la société civile sur des réformes fondamentales, ni de consensus possible avec un président décidant seul et confisquant à titre exceptionnel, tous les pouvoirs de l’État, en prenant beaucoup de liberté avec les textes constitutionnels. Le dialogue implique la collaboration de tous les acteurs et groupes sociaux dans le cadre des institutions de base : parlement et gouvernement.
Le troisième et dernier paragraphe du communiqué montre la véritable nature de la « recommandation ». Il est dit : « Nous appelons à un engagement public continu en faveur -et au respect- des droits politiques, sociaux et économiques de tous les Tunisiens, ainsi que de l’État de droit ». Mieux encore, la menace est clairement temporalisée, « Plus tôt le Président Kais Saied indiquera une direction claire pour l’avenir (feuille de route)…, plus tôt la Tunisie pourra se concentrer sur la réponse aux défis économiques, sanitaires et sociaux ». Pour conclure, le communiqué mentionne le but et la nature des relations avec la Tunisie, « Le Groupe des Sept reste attaché à ce que les valeurs démocratiques partagées restent centrales dans nos futures relations ». La démocratie est une valeur sur laquelle ils ne sont pas prêts à transiger, du moins vis-à-vis d’un nouveau converti qui a fait une révolution pour chasser un dictateur et qu’on a aidé jusque-là parce qu’il a entamé un processus de démocratisation, aussi entaché soit-il. La pression diplomatique est ainsi réelle, contenant des conséquences non moins réelles pesant sur le seul président de la République, auteur des mesures exceptionnelles.
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La collaboration a ses exigences
Le Groupe des 7 est ainsi prédisposé à collaborer avec la Tunisie, mais leur condition sur les valeurs démocratiques et l’État de droit est non négociable et indiscutable. La démocratie institutionnelle est la seule base de discussion et de dialogue, permettant à toutes les opinions de cohabiter. Le vide politique ne préjuge rien de bon, ni la persécution approximative des élus et autres personnes, quels que soient leurs abus. Surtout dans un pays où les populations sont encore habitées et euphorisées par l’esprit de la révolution, devenu esprit de châtiment.
Le message est clair pour Kais Saied. On ne fait pas la politique tout seul, mais avec des partenaires, à l’échelle interne, comme sur le plan diplomatique, notamment dans un monde globalisant, rétréci par les réseaux sociaux et internet. Les partenaires internationaux, appuis traditionnels de la Tunisie, liés avec elle par des conventions multiples, estiment avoir droit au chapitre sur l’évolution du pays dans le respect des souverainetés nationales. Kadhafi était isolé politiquement sur la scène mondiale à cause de ses voltefaces et décisions intempestives et anarchiques, Saddam était entêté, ignorant les rapports de force, et bien d’autres encore. Ils ont mal fini leurs « carrières ». La politique se situe dans un environnement interne et international. Lorsque cet environnement devient hostile, le dirigeant au pouvoir, quelle que soit sa force, n’a plus les moyens de son action et de sa politique. Il isole son pays, alors même que la Tunisie est un pays de tradition méditerranéenne, ouverte et pragmatique, qui ne survit pas à l’exclusion et l’isolement.
Les diktats de Saïed peuvent paraître héroïques pour ses jeunes fans, ils ne trouveront pas d’écho à l’échelle internationale. On ne lui passera rien. On le lui fera savoir en temps voulu. Les moyens en leur possession sont multiples : ils peuvent isoler la Tunisie, ne plus l’inviter, ne viendront plus la voir, ne l’aideront plus s’ils y sont sollicités, ne la soutiendront plus dans les instances internationales. On n’a aucune peine à imaginer la dépendance ou l’impuissance de la Tunisie, à une période de grave crise économique où, endettée jusqu’au coup, elle est très dépendante de la Banque mondiale et du FMI, sous l’influence des membres du G7, notamment pour payer ses fonctionnaires. L’Union européenne peut encore entrer en scène au nom du respect de la clause de conditionnalité démocratique, incluse dans ses accords avec la Tunisie, et réduire ses aides financières. Il est alors à craindre que la Tunisie et ses intérêts fondamentaux pâtissent sur le plan international de l’ordre politique d’un seul.
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