Tunisie – Imploration de Dieu et Football professionnel
C’est une mentalité générale du monde arabo-musulman. Dieu avant la science et la technique. L’effort est remplacé par l’invocation répétée de Dieu. Force est de reconnaître que durant cette Coupe du monde, Dieu ne sera d’aucun secours aux sunnites tunisiens, égyptiens, marocains, ni aux wahabites saoudiens…
C’est ainsi, le football, comme le sport en général, est devenu lui aussi une science presqu’exacte. Il évolue de manière aussi rapide que la science. Rationalité, technique, logistique, équipement, ressources financières, structure des stades, stratégie, encadrement psychologique spécifique, compétence du staff technique et médical, gestion administrative des fédérations. Tout est lié. Les joueurs de haut niveau font de plus en plus d’effort, mais la science les accompagne partout, à l’entraînement, dans leur hygiène, leur santé, leur préparation des matchs. Le test-effort des joueurs est calculé scientifiquement, sur ordinateur, avec des courbes, paraboles et techniques de suivi, jusqu’à ce qu’on arrive à la performance souhaitée.
L’imploration de la sorcellerie pour les joueurs africains ou de Dieu pour les joueurs arabes et musulmans n’y changera rien. Les joueurs tunisiens et leur coach Nabil Maâloul sont devenus dans cette Coupe du monde en Russie, et à juste titre d’ailleurs, la risée des Tunisiens dans les réseaux sociaux. On a vu des vidéos montrant les joueurs au vestiaire faire des implorations divines insistantes avant leur match, comme s’ils étaient à la mosquée ou en pèlerinage, et des photos montrant les joueurs lire le Coran dans l’avion les menant en Russie. Jamais on n’a vu une telle théocratisation du football en Tunisie.
La génération mythique de la Coupe du monde de 1978, qui, encore amateur à l’époque, a gagné le Mexique, fait un match nul avec l’Allemagne de Beckenbauer et perdu un match contre la Pologne, sans imploration divine, sans coran et sans prière. Jamais la Tunisie n’a fait autant depuis.
L’image de Nabil Maâloul, pourtant bon technicien, qui aime se donner les apparences d’un homme pieux en toute circonstance, qui invoque Dieu ou des versets coraniques à chaque entretien ou conférence, qui n’a pas contraint ses joueurs à rompre le jeûne (comme l’ont fait plusieurs coachs exigeants), et surtout qui cherche à plaire au petit Qatar salafiste, où il est employé comme consultant à la chaîne Al-Jazira depuis deux décennies au moins, et à laquelle il a plusieurs fois prêté allégeance, rabaisse du coup l’image et l’identité de la Tunisie elle-même, son employeur du jour.
Les Tunisiens ont déjà vu en 2012 qu’un des plus grands joueurs qu’a connu le pays et ancien ballon d’or d’Afrique, Tarak Dhiab, devenir ministre des sports du gouvernement islamiste, tout en sympathisant étroitement avec eux. Aujourd’hui, ils ont Nabil Maâloul, le coach de l’équipe nationale. Tous les deux sont, comme par hasard, des consultants de la chaine qatarie. Tous les deux veulent forcer le sport à faire « bon ménage » avec l’islam.
Force est de reconnaître que Dieu, les prières, le Coran ne seront d’aucun secours aux joueurs tunisiens durant cette Coupe du monde, qu’ils soient en avion, au vestiaire ou en conférence d’avant match, ou à plus forte raison sur le terrain. Le faible a besoin de faire jouer ses procédés fétichistes contre le fort. Le professionnalisme s’apprend par la science, la rigueur, comme par la gestion de l’effort. L’imploration de Dieu est une solution de facilité pour celui qui n’a ni les moyens, ni le professionnalisme, ni les qualités requises pour forcer la chance.
C’est une mentalité générale du monde arabo-musulman. Dieu avant la science et la technique. L’effort est remplacé par l’invocation répétée de Dieu.
Le Dieu des musulmans n’a pu donner un coup de pouce à l’Egyptien Mohamed Salah qui joue pourtant à Liverpool, ni au défenseur marocain Ben Attia qui joue au Juventus, ni au Tunisien Wahbi Khazri le joueur de la Premier League et de Rennes. Il n’a pas tenu compte des joueurs pieux et barbus arabes et musulmans : ni aux sunnites tunisiens, égyptiens, marocains, ni aux wahabites saoudiens, ni aux chiites encore iraniens, même si certains de ces joueurs font une carrière très respectable en Europe.
La science et le savoir ont fait les grandes nations, ils font aussi le grand football, les grands coachs et les grands footballeurs. Ne parlons pas des Brésiliens, et même des Argentins, nés déjà avec la divinité footballistique. Il y a dans le monde développé et surtout en Europe beaucoup de joueurs issus de milieux pauvres et de quartiers déshérités, mais qui ont intégré des académies professionnelles de football. La science et les techniques de gestion de l’effort ont fait le reste, leur donnant savoir technique, habileté, précision, tous facteurs de confiance, même s’ils n’étaient pas à la base des joueurs forcément doués.
Sans rationalité, science, technique, discipline, professionnalisme, les joueurs arabo-musulmans continueront de trembler en attaque face au but ou en défense face aux attaquants des grandes nations de football. Ils sont convaincus dans leur esprit qu’ils représentent des peuples opprimés du sud, alors le Dieu des musulmans saura reconnaître les siens au cours d’un match de Coupe du monde, même contre les grands. Dieu est juste. Mais la Coupe du monde, la plus grande et la plus longue compétition mondiale de football, n’est pas injuste. Elle sourit d’habitude aux plus méritants, aux plus valeureux, aux professionnels de haut niveau, qui savent forcer la chance.
Alors même qu’ils sont menés par un ou deux buts, les joueurs tunisiens continuent, comme dans les précédents Coupes du monde, à subir le jeu et se planquer en défense de peur de subir un échec spectaculaire. Attendre pendant quatre ans la Coupe du monde pour, en définitive, se réfugier en défense, montre que l’équipe n’est pas bien préparée et qu’elle affronte ses matchs la peur au ventre. N’est pas la squadra azzurra qui veut pour faire de la défense un fonds de commerce, voire un métier.
Dieu ne peut aider les joueurs des pays arabes et musulmans quand ils se retrouvent face à l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Belgique, l’Angleterre, le Brésil, l’Argentine, l’Italie. La Coupe du monde est toujours révélatrice de la qualité et de la faiblesse des équipes, elle récompense les plus méritants, pas les plus croyants ou les adorateurs de Dieu.
Inversement, face aux sélections arabes, les pays développés, pétris tantôt de bons joueurs, tantôt de joueurs disciplinés, arrivent aisément à faire la différence, quand bien même ils sont en méforme. Ils sont puissants et athlétiques (la virilité des joueurs musulmans et arabes en prend un coup), ils ont acquis un bagage technique et footballistique supérieur (cela se voit dans les entretiens avec les joueurs de ces pays), et ils font confiance à la science et aux statistiques (le football n’est plus seulement art et technique).
Bien sûr la religiosité, la piété ou la superstition existent bel et bien dans le monde du football, chez les joueurs, comme chez les staffs techniques des pays développés. Mais elle est réduite au strict minimum, comme l’attestent les petits signes et rites des joueurs à leur entrée sur le terrain, et même de leurs coachs. Mais, il n’y a ni exagération, ni interférence du religieux aux différentes étapes de préparation d’un match. Seul le professionnalisme l’emporte sur le terrain à l’heure de vérité.
Dans les civilisations primitives, on implorait Dieu pour qu’il déclenche la pluie, fût-ce en sacrifiant un membre du groupe ; dans l’Antiquité, on implorait les divinités avant le déclenchement d’une guerre, avec des rites et offrandes, pour qu’ils assurent la victoire militaire contre l’ennemi ; au XXIe siècle, à l’ère d’internet et du numérique, le coach et les joueurs tunisiens, ainsi que ceux d’autres pays arabes et musulmans, sollicitent abondamment leur Dieu pour qu’il sanctionne la bonne préparation, le génie, la puissance et le talent de leurs adversaires et faire valoir leur propre impréparation, amateurisme, indiscipline et naïveté.
La sagesse populaire voit juste. Les chrétiens disent « aide-toi, le ciel t’aidera ». Les musulmans disent « Alikom al Harka, âala Rabbi al Barka ». Exactement la même chose. Mais, surtout pas l’inverse.
Hatem M'rad