Point de vue – Tunisie. Gouverner, c’est écouter

 Point de vue – Tunisie. Gouverner, c’est écouter

AFP PHOTO / QUIRINALE PRESS OFFICE

Le pouvoir politique a intérêt à écouter les vœux de la population au risque de ne plus être écouté lui-même. C’est ce qui se passe sous nos yeux en Tunisie.

Gouverner, c’est décider, certes. Mais gouverner, c’est aussi écouter, comprendre, coopérer et concéder. Écoute et compromis, faut-il le rappeler, ne sont ni aveu de faiblesse ni facteur d’indécision, mais un mode de contournement des obstacles, parfois dirimants, pour mieux agir et mieux guérir. Autrement, on ne gouvernerait plus pour le peuple et par le peuple, mais contre le peuple, désormais simple subterfuge d’une ambition démesurée qui le dépasse.

Ce qui est d’ailleurs formidable en politique, c’est qu’on ne gouverne vraiment et on n’acquiert vraiment du pouvoir, c’est-à-dire un pouvoir qui soit accepté et légitime tout en étant efficace, que lorsqu’on se met à l’écoute de la population, lorsqu’on fait des accords avec la société et des concessions raisonnables face à des revendications légitimes des différentes catégories sociales. Gabriel Attal, un jeunot politique de 34 ans, qui a fait ses études dans une Ecole de science politique, qui n’ignore pas ce que l’action politique veut dire, qui a été à la fois élu, conseiller municipal, député, membre de cabinet, secrétaire d’Etat, ministre, et mieux encore, qui a acquis plus d’expérience en dix ans que des septuagénaires ou gérontocrates parvenus tardivement à la politique, est parvenu en l’espace de quelques jours, après sa désignation comme Premier ministre, à régler un problème social crucial en aspirant la colère des agriculteurs de toute la France, bloquant les routes et les entrées des grandes villes (avec l’appui de son mentor, connu pourtant pour son entêtement). Reculer pour mieux agir, écouter pour mieux convaincre est un des ressorts de l’art politique, considéré comme « l’art du possible », c’est-à-dire l’art du mieux faire sans jamais trop faire, ou sans chercher à défaire.

 

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Les esprits obtus, amateurs de « l’art » du fixisme, considérant anachroniquement leurs citoyens, non comme des fins, comme le recommandait Kant, mais comme des moyens, de simples outils de gouvernement, un peu comme à l’époque califale et sultanesque ou comme à l’époque du pouvoir patrimonial des monarchies absolues, et qui n’arrivent, de surcroît, à résoudre aucun problème social, politique ou économique majeur dans le pays, mériteraient-ils encore d’exercer une charge politique ayant par essence une visée collective? Ne devraient-ils pas se persuader que la politique est un métier et non des états d’âme interminablement capricieux ?

 

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Gouverner, c’est écouter, parce que gouverner c’est faire adhérer au lieu d’exclure. C’est pourquoi, il est important en politique de distinguer entre le pouvoir et l’autorité. Le pouvoir n’est en effet pas l’autorité. Le propre de l’autorité est de ne s’exercer que sur ceux qui l’acceptent volontiers et qui y adhèrent. Elle est alors la faculté d’entraîner le consentement d’autrui. Le pouvoir n’existe alors plus que, négativement, pour contraindre les récalcitrants libres, ceux qui ne veulent pas adhérer à l’autorité, parce que, justement, ils considèrent que le pouvoir a perdu son autorité. Le pire des Etats est alors celui dont les dirigeants n’ont plus assez d’autorité pour être suivis librement, mais ils ont encore beaucoup de pouvoir pour contraindre arbitrairement leurs citoyens à aller dans un sens qu’ils ne souhaitent résolument pas.

Un pouvoir qui n’est pas à l’écoute des citoyens, qui n’écoute qu’une partie de la population contre une autre, qui a plutôt tendance à s’écouter parler, en se délectant de sa propre rhétorique, glisse irrémédiablement vers le gouvernement par la minorité, qui n’est plus « gouvernement » du tout.

 

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En somme, un pouvoir qui n’écoute pas la population dans son ensemble finit par ne plus être lui-même écouté. En Tunisie, les consultations artificielles proposées aux électeurs-sujets par le détenteur du 25 juillet n’attirent plus la foule. Pire, sous Saïed, la participation électorale ne parvient plus à dépasser le seuil de 10-12% des suffrages, comme la dernière en date, celle du second tour des élections des représentants districts et des régions. Une élection, comme tant d’autres, non comprise par la population, qui n’en voit ni la nécessité ni l’utilité, ni même la légitimité (vacillante dans les faits) et qui fait double emploi avec les élections municipales.

 

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Cette élection par la base n’a pas de base du tout. Un château de cartes risquant de s’écrouler à la moindre faille. Au moins, les élections municipales de 2018 ont mieux mobilisé l’opinion lors de la campagne électorale par la liberté de ton, les échanges et les rivalités entre candidats, puis ont mobilisé le corps électoral avec 35,65% de suffrages. Dimanche dernier, la Tunisie, semblait organiser non pas un jour de fête électorale, mais un jour de deuil politique, tant la démobilisation était totale sur le projet d’un gouvernant sans écoute. Deuil du débat public (ravalé à un niveau jamais atteint), deuil de la mobilisation électorale (institutionnalisation d’un silence électoral d’une autre nature), deuil de la démocratie (dissimulée sous un autoritarisme électoral de type procédural), deuil des partis politiques (dont il faut admettre qu’ils sont les véritables acteurs de la mobilisation démocratique). Et finalement, deuil des résultats électoraux eux-mêmes (le peuple s’est avéré non-peuple, et le non-peuple a acquis son titre de véritable peuple).

Gouverner, c’est écouter, parce que le pouvoir s’exerce normalement sur une société aspirant à un vouloir-vivre collectif en dépit de l’hétérogénéité naturelle, de la diversité et des conflits légitimes.

 

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