Point de vue – Tunisie. Education politique
La formation politique méthodique reste une des premières garanties des citoyens contre le cafouillage, l’émotivité, l’immodération, l’abus et l’improvisation des gouvernants.
Nul ne disconviendra que l’éducation est le sel de la vie, facteur d’adaptation et de socialisation. Elle est le commencement des commencements. On éduque les enfants et les jeunes par étapes, à l’école, au lycée et aux universités, pour apprendre à maîtriser les ressorts de la vie en communauté, à improviser au milieu des contraintes sociales, à résoudre les difficultés de la vie en société. Particulièrement à l’Université, l’étudiant est censé recevoir un savoir scientifique, doublé d’une formation professionnelle à même de le destiner à un métier. Aucune profession, aucun métier n’y échappe en principe. Pas même les hommes politiques dont l’éducation professionnelle est même plus impérieuse que pour les autres métiers, en raison des fâcheuses conséquences pouvant résulter de l’action (ou de l’inaction) politique, et aussi des responsabilités collectives qui pèsent sur les dirigeants politiques. Comment faire alors pour sortir du cercle vicieux du « phénomène » de l’amateurisme politique, un « phénomène » récurrent et pervers en Tunisie, notamment par ses effets.
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Essayons de comparer la politique avec un sport très prisé et très populaire dont l’impact est, comme pour la politique, aussi spectaculaire qu’envahissant : le football. Il est bon de voir comment dans ce domaine, on procède à la formation des joueurs et à l’optimisation de leur formation. Comment faire, quand un club de football ordinaire n’a ni les moyens financiers des grands clubs européens ni des joueurs aussi talentueux que les Brésiliens et Argentins ? Comment permettre à un pays ayant des équipes, un championnat et des moyens limités, d’investir dans la formation d’un joueur, pour le rendre compétitif et rentable, puis de pouvoir le vendre à bon prix à l’étranger, escomptant ainsi des retours d’investissements rentables pour les caisses des clubs et de les faire répercuter sur la qualité de la sélection nationale ? La France l’a fait : développer des centres de formation rationalisés, sur la base de critères techniques et scientifiques. Il est vrai que certains centres de ce type existaient un peu en Angleterre. La France les a créés, avec beaucoup de méthode, de rigueur et de discipline. On a obligé depuis quelques décennies tous les clubs professionnels de posséder un centre de formation, sous peine de perdre leur statut professionnel (37 centres actuellement). Une grille annuelle de performance de ces centres est publiée par la Fédération de football, à travers un classement des centres de formation sur la base de critères rigoureux. La finalité de la Fédération française est de parvenir à avoir des joueurs satisfaisant trois paramètres : précision, vitesse et puissance. Du coup, la formation de base est devenue performante et rentable. La France exporte ses meilleurs joueurs, qui deviennent eux-mêmes des joueurs chers, compétitifs, explosifs, voire des stars de niveau mondial. Cette politique a même permis à long terme à la sélection française de remporter plusieurs titres (Coupe du monde, Coupe d’Europe) et de devenir une nation hautement compétitive en football.
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Comment faire, d’un autre côté, en politique, quand le pluralisme démocratique nécessite la formation d’une classe politique éclairée, compétente et professionnelle ? Du moins, comment faire pour donner de meilleures chances de gouvernabilité à des hommes (politiques), leur permettant d’être efficaces, de savoir manier l’autorité, en comprendre les règles dans le respect des mœurs démocratiques, des droits et libertés des citoyens ? Comment faire quand la classe politique n’a pas une formation politique spécifique et s’est, pour la plupart, formée sur le tas, par le seul militantisme de terrain, souvent dans l’improvisation chaotique (le militantisme est nécessaire, mais pas suffisant) ? Comment faire pour accompagner la formation de jeunes ambitieux, ayant quelques prédispositions à l’exercice politique, désireux de poursuivre une formation politique, mais qui ne trouvent pas de structure académique appropriée, chose contribuant à leur désenchantement ? Dès l’Antiquité, les Grecs s’y sont prononcés sur le plan philosophique. Platon et Aristote ont fait de l’éducation politique un des ressorts de la quête de Justice et du Bien, les finalités politiques de l’époque, notamment dans leurs écrits. Ce sont les « sages » ou les « philosophes » qui doivent gouverner pour Platon. Ils savent ce que « vertu » politique veut dire. Ce sont les hommes éduqués à la politique qui ont les meilleures chances d’exercer la politique par la raison (en principe) et avec « modération ». Ils ont supposé, tout comme les philosophes contemporains, raisonnablement réalistes (comme V. Pareto, M. Weber, E. Weil, R. Aron), que l’action politique est simultanément art et éducation. N’importe qui, sans savoir la politique de base, ni expérience suffisante, ne peut s’improviser dirigeant politique ni maitriser d’un coup les contraintes et les complexités de la politique.
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Comment procède-t-on en pratique ? On crée d’ordinaire une formation appropriée dans des départements autonomes de science politique ou dans des facultés et instituts de science politique. Il faut savoir que l’Université de Leyde aux Pays-Bas a commencé à enseigner officiellement la science politique dès 1613, tout comme l’Université d’Uppsala en Suède en 1622. Aux Etats-Unis, la science politique a commencé à faire l’objet d’un enseignement spécifique à la fin du XIXe siècle (Columbia, Cornell, Hopkins). C’est le cas au même siècle en France (FNSP), en Angleterre (London School of Economics and Political Science). Mais, ce ne sont toujours pas les diplômés de science politique qui ont d’abord exercé le métier politique. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, Max Weber disait que c’étaient les avocats et les juristes qui étaient les mieux armés pour l’exercice de la fonction politique, en raison de leur maîtrise de la rhétorique, à une époque où la politique relevait strictement du travail parlementaire et exigeait des orateurs confirmés pour la discussion. Aujourd’hui, les avocats survivent certes encore en politique, mais le professionnalisme politique a débordé le seul talent oratoire. Il exige aussi la maîtrise des techniques de gestion, de management, des politiques publiques, de planification budgétaire, de communication, de sondages, d’environnement, d’économie politique, outre les thèmes politiques classiques comme la philosophie politique, la sociologie électorale, l’histoire politique ou la politique étrangère. Il exige aussi, bien sûr, le militantisme politique, partisan, associatif ou syndical. Un enseignement politique professionnel dans des établissements spécialisés en sciences politiques, à caractère multidisciplinaire, ouvert sur les sciences sociales, serait approprié pour notre époque. Et c’est déjà le cas un peu partout dans le monde.
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En Tunisie, le constat est amer. En l’absence d’établissements supérieurs spécifiques de science politique, l’improvisation est de règle dans ce domaine. Tout le monde fait de la politique, tout le monde fait de l’analyse politique, sauf les premiers intéressés, issus d’une formation de science politique. Après la révolution, et pire, après le 25 juillet, les hommes politiques tunisiens, pour la plupart, ne sont plus issus ni d’une formation de science politique, ni de la praxis politique. Nul ne s’étonne de voir un président de République élu, puis auteur de coup d’Etat, alors qu’il n’a jamais fait de politique; une cheffe de gouvernement novice, perdue en politique dans un monde qui lui est complètement étranger; des membres du gouvernement qui n’ont jamais fait de politique, et impressionnables par la figure de l’autocrate ; une majorité de nouveaux députés, tout jeunes, qui, visiblement ont tout à apprendre de la politique.
Cela s’appelle la République des amateurs non éclairés politiquement. Le savoir technocratique des gouvernants ne prédispose pas à lui seul à la politique, ni le militantisme. C’est « La » politique qui permet d’assimiler « Le » politique. Le pire, c’est que non seulement ils gouvernent mal, l’un par des idées fixistes, l’émotion et le revanchisme, l’autre par la servitude irresponsable et peu politique, les autres députés attendent de recevoir leurs instructions du chef de l’exécutif. Tout ce beau monde tient le destin collectif de la nation entre ses mains.