Point de vue – Tunisie. Comment chercher la popularité en l’absence de liberté ?

 Point de vue – Tunisie. Comment chercher la popularité en l’absence de liberté ?

Des partisans tunisiens du président Kais Saied descendent dans la rue en solidarité avec lui lors des manifestations de l’opposition dans la capitale Tunis, le 14 janvier 2023. Le slogan en arabe sur la pancarte se lit comme suit : « Le peuple veut Kais Saied ». FETHI BELAID / AFP

« Popularité » et « impopularité » sont des termes malmenés, qui n’ont plus beaucoup de sens dans un système autoritaire qui a du mal à jouer sur les deux registres.

 

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Il est normal qu’un pouvoir politique légitime et démocrate cherche la popularité, au-delà de son élection. Il ne suffit pas d’être en effet élu démocratiquement ou d’être un représentant légitime de la nation, encore faut-il qu’il tente de se rapprocher de la population pour élargir sa base électorale ou rendre des comptes à la nation, notamment s’il n’est plus rééligible. Mais, on peut se demander comment les autocrates peu légitimes, entretiennent leur popularité, en l’absence d’élections démocratiques plurielles et disputées, de libertés, de contre-pouvoirs et sans débat libre ? Comment perçoivent-ils au fond d’eux-mêmes la question de leur popularité, alors que, comme c’est le cas de Saïed, toutes les consultations et élections successives organisées depuis le coup de force du 25 juillet, ont consacré un abstentionnisme historiquement et spectaculairement élevé, faisant douter de la popularité même du président Saïed, à supposer qu’il en bénéficiait réellement lors des élections de 2019 ?

Cloîtré dans sa tour d’ivoire carthagienne, le président tunisien se borne à chercher la popularité à coup de dénonciation de type populiste, à l’adresse surtout de ses partisans dans les zones déshéritées, rurales et urbaines, condamnés à ne croire qu’à ce qu’ils voient spectaculairement et médiatiquement, qui ne demandent d’ailleurs pas à être convaincus par des démonstrations politiques savantes ou des discours pertinents de leurs gouvernants. Le voyeurisme politique leur suffit en l’absence de culture politique.

 

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Les dénonciations du président se font en général de trois manières : d’abord, par des déclarations incendiaires du président à la suite d’entrevues avec ses ministres ou collaborateurs au palais de Carthage, diffusées par la chaine nationale al-Wataniyya, dans lesquelles il dénonce la corruption, règle ses comptes avec toutes sortes d’adversaires, politiques, hommes d’affaires, corps judiciaire, journalistes, banquiers, agents publics, profiteurs de toutes sortes, etc, ; ensuite, par des communiqués incendiaires, peu protocolaires, de la présidence, publiés tard dans la nuit, très probablement écrits par le président lui-même, dans lesquels il profite pour prendre parti, parfois violemment, pour ou contre telle ou telle pratique, et pour déverser ses états d’âme et ses irritations. On est loin de la tradition mesurée, modérée et diplomatique des communiqués de nos anciens dictateurs ; enfin par des visites inopinées dont Ben Ali en a été le pionnier. On se souvient de ce dernier qui soulevait les matelas pourris, ou qui faisait tourner les marmites dans des centres et réfectoires publics, et qui les faisait diffuser aux heures de grande écoute du Journal télévisé de 20h. Mais Ben Ali était un tiède par rapport à Saïed dont les visites inopinées, faites sur place, sur le lieu du « délit », étaient un moyen d’information de type propagandiste à l’adresse du grand public pour dénoncer vigoureusement les pratiques et surtout les responsables, mis mal à l’aise en public et traités comme des malpropres, au-delà des faits constatés. Comme si l’Etat qui traite ses serviteurs comme des voyous, qui leur fait subir des avanies et qui les humilie, ne se comportait pas lui-même comme un Rogue State, méconnaissant les voies de justice et l’élégance du traitement de ses agents, aussi fautifs soient-ils. « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit constatée », dit un grand principe des droits de la défense politiquement dénigré.

 

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Dans tous les cas de dénonciation, ou quête de popularité personnelle, le président Saïed tente de prendre à témoin l’opinion sur les méfaits constatés. Le massage est clair : « Les voilà devant vous, vos corrupteurs, vos traitres, je les dénonce en public en votre nom, vous le peuple « saint », dupé, respectueux des droits et altruiste, qui ne mérite pas de telles dérives. Je suis votre défenseur, votre justicier, votre sauveur. Croyez en moi et donnez-moi votre bénédiction ».

Le président Saied a-t-il le choix ? Peut-il avoir d’autres moyens de quête de popularité alors qu’il a fermé le débat public, l’espace public, éliminé les partis, réduit les médias, manipulé le code électoral, réduit les libertés et abandonné le principe même de contre-pouvoir ? En somme, on est dans le cadre de la quête démentielle de popularité dans la sphère de l’impopularité. La popularité du pouvoir et des opposants n’est plus en jeu, n’est plus mise à l’épreuve, n’est même plus mesurée par les sondages. Les élections mêmes ne parviennent plus à départager la popularité de l’impopularité. La popularité est un terme qui n’a plus de sens, tout comme l’impopularité. Non pas parce que le populaire croit qu’il est populaire et que l’impopulaire croit qu’il est impopulaire, mais parce que la popularité est devenue pathologique et démentielle. D’un côté, on cherche violemment, de gré ou de force, la popularité d’autant plus qu’on est certain au fond de soi de l’impopularité ambiante ; d’un autre côté, on force les adversaires à croire ou à admettre qu’ils ne sont pas populaires, que leur place est en prison, parce que les impopulaires sont les traîtres de la nation. Si le peuple a mis un homme au pouvoir, c’est qu’il a bien voulu mettre les opposants dans la cage. Comme si la cage n’est pas ouverte à tous.

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