Theresa May : dissoudre pour se dissoudre

 Theresa May : dissoudre pour se dissoudre


La dissolution du Parlement est une arme redoutable à double tranchant dans le régime parlementaire britannique. Elle se trouve entre les mains du chef du gouvernement, lui-même chef de la majorité parlementaire. Une majorité  sans le soutien de laquelle, il lui serait difficile de gouverner dans la stabilité, de conduire sa politique et de réaliser son programme politique. 


L’ascendant du chef de gouvernement britannique est rendu possible par le bipartisme et par le mode de scrutin majoritaire à un tour. Deux outils qui perpétuent durablement la domination alternative des deux partis au parlement et au gouvernement. Le parti qui l’emporte aux législatives est ainsi assuré d’obtenir la majorité absolue et de gouverner seul, sans l’adjonction d’aucun autre allié gênant. C’est en cela que la dissolution est une véritable arme. Suspendue sur la tête des députés, elle permet d’assurer la fidélité de la majorité parlementaire, qui craint toujours d’être renvoyée à ses chers électeurs. Il importe alors pour le chef de gouvernement, ou bien de flairer un quelconque fléchissement nuisible de sa majorité, qui peut même entrer en dissidence contre lui ; ou bien, au contraire, de sentir un écho favorable à son action auprès de l’opinion, le poussant à tenter un coup de force, par l’usage de la dissolution.


Toutefois, on ne dissout pas pour dissoudre, comme on ne dissout pas pour se dissoudre.L’imprudence ou le manque de flair en la matière se paye cash dans ce régime parlementaire. Avant de dissoudre, normalement le chef du gouvernement est tenu de consulter les bases de son parti, les personnalités d’expérience, les instances régionales et locales, ainsi que les sondages d'opinion. Ce sont ces éléments qui ont des chances d’éclairer, voire de déterminer, son initiative de dissoudre le parlement, qui est loin d’être un acte politique banal. Le chef de gouvernement risque en effet d’affaiblir ou, pire encore, de perdre sa majorité en cours de route.


C’est cette imprudence-là qui a été commise par Theresa May (60 ans), premier ministre britannique et chef du parti conservateur depuis 2016. Elle était députée de la circonscription de Maidenhead depuis 1997. Après les élections législatives de 2010, elle est nommée secrétaire d'État à l'Intérieur dans le gouvernement de coalition de David Cameron, fonction qu'elle a conservée après les élections de 2015. Elle a mené une réforme de la police et adopté des politiques restrictives, notamment sur les drogues et sur l'immigration. Elle est également ministre des Femmes et des Égalités de 2010 à 2012.


À la suite du référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne, qui conduit le Premier ministre Cameron à annoncer sa démission, elle est choisie par le Parti conservateur pour lui succéder. Elle est nommée à la tête du gouvernement le 13 juillet 2016, devenant la seconde femme à occuper cette fonction, après Margaret Thatcher. En juin 2017, elle provoque des élections générales anticipées, à l'issue desquelles le Parti conservateur arrive en tête, mais perd du coup la majorité absolue.


Croyant renforcer sa majorité, déjà absolue, au parlement, par une dissolution précipitée, pour acquérir une nouvelle légitimité électorale (elle était désignée par son parti auparavant), négocier en position de force sa sortie de l’Union européenne et appliquer un « hard brexit »(sortie de l’UE et rejet des juridictions européennes),tendant à sauver l’orgueil anglais de la « chute » européenne, pourtant purement volontaire. Ce même Brexit qui, depuis le référendum du 23 juin 2016 n’a pas cessé d’empoisonner le parlementarisme britannique, et notamment la liberté d’action du parti conservateur. L’ancien chef de gouvernement conservateur, David Cameron, est lui-même tombé à la suite du référendum sur le Brexit.


Theresa May affichait une attitude hautaine, de fermeté, vis-à-vis de l’UE. Elle croyait être la seule qui soit en mesure d’affronter « Bruxelles », méprisait le leader travailliste Jeremy Corbin (68 ans), qu’elle considérait en perte de vitesse dans son calcul électoral. Le Brexit a pesé de bout en bout lors de cette campagne. L’issue de ses élections anticipées a été confuse. Pire encore, pour elle, c’est un échec politique. Une élection anticipée qui a pour intention de renforcer la majorité de son parti, et qui a pour résultat de l’affaiblir, au contraire, ne peut pas être autre chose qu’un échec politique. La majorité absolue ne la suffisait pas, elle voulait plus.


Au final, elle obtient une majorité relative, réduite par rapport à la précédente. Elle arrive encore à renforcer le parti travailliste concurrent et son leader. Double échec politique. Jeremy Corbin, mal aimé dans son propre parti, était pris pour un « gauchiste », moins travailliste, devient du coup le héros de l’opération. Il  parvient à revigorer son image, et à faire taire les dissidences au sein de son propre parti.


Theresa May recueille ainsi 319 sièges alors qu’il lui en faut 326 pour disposer d’une majorité absolue à la Chambre des Communes et gouverner seule. Son parti détenait 330 sièges avant la dissolution. On se souvient de la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac, qui a affaibli la position de son parti en 1997. Aujourd’hui, après David Cameron et son référendum, remporté de justesse (51, 9%), de nouveau, le Brexit porte malheur aux conservateurs, en terrassant Theresa May. Le Labour a progressé, en obtenant 261 sièges. Théoriquement, il pouvait négocier un gouvernement minoritaire avec le Parti national écossais, séparatiste (32 sièges), le Lib Dem (11 sièges) et les Verts pour tenter de constituer une coalition, ou un gouvernement minoritaire soutenu par ces derniers. Mais le leader travailliste n’en a pas voulu. Il risquait avec cette option d’être affaibli en cours de mandat. Et il n’a pas tort.


Theresa May, qui est déjà contestée au sein de son parti pour cet échec, est en train de négocier avec le Parti Unioniste Démocrate (protestant conservateur) d’Irlande du Nord, qui a obtenu 10 sièges. Un parti indépendantiste, qui a en plus des positions nettement tranchées sur le plan moral, contraires à celles du parti conservateur. Les deux partis réunis pourront avoir 329 sièges (3 sièges de plus que la majorité absolue). Les conservateurs et la classe politique britannique pensent que May ne pourra pas aller jusqu’au bout de son mandat. Il est possible qu’une rébellion finisse par surgir en cours de mandat contre elle, d’autant plus qu’elle n’a pas la majorité absolue, et qu’elle va dépendre des 10 sièges et des marchandages du parti allié.


Le choix de Theresa May consiste, après ces élections, ou bien de gouverner seule, en constituant un gouvernement formé autour de son parti, arrivé en tête, mais n’ayant pas la majorité absolue. Ses éventuels alliés se contentant de la soutenir par leurs votes au parlement. Un tel soutien est rarement durable. C’est ce qu’on appelle dans le régime parlementaire, un « gouvernement minoritaire » ou « parlementarisme non majoritaire ». Ou bien de gouverner sur la base d’une coalition majoritaire de partis. Une telle majorité permet certes de gouverner, et a les préférences de Theresa May, mais elle a aussi le défaut de rendre fragile la majorité. Il est nécessaire en effet ici de faire des compromis difficiles, même entre un parti conservateur ayant 319 sièges et un petit parti qui en a une dizaine, et qui tire sa force de l’impériale nécessité des conservateurs de l’avoir comme allié pour qu’ils puissent gouverner effectivement.


En d’autres termes, mal dissoudre le parlement peut encore conduire à « l’auto- dissolution » du parti ou de celui qui en a pris l’initiative. C’est cela le système anglais. C’est aussi cela le charme de l’inimitable régime parlementaire britannique.


Hatem M'rad