Prémunir les démocraties contre les présidents à haut risque

 Prémunir les démocraties contre les présidents à haut risque


L'exemple, ou l’anti-modèle qu’est Donald Trump devrait conduire les pays démocratiques de tenter de s'immuniser contre l'incompétence ou l’immaturité politique éventuelle des présidents de République élus et de sonner l’alarme. Ces présidents peuvent en effet ne pas être prêts pour cette haute charge au moment de leur candidature, quand bien même ils auraient les faveurs d’une partie de l’opinion. 


La question ne concerne pas seulement la sélection des candidats à faire élire par le peuple directement, elle concerne aussi le choix des candidats à la présidence de la République devant être désignés par une assemblée législative ou constituante. Les Tunisiens en savent quelque chose. Mais la question, dans notre esprit, concerne essentiellement les candidats sollicitant le vote du peuple, élus au suffrage universel. Ce sont ces présidents-là qui disposent généralement de l’essentiel du pouvoir, et qui peuvent faire le plus de dégâts.


A vrai dire, aucun Etat démocratique au monde n'est éternellement immunisé contre la bêtise manifeste de ses dirigeants. On le voit bien aujourd’hui avec Trump dans la plus grande démocratie du monde, comme on l’a vu dans le passé dans les pays autoritaires, qui ont leur lot de présidents amateurs, impulsifs, puérils ou psychopathes (Bokassa, Kadhafi, Amin Dada et la liste est longue). Le problème, c’est que, quand cela arrive, l’impact risque d’être fatal, même dans les pays ayant de longues traditions démocratiques. Ce serait à ce moment-là trop tard pour agir ou rectifier le tir. Le peuple se rend soudainement compte qu’il a voté « librement » pour un homme n’ayant pas de capacités politiques, enclin aux voltefaces, incapable de définir une politique à moyen et long terme de nature à préserver les intérêts fondamentaux de son pays, ou encore de s’adapter à une conjoncture politique complexe et fugitive. Après tout, un président n’est-il pas élu pour décider au nom de tous?


Le problème ne consiste plus seulement alors à fixer des conditions relatives à l'âge minimal (35 ou 38 ans, souvent trop bas pour une telle fonction) et maximal (être vieux ne le préserve pas toujours contre son amateurisme), à la nationalité, à la religion, au bénéfice de ses droits civiques, au parrainage par des gens indifférents, qui ne le connaissent au fond que trop peu. Il ne s'agit plus de tolérer une liberté totale d'éligibilité. La fonction présidentielle n’est pas n'importe quelle fonction, elle ne peut être confiée au premier venu, pour peu qu’il ait exprimé la volonté de candidater. Il faudrait permettre à un organe censé être neutre comme une cour constitutionnelle ou suprême, de vérifier, à travers une enquête rigoureuse et au moyen d’audiences bien menées, la capacité des candidats et leur aptitude à gouverner.


Le candidat devrait être assez âgé pour avoir la maturité d'esprit nécessaire; avoir de bons diplômes pour s’assurer de sa capacité d'analyse et de jugement; et avoir assez d'expérience politique pour savoir décider opportunément pour le compte de tout un peuple et savoir au moins distinguer l'intérêt général de ses caprices personnels. Comment voulez-vous qu'un président sache guider une nation, garantir l'indépendance et la continuité de l'Etat et veiller au respect de la Constitution, entretenir des relations diplomatiques pacifiques avec les autres Etats, s’abstenir d’actes belliqueux pour des futilités, respecter les traités et les engagements antérieurs conclus par l’Etat qu’il représente, s'il s'avère un simple d'esprit ? Et le comble, c'est que ce serait la démocratie elle-même qui l'aurait mis là où il est, à la fonction suprême.


On peut penser que l’idée est risquée et difficile à mettre en œuvre, que les membres d’une Cour constitutionnelle ou suprême, ne sont pas toujours indépendants, même s’ils sont supposés être hautement qualifiés. Que ce serait politiser maladroitement une institution prestigieuse qui ne doit pas l’être. Cette cour risque en effet d’être suspectée de partialité. Ses membres sont désignés par des autorités ou institutions politiques, relevant tantôt de la majorité, tantôt de l’opposition. Pourquoi priver le peuple de faire son choix démocratique ? Comme l’aurait dit Montesquieu, si le peuple est incompétent pour gouverner, il est après tout compétent pour choisir les gouvernants. Il vaut mieux donc lui laisser cette tâche. N’est-ce pas cela la démocratie : le respect de la volonté populaire et le verdict des urnes ? Le peuple n’a pas besoin qu’on lui dicte sa conduite. Il trouvera en lui les ressources nécessaires pour résister à l’oppression ou aux abus possibles en se révoltant contre les dirigeants qu’il s’est ingénié à élire démocratiquement. Le risque est inhérent au régime démocratique. Soit.


Suspecter en ce cas une cour constitutionnelle de s’introduire dans le jeu politique n’est pas toujours un argument pertinent. Une telle cour fait déjà de la politique malgré elle. Elle contrôle la loi de la majorité et les actes du Parlement souverain pour défendre les droits de l’opposition, elle surveille les opérations électorales, contrôle dans certains pays le fonctionnement des partis politiques. Toutes, à l’évidence, des opérations à caractère politique. Mais, la jurisprudence des cours constitutionnelles dans les pays démocratiques a bien démontré leur détachement du pouvoir et de l’opposition et leur attachement à l’Etat de droit. Du moins en général.


L’idée consiste à notre avis de rajouter d’autres conditions que celles qui sont traditionnellement posées et de complexifier le tri des candidats aux présidentielles, afin que les électeurs et les citoyens ne soient pas surpris par les résultats ou ne prétendent pas avoir été trompés par leurs dirigeants. Une institution indépendante chargée de faire la sélection et le tri des candidats compétents et méritants ne fait pas de la cooptation, elle procède à une sélection rigoureuse des candidats qui ont daigné se présenter, afin de moraliser la fonction présidentielle (qualités, vertus, honorabilités, qualifications) et éclairer le choix des électeurs. Pour voter, il faut être bien informé. Or, voter en connaissance de cause n’est pas évident, même pour un électeur instruit. Les Etats-Unis eux-mêmes ne font pas autre chose dans d’autres activités. La désignation des juges à la Cour suprême, des ambassadeurs ou des nominations aux postes clés de l’Etat (CIA, FBI) se fait à l’issue d’enquêtes et audiences au Congrès. Celui-ci a la liberté d’approuver ou de refuser ces désignations. D’autres parlements le font aussi.


Il s’agit, non pas de faire de la contre-démocratie, mais de sauver la démocratie contre elle-même. Prémunir l’électeur contre les risques de mauvais choix pour des candidats qu’il ne connait que superficiellement à travers l’image que ces derniers veulent bien lui donner à travers une médiatisation outrancière. Des candidats qui peuvent s’avérer dans l’exercice de leurs fonctions autres que ce qu’ils sont en réalité (amateurs, incompétents, dérangés, cupides, corrompus). Les électeurs et les citoyens ont intérêt à ce que leurs gouvernants se conduisent au moins comme de véritables professionnels de l’action politique, qui ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine. Il ne s’agit pas d’introduire des conditions limitatives, anti-démocratiques. Des conditions de candidature draconiennes, et même parfois pénalisantes, existent déjà dans les diverses constitutions du monde pour ces candidats. On n’a jamais prétendu qu’elles étaient restrictives du droit de suffrage ou attentatoires à la démocratie. Il s’agit seulement de prudence. La République a le droit de se méfier de ses dirigeants. Une fois le tri effectué, l’élection reste multiple, libre, disputée et démocratique. Il vaut mieux choisir entre sept ou huit candidats compétents et expérimentés qu’entre une trentaine de candidats aussi farfelus que peu prédisposés les uns que les autres. Cela devrait en principe réduire les plaintes répétitives de l’opinion contre de tels Présidents élus, et rapproche les gouvernants des gouvernés.


La démocratie n’est pas facile à gérer. Celle d’aujourd’hui ne peut vivre selon les procédures d’hier. A l’ère de la mondialisation, de la technologie numérique, de « l’Etat savant », du nucléaire, la désignation de présidents-acteurs de cinéma, vendeurs de cacahuètes, policiers ou self-made-men, est révolue. L’exercice du pouvoir, et « c’est une expérience éternelle », dépend de la valeur de ceux qui président à sa destinée. La démocratie vaut le coup qu’on tente de la protéger et de la préserver par de nouvelles procédures, exigées par l’évolution de la vie politique et sociale des peuples. Un simple principe de précaution. Tout le monde a à y gagner : gouvernants et gouvernés.


Hatem M'rad