Point de vue. L’ultra-présidence de Macron
Macron est un président à tout faire. Il s’occupe de tout et voudrait tout assumer. Il est ciblé par tout le monde. Il ne sait pas prendre de la hauteur. La fonction présidentielle n’est plus ce qu’elle était sous son règne.
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On se demande si le président Macron n’a pas contribué à la dévalorisation de la fonction présidentielle, comme le montrent les insultes qu’on lui a jetées ces jours-ci en pleine figure, lors d’un déplacement de campagne à Châtenois. Ce n’est pas la première fois qu’on l’attaque en tant que président de la République comme un malpropre. Sa dignité, et indirectement celle de l’Etat, en prend un coup. Un homme dans cette commune s’est permis de lui dire en face, en le regardant droit dans les yeux : « Je n’ai jamais vu un président aussi nul. Vous êtes arrogant, aussi méprisant, aussi cynique ». Macron a demandé alors à son interlocuteur « du respect » et l’a accusé d’« aller dans tous les sens et de ne pas argumenter ». Trop tard, est-on tenté de dire. Il l’a cherché, il va lui-même vers l’adversité tous azimuts sous prétexte de parler directement avec les Français. Il y a quelques semaines, on se souvient, il a été giflé par un homme en public.
Macron n’a pas cessé depuis 2017 d’aller au four et au moulin, de s’occuper, non pas des affaires de l’Etat, mais de l’intendance, passant par-dessus la tête du chef de gouvernement, marqué aux abonnés absents, surtout le dernier. Macron dirige l’Etat comme un manager d’entreprise. Il est en charge de la haute, comme de la petite politique. Il ne se borne plus à la définition de la politique de l’Etat, en déléguant au premier ministre l’intendance, il veut la faire dans ses moindres détails et en tirer toute la gloire. A trop bien faire, on risque de défaire.
Le président Macron voudrait avoir le don de l’ubiquité. On le voit toujours au premier plan : avec les gilets jaunes, dans les hôpitaux dans la lutte contre la pandémie, dans la défense des entreprises, avec les travailleurs pour parler de leurs salaires ou dans la gestion écologique du pays. C’est toujours lui qui explique la politique gouvernementale. Il lui faut un discours pour chaque occasion, pour chaque catégorie sociale, en glissant du discours au bavardage. C’est comme s’il était en campagne permanente depuis 2017 pour sa propre réélection de 2022. Etre Président ne lui suffit pas, il veut encore paraître militant, comme l’y invite sa jeunesse. Il est obligé de tout justifier. Le premier ministre est réduit à inaugurer les chrysanthèmes. Il ressemble au mieux au secrétaire d’Etat américain, un simple intermédiaire. Quand Edouard Philippe a commencé à être populaire et à gêner ses chances de réélection, il l’a superbement écarté, alors qu’il lui a été fidèle, pour le remplacer aussitôt par Jean Castex, un parfait inconnu de peu d’envergure. Une nomination qui ne correspond pas aux usages de la Ve République, qui a souvent vu des premiers ministres d’envergure qui savent faire véritablement écran contre les risques d’impopularité du président. Les ministres ont du mal à fondre dans la bulle politique, ils paraissent comme des délégués, des chargés d’affaires, des hauts fonctionnaires, loyaux, neutres et discrets. Le président s’évertue au nom d’une ambition dévorante de placer des hommes de second ordre au gouvernement et autour de lui. Il préfère s’entourer de jeunes techniquement compétents, mais novices en politique ou qui ont le temps de patienter, qui n’ont aucune chance de lui faire de l’ombre. Tout son entourage est appelé à jouer le rôle de faire-valoir. Il tient à ce que tous les projets soient marqués du sceau présidentiel.
Ce n’est pas parce que le régime français tourne autour de la présidence de la République que le président devrait contourner les autres institutions de l’Etat. Le système français est jusqu’à preuve du contraire mi-présidentiel, mi-parlementaire et le chef du gouvernement peut faire l’objet d’une motion de censure ou d’un vote de défiance de la part du Parlement. Mais, le fait majoritaire et le lien politique quasi-organique entre le gouvernement et le Parlement à travers le parti du président accentuent le pouvoir présidentiel. Assuré de sa majorité confortable au Parlement, Macron s’assure un face à face avec le peuple. Il rêve de gaullisme, qu’il cite souvent dans ses discours.
La démocratie française n’est pas malade de la montée des extrémismes de droite, elle est aussi affectée par le pouvoir trop tutélaire du président Macron, aussi brillant soit-il, qui veut faire plus que ses prédécesseurs, qui savaient, eux, déléguer et mettre au premier plan de véritables ministres d’Etat ou de véritables chefs de gouvernement. Déjà, le professionnalisme politique des hommes politiques modernes n’est pas toujours favorable à la démocratie. La représentation politique est considérée par les citoyens comme un instrument de dépossession de la souveraineté du peuple par les professionnels de la politique ou par les technocrates avides de rationalité, souvent peu politiques. Le politologue Daniel Gaxie a parlé du « cens caché », pour montrer les nouveaux obstacles à la démocratie représentative, mal perçue par les populations, réhabilitant une autre forme de suffrage restreint.
L’homme politique professionnel et technocrate, qui a réponse à tout, comme Macron, qui voit sa compétence accrue, qui en plus veut être systématiquement aux premières loges, tend aussi à détourner la majorité des citoyens, qui se sent démunie et frustrée face à un homme incarnant un discours rationnel étranger à ses difficultés. Popularité et impopularité ont des rapports complexes en démocratie, sans doute parce qu’interchangeables. Etre partout et toujours au premier plan ne signifie pas popularité, même si on est au pouvoir, tout comme la démocratie d’acclamation, mettant en scène président et peuple, n’est pas la démocratie, comme nous l’a appris l’histoire. On se demande si Macron n’a pas contribué lui-même à renforcer l’extrême droite par son attitude égocentrique de vouloir prétentieusement tout assumer. Tout assumer, cela veut dire qu’à chaque fois où il y a problème ou échec, c’est lui qui est ciblé. En 2017, aux élections présidentielles, Macron, en pleine gloire, a obtenu au deuxième tour 66,1% des suffrages face à la candidate du Front national qui n’a recueilli que 33,9%. Aujourd’hui, les sondages réduisent la marge entre eux. On annonce Macron vainqueur avec seulement 53% des intentions de vote contre 46% des suffrages pour Marine Le Pen. Et encore, rien n’est sûr pour lui. Les sondages ne sont pas la Bible. Le président Macron peut-il encore rassembler dans un pays où on n’a pas l’habitude de faire des compromis entre les grands courants adverses, même sur l’essentiel, comme en Allemagne ? Avec la disparition actuelle du duel gauche/droite, la politique en est réduite au duel droite/extrême droite, où les compromis seront encore plus illusoires et où l’ultra-présidence, par réaction, risque encore de diviser un pays déjà divisé.
Macron gagne, s’il est réélu, à favoriser des contrats de gouvernements entre partis coalisés au pouvoir. Dans l’état idéologique actuel de la France, et face au danger extrémiste, il devrait tenter de rassembler à la fois la gauche modérée et protestataire, la droite républicaine, les verts, et les libéraux centristes macroniens ailleurs qu’entre les deux tours, dans une sorte de compromis historique. Une autre ultra-présidence macronienne assurera à coup sûr l’entrée de l’extrême droite par la grande porte.
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