Point de vue. La ruse de l’histoire ou le persécuteur persécuté
Les renversements de situation sont courants en histoire, où la position des persécuteurs et persécutés peut toujours être renversée. En histoire la « Raison » doit composer avec la « ruse ».
C’est l’histoire du persécuteur devenu persécuté, et inversement, du persécuté devenu persécuteur, ou encore l’histoire du duel Léon Blum/Maréchal Pétain, notamment lorsque le leader socialiste Léon Blum, qui a conduit le Front populaire, accusé et persécuté par le maréchal Pétain, lui-même compromis avec les nazis, devient à son tour l’accusateur de ce dernier. Le duel Blum/Pétain est en effet, une de ces ruses de l’histoire, qui démontre qu’en politique, comme partout, il ne faut pas chercher à insulter l’avenir et que la roue de la fortune n’est pas toujours à sens unique.
Ce type de duel est très marquant non seulement dans l’histoire de France, mais aussi dans la vie politique en général, où il arrive souvent qu’un dirigeant persécuteur se retrouve quelque temps après sur le banc des accusés. Ben Ali était persécuteur, fut par la suite persécuté par la justice révolutionnaire. Ghannouchi en Tunisie était persécuteur théocratique, le voilà persécuté par le nouveau pouvoir laïc, et l’histoire continue son bonhomme de chemin. Netanyahou persécutait les Palestiniens, le voilà persécuté par la justice de son pays. Nul homme politique n’est à l’abri, lorsque le droit s’allie avec le complotisme et l’esprit vengeur. Si les anciens dirigeants déchus ne se trouvent pas persécutés par d’autres dirigeants qui ont pris le pouvoir, ils peuvent l’être par leurs peuples mêmes, comme dans les révolutions. Cruauté et ruse se succèdent dans l’histoire politique au grand « bonheur » des historiens, des mémorialistes, attachés aux faits marquants et des témoins passifs qui se délectent de voir tomber les têtes des dirigeants qui étaient au sommet.
Ainsi, lors de la Deuxième Guerre mondiale, Pétain est appelé au gouvernement par Édouard Baladier pour remonter le moral des Français. Vice-président du Conseil des ministres pendant 29 jours de mai à juin 1940, le Maréchal Pétain devient président du Conseil des ministres de juin 1940 à avril 1942. Il est connu dans l’histoire pour avoir été l’anti-de Gaulle, c’est-à-dire pour avoir accepté l’occupation de la France en concluant un armistice déshonorant avec l’Allemagne. Armistice symbolisé par la poignée de main célèbre avec Hitler, et les pleins pouvoirs qu’il a fait voter avec des procédés menaçants pour faire plier le parlement. Avec la collaboration de Laval, Pétain mettra en œuvre « La Révolution nationale », de type plus persécutrice que conservatrice. Le programme de cette Révolution est « simple » : la chasse aux juifs, aux communistes, aux socialistes, aux francs-maçons.
Le Front populaire était pour Pétain la cause de la guerre avec l’Allemagne, parce qu’il a fragilisé l’Etat. Pétain remet alors en cause la politique du Front populaire (mesures sociales, la semaine des 40h, congés payés). Les mesures sociales ont ostensiblement, d’après lui, ramolli les Français. Léon Blum, promoteur du Front populaire, de confession juive, est mis en prison, taxé d’être le chef du complot juif. C’est le procès de Riom. Blum, avocat de métier, se fait son propre avocat. Il se défend lui-même comme un diable. Il va défendre les mesures sociales du Front populaire et se transforme en accusateur du régime de Pétain et des militaires. Accusé de trahison, il dira que c’est Pétain qui était le vice-président du Conseil des ministres quand les Allemands ont franchi la ligne Maginot en juin 1940, leur permettant de pénétrer sur le territoire français. Du coup, Hitler est contrarié par la tournure du procès. Il suspend le procès dont le déroulement devient visiblement nuisible pour sa cause. Les nazis écartent Pétain. On ordonne la déportation de Blum. Le procès de Blum se retourne contre le gouvernement collaborateur de Vichy.
La libération met fin au régime de Vichy. Léon Blum revient d’Allemagne après la fin de la déportation, il rentre en France. Lui, il a survécu. S’ouvre alors, ruse de l’histoire, le procès de Pétain, son ancien accusateur, pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. Pétain est frappé d’indignité nationale en 1945. Ironie de l’histoire, Blum se présente à la barre face à Pétain l’accusateur d’hier, désormais principal accusé. Blum ne pardonne pas. Il accuse à son tour, sûr de son bon droit. Pétain est déclaré coupable et condamné à mort. Sa peine est commuée par le Général de Gaulle. Il meurt quelques années plus tard, alors que Blum est nommé par le gouvernement de la Libération ambassadeur aux États-Unis.
N’insultons pas, disions-nous, l’histoire, parce qu’elle est rusée, très rusée… dans les deux sens. Justice, complotisme et traîtrise sont souvent alliés dans les moments de crise. C’est là qu’on voit le caractère tragique, machiavélique et injuste de la politique, où les bons sentiments ont peu de place et où l’ami du jour peut devenir l’ennemi de demain.
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