La France vit son printemps « arabe »

 La France vit son printemps « arabe »

Irina Kalashnikova / Sputnik / AFP


La France vit à sa manière son  printemps arabe. Une révolution silencieuse qui a abandonné la rue pour s’inviter dans les urnes. Une révolution qui a changé de forme sans changer d’objectifs et qui reste menacée de détournement par l’extrémisme. 


Les élections présidentielles de 2017 sont peut être  les plus atypiques de l’histoire de la Ve République,  et les élections législatives  s’annoncent aussi bien différentes de toutes celles qui les ont précédées.


La défaveur  pressentie des urnes a poussé au forfait le candidat attendu à sa propre succession. Cette défection n’était peut-être pas une surprise mais elle a sérieusement pollué l’atmosphère électorale. A gauche elle a libéré les prétentions et aiguisé les ambitions ; à droite  elle a déjoué les prévisions et dévitalisé les stratégies et au centre elle a ouvert une chance de peser sur la balance électorale.


Les résultats des primaires à droite comme à gauche ont démenti tous les pronostics et promu à l’investiture les recalés des médias, excluant méthodiquement les leaders traditionnels à chacun des deux tours.


La pré-campagne n’était plus une étape démocratique qui permettait à chaque force politique d’arbitrer entre ses sensibilités internes, de consolider son programme et de retrouver son unité. Elle est très vite devenue un filtre aux mailles serrées qui n’a laissé passer que des ambitions encore orphelines, excluant de leur espace politique traditionnel et pour beaucoup de tout le champ politique national les personnalités les plus attendues et  les plus rompues à l’exercice électoral.


La campagne électorale, elle non plus, ne va pas être avare en surprises. Elle va nourrir les hésitations et les peurs. Partie pour porter haut le pavillon de la probité, elle va mettre à mal la réputation de certains  hommes politiques et jeter la suspicion sur beaucoup d’autres. Elle va prendre un tournant qui  remise les programmes et les projets pour déployer une  arène ou s’affrontent les arguments d’accusation et de défense des personnalités et des institutions. Elle va  se nourrir des défections, des ralliements et des valses-hésitations les plus surprenantes.


Les murs des partis traditionnels  commencent à s’effriter et les trahisons les plus nues se couvrent du manteau du courage en des temps déclarés menaçants pour le pays et pour la République. Les résultats du 1er tour portent le coup fatal aux institutions partisanes et déclassent définitivement l’ancien personnel politique.


Les règles habituelles de la « carrière politique » sont démenties. La prise de pouvoir n’est plus un aboutissement, c’est une conquête. Elle n’est plus le couronnement de la patience militante mais la récompense de l’audace. La classe politique ébranlée et surtout déroutée trouve dans le devoir légitime de protéger la république une échappatoire honorable et le prétexte de se rallier à la jeunesse à la fougue et à la nouveauté.


Les appels à la mobilisation républicaine  laissent peu de place à la surprise. Le score électoral et le taux d’abstention sont vite érigés en  enjeux de l’élection présidentielle. Il est alors question pour ce deuxième tour du niveau d’attachement à la république et du degré de légitimité de l’élu. L’annonce du résultat définitif est en même temps  l’annonce de la reprise du mouvement désordonné et parfois inconséquent de la survie politique. Les  remises en cause ne servent  pas encore à la reconstruction des espaces politiques mais juste au repositionnement des individus pour sauver leurs têtes.


La campagne des législatives va certainement parachever le lessivage politique pour se terminer avec un paysage politique inhabituel face à des institutions vermoulues incapables de recevoir les nouvelles clameurs d’un jeunisme insolent mais qui va être très vite confronté à ses propres limites.


Une fois le vainqueur proclamé, les armes rangées et le champ de bataille déserté, que reste-t-il à l’horizon ?


Le nouveau chef a bien sûr de nouvelles et urgentes mesures à prendre pour donner le la de la nouvelle partition que doit jouer l’orchestre qu’il  a composé. Mais des mesures,  même significatives,  décidées dans la foulée de la victoire suffisent-elles à donner de l’épaisseur à la gouvernance qui s’installe ?


Une équipe hétéroclite soumise à la volonté du Chef peut-elle donner un sens à la vie politique ? Peut-elle réhabiliter des valeurs humaines et morales élavées par une pratique politique qui défie la morale à l’abri d’une légalité factice qu’elle s’est  effrontément   édifiée ?  La rencontre des élans politiques de tous bords peut-elle aboutir à une convergence des idées et à un équilibre institutionnel durable ?


A l’exception d’un jeunisme exceptionnel et d’un réformisme qui veut libérer les initiatives, quel rêve autorise la nouvelle majorité ?


La légitimité de l’effort peut-elle ignorer sans risques l’injustice de la répartition ?


L’Europe invite la France à plus de discipline dans ses dépenses et à plus de flexibilité dans la gestion des relations de travail,  mais la France n’est pas une entreprise en difficulté.


La France est un grand pays aux ressources humaines, scientifiques, technologiques, culturelles et territoriales exceptionnelles. Elle n’a pas besoin d’un plan de redressement comptable mais d’un projet mobilisateur.


Un projet qui redonne confiance à chacun dans ses propres compétences et lui ouvre la voie de l’accomplissement et de la réussite. Un projet qui en même temps replace chaque individu dans sa citoyenneté et lui donne droit de participer à l’intelligence collective.


Un projet régénérateur qui permet de reconstruire des institutions sérieusement lézardées par des comportements politiques libérés de toute contrainte morale et qui ne se prêtent  qu’à une brève et superficielle évaluation aux échéances électorales. Un projet qui permet de rénover  les institutions  à la mesure du progrès intellectuel scientifique et culturel accompli depuis plus de deux  siècles et que ces institutions ont très peu intégré depuis leur création.


Un projet qui organise l’espace public  capable d’accueillir une vie démocratique que revendiquent des citoyens plus instruits, plus informés et donc plus conscients des enjeux de leur pays, de l’Europe et du Monde et qui désirent participer à la construction de leur propre destin. Un projet porteur d’une ambition à la mesure du pays des lumières qui a éclairé  la marche des hommes vers plus de liberté, de dignité, et de solidarité. Un projet qui redonnera envie à la patrie des droits de l’homme de rythmer de nouveau la marche des hommes vers plus d’humanisme et sans attendre de Maître de régler ses horloges sur le temps de l’Histoire.


M. Abbou