L’OPA d’Abu Dhabi sur l’islam de France se poursuit

 L’OPA d’Abu Dhabi sur l’islam de France se poursuit

crédit photo : Jan Brouckaert


Dans une certaine indifférence, et à une période idéale au moment où les autorités et les Français sont concentrés sur la crise sanitaire en cours, l’OPA des Emirats arabes unis se poursuit sur les instances de l’islam dans l’Hexagone. Au moment d’un ramadan 2020 tout à fait particulier où les médias parlent peu de l’islam pour une fois, pris par d’autres urgences en matière d’information. Alors que beaucoup ont dénoncé par le passé des initiatives du Qatar pour s’ « approprier » le culte français de l’islam, on oublie trop souvent de se pencher sur son rival régional qui a discrètement lancé depuis des années une véritable campagne avec des hauts et surtout des bas jusqu’à aujourd’hui de main-mise sur ce que l’on appelle l’islam de France. Mais pour combien de temps ?


Le 5 mai dernier, le nouveau recteur de la grande Mosquée de Paris et vice-président du CFCM , Chems-Eddine Hafiz, avocat d’origine algérienne, regrettait les discriminations faites par la République selon lui à l’égard de l’islam, où l’exécutif permettrait l’organisation de rassemblements religieux pour les chrétiens lors de la Pentecôte fin mai mais pas pour les musulmans pour la fête de l’Aïd annonçant la fin du ramadan. Lui qui avait cité Marc-Aurèle, lors de son élection le 16 janvier dernier, déclarant « Qui vit en paix avec lui-même vit en paix avec l’univers », reproche au pouvoir de profiter de la pandémie et du déconfinement progressif pour d’installer une véritable inégalité entre les citoyens  et le malaise à nouveau des musulmans dans la République : « Cette décision qui se dessine installerait de fait une inégalité entre les citoyens. Les musulmans, liés à la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris, que j’ai l’honneur de représenter, ne comprendraient pas cette mesure inique du « deux poids deux mesures », la fête de l’Aïd n’étant séparée de la Pentecôte juive et chrétienne que de quatre jours. » . Elle aura lieu en effet le 24 mai.


Faisant pression sur le pouvoir, la Mosquée de Paris menaçait le pouvoir d’user de tous les moyens y compris juridiques. Soit, mais cette polémique reflète en réalité assez bien la tension croissante au sein de la grande Mosquée, première de France, entre modérés laïcs et plus radicaux et surtout la pression d’influences étrangères croissantes. Abu Dhabi est en première ligne et a cette tradition d’ingérence agressive dans les pays qu’elle vise. C’est aussi la tension historique entre Marocains et Algériens au sein de l’islam de France qui se poursuit, avec une proximité claire et nette entre l’Algérie et …les Emirats qui investissent beaucoup dans le pays depuis des années et influencent également sa vie politique.


Cela s’était déjà manifesté déjà par des rumeurs persistantes au moment de la visite en 2019 de la Mosquée « marocaine » d’Evry-Courcouronnes par un ancien ministre émirati sur place pour participer à un iftar. Pour certaines sources, il est clair qu’il était là en repérages. La mosquée d’Evry est sous la bannière de l’Union des Mosquées de France (UMF) plus proche du Maroc et neutre par rapport à d’autres influences étrangères. Des voies se sont fait entendre alors en rappelant que cette mosquée resterait bien « marocaine ». Il fallait donc pour le moment trouver un nouveau projet pour les Emirats. L’appétit d’Abu Dhabi pour la Mosquée de Paris, fondée en 1926 par le sultan marocain Moulay Youssef, devait être la nouvelle étape d’une stratégie de conquête silencieuse. Par le volet religieux, il est clair que l’islam « algérien » cherche à donner des gages aux Emiratis, en échange de leur soutien, par le volet religieux en leur promettant une place de choix en France. Mais pas seulement : également à destination de toute l’Afrique où l’Algérie y a une place de choix, à un moment où la présence et l’action de la France y sont de plus en plus contestées. En publiant son communique de presse le 5 mai dernier, le nouveau recteur de la mosquée de Paris, trop rapidement élu à la suite de la démission de Boubakeur en janvier dernier selon les fidèles, a tiré avantage de la situation politique confuse en attaquant sciemment la France récemment à ces fins. Sur l’affiche présentée ici qui circule sur internet, on y voit sur fond de gravure illustrant la grande Mosquée de Paris un appel au respect du confinement. Mais lorsque l’on regarde bien aussi en haut à gauche, étrangement, le logo de Conseil Mondial des Communautés musulmanes y figure. Présidé par Ali Rashid Al Nuaimi, ce Conseil d’origine émiratie est à l’origine des offensives religieuses en cours en Europe. Par ailleurs, il est réputé pour être très proche aussi des services de renseignements émiratis.


Dans le contexte de déstabilisation mondiale, de poursuite des activités de Daech dans l’ombre de l’actualité, de désoeuvrement croissant des jeunes musulmans avec la nouvelle crise mondiale qui se profile, il ne faudrait pas laisser une nouvelle puissance étrangère infiltrer l’islam dit-de-France, à commencer par la première mosquée de France pilotée par un recteur déjà franco-algérien. L’islam en Europe doit se faire par les Maghrébins indépendants pour les Maghrébins, selon le respect des traditions culturelles du Maghreb. Les Emiratis ont compris qu'ils pouvaient par l'argent se faire une place de choix pour imposer leur islam comme les Saoudiens pourtant bien loin éloigné de l'islam traditionnel malékite du juste milieu du Maghreb. Les Musulmans de France (ex-UOIF) liés aux Algériens n’en ont cure. Et les batailles ont aussi lieu ailleurs en Europe. Il en a été de même par exemple en Belgique l’année dernière, avec la lutte pour le pouvoir au sein de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, qui a vu finalement la victoire du belgo-marocain Salah Echalaoui, qui espère aujourd’hui pouvoir contrer et réduire l’influence historique de l’islam wahabiste et salafiste de l’Arabie Saoudite. Il faut aujourd’hui faire très attention, dans ce contexte européen particulier, à la provenance et au soutien des fonds du Golfe qui vont venir appuyer le développement d’un islam européen réarrangé à la mode du Golfe selon Abu Dhabi, et qui reste un islam radical et peu adapté aux préoccupations et situations des Musulmans du vieux continent. C’est là tout l’enjeu plus que symbolique actuellement pour la grande Mosquée de Paris aux mains des Algériens pilotés par leur allié émirati.


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