L’affaire Ramadan et l’ère post-factuelle
La troisième plainte contre Tariq Ramadan mérite que l'on s'y attarde. La plupart des médias mainstream qui ont traité l'info ont en effet soit délibérément oblitéré le passé de la plaignante franco-marocaine, soit ne mentionnent qu'en toute fin d'article le fait qu’elle soit anecdotiquement une ex "escort girl", un euphémisme à la mode pour désigner la prostitution haut de gamme, impliquée par ailleurs dans l’affaire DSK. Une occultation symptomatique de l’auto censure que commande la nouvelle pensée dominante.
Un état de déni généralisé
La sociologie moderne parle souvent de notre entrée de plain-pied dans une ère dite "post-factuelle" ("a post-factual world"), une époque non seulement dominée par les réseaux sociaux mais aussi par le strict "ressenti" des choses, où les faits importent peu dans le traitement médiatique et judiciaire des évènements.
Si cette expression de "monde post-factuel" est appliquée à juste titre au sujet de la désinformation par exemple autour de la question syrienne, elle est sans doute encore plus pertinente appliquée au "ressenti" de ce que représente Ramadan.
Au fond ce n'est pas une nouveauté : depuis toujours la justice est un processus humain et faillible qui juge souvent ad hominem, et la littérature existentialiste s'est notamment déjà penché sur cette question. D'où l'épilogue de l’Étranger de Camus et le souhait du personnage principal que la foule vienne nombreuse assister à son exécution, tant qu'à faire, pour aller jusqu'au bout de l'absurde injustice.
La peur du procès d’intention en « slut shaming »
La nouveauté réside aujourd'hui dans la propension du gynocentrisme type #MeToo à l'approche sélective de l'info : occulter par un biais idéologique, ou refuser aveuglément de reconnaître qu'une plaignante qui décrit « neuf viols » commis par la même personne soit par ailleurs une escort girl ayant fait partie des femmes rémunérées pour avoir eu des relations libertines sadomasochistes avec Dominique Strauss-Kahn dans l'affaire dite de l'hôtel Carlton de Lille.
Tout au plus certains médias assurent que la plaignante en question a opportunément « arrêté sa carrière d'escort juste avant sa rencontre avec Ramadan ».
De la même façon qu’il ferme les yeux sur certaines réalités, le biais idéologique est incapable de saisir le caractère contre-productif de ses propres dérives, quand une troisième plainte ne fait en l'occurrence qu'affaiblir encore plus les deux premières…
On peut ne pas apprécier Ramadan pour le versant télé-évangéliste de ses travaux. L’exemplarité éthique que requiert son statut de prédicateur est d’ailleurs son talon d’Achille. L’homme a probablement un rapport violent à la sexualité, mais cela relève quoi qu’il en soit de sa sphère privée, jusqu'à ce que la justice tranche au sujet du consentement, un aspect toujours des plus difficiles à prouver.
La plupart de ceux qui se réjouissent aujourd’hui de son maintien en détention sont généralement soit ses adversaires idéologiques, et cela ne les grandit pas, soit des individus incapables de faire preuve de suffisamment de rationalité et de discernement pour distinguer le privé du public.
Le monde civilisé est basé sur l'idée d'Etat de droit, qui repose elle-même sur la notion de procès équitable, un processus qui fait la part belle à la crédibilité des récits, la stabilité psychologique des témoins, et la présomption d’innocence.
Or, à vouloir cumuler les fonctions d'enquêteur, de procureur, de victime, de psychologue et de magistrat, les systèmes gynocentrés que nous sommes en passe d'importer au Maghreb, au nom de la codification de la sexualité, se tirent une balle dans le pied.
Seif Soudani
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