Point de vue – International. Indice de démocratie et Covid

 Point de vue – International. Indice de démocratie et Covid

L’indice de démocratie de 2020, publié le 2 février 2021 par The Economist. Capture d’écran.

Il y a une dynamique des démocraties, comme le montre l’Indice de démocratie annuel qui voit certains pays subir un déclassement, comme en temps de Covid, d’autres stagner, et certains autres accéder parfois au gotha des démocraties.

 

S’il est des régimes, surtout autoritaires, qui semblent s’éterniser dans leurs statuts, les démocraties paraissent en comparaison plus mouvantes à l’intérieur de leurs différents types. C’est pourquoi, il est bon de mesurer l’indice de démocratie des pays par des institutions indépendantes, pour que les pays et les populations aient une idée réelle sur l’état d’avancement ou de recul de leur démocratie ou non démocratie et sur leur passage d’un niveau à un autre, entre démocraties, ou entre démocraties, régimes hybrides et régimes autoritaires. Certains Etats, gouvernants et populations ont tendance à surévaluer leur démocratie, d’autres à la sous-évaluer, d’autres y sont indifférents. Cet indice a tendance à rétablir le sens de la mesure en la matière. Il est utile de connaître l’état de santé de la démocratie en période ordinaire de stabilité, il est bon aussi de connaître son état en période de crise, comme dans la pandémie actuelle, qui semble déstabiliser beaucoup de pays en les faisant passer d’un niveau démocratique à un autre, ou en les déclassant du fait des restrictions de leurs politiques ou mesures prises contre la pandémie.

Les 60 critères des indices

L’indice de démocratie est une évaluation annuelle du niveau de démocratie dans le monde, calculé tous les ans sur la base de paramètres savants et objectifs par le groupe de presse anglais The Economist Group, qui passe au crible environ 167 pays. Cet indice, qui concerne en réalité tant les pays démocratiques que les pays autoritaires, est fondé sur 60 critères répartis en cinq catégories : le processus électoral et le pluralisme, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, la culture politique démocratique, les libertés civiles

Ces indices, une fois calculés, à partir de ces 60 critères, sont répartis ensuite en quatre types de régime. Les démocraties pleines sont les pays qui obtiennent un indice entre 8 et 10 ; les démocraties imparfaites sont celles qui ont un indice entre 6 et 8 ; les régimes hybrides se situent entre 4 et 6 ; et les régimes autoritaires sont ceux qui ont un indice inférieur à 4. Jusqu’à présent et depuis le démarrage de ce classement, il y a deux décennies, le plus faible score enregistré a été celui de la Corée du Nord en 2008 atteignant 0,86, et le plus élevé a été celui de la Norvège qui en 2014 est de 9,93.

Le dernier indice de démocratie, celui de 2020, a été publié le 2 février 2021 par The Economist. L’indice de démocratie par région qui s’y trouve est très révélateur. L’Amérique du Nord est en première position en 2020 avec un indice moyen de 8,50 ; suivie par l’Europe de l’Ouest avec 8,29 ; puis successivement l’Amérique latine et Caraïbe 6,09, l’Europe centrale et orientale 5,36, l’Afrique subsaharienne 4,16 et la dernière région, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord avec un indice moyen de 3,44. En d’autres termes, si les pays du Moyen-Orient et du Maghreb sont plus dotés et relativement plus développés que ceux de la région de l’Afrique subsaharienne, celle-ci les devance dans l’indice de démocratie. Le régime autoritaire est, comme toujours, associé au monde arabo-musulman en dépit de l’exception historique du « printemps arabe », qui n’a fleuri à ce jour qu’en Tunisie et peut-être prochainement en Libye, pacifiée tout récemment.

Démocraties et population mondiale

Globalement, dans le dernier rapport, la « démocratie pleine » concerne 22 pays, c’est-à-dire 5,7% de la population mondiale ; « la démocratie imparfaite » implique 54 pays représentant 42,7% de la population mondiale ; les « régimes hybrides » sont constitués par 37 pays pour 16% de la population mondiale ; et les « régimes autoritaires », 54 pays pour 35,6% de la population mondiale. Plus largement, si on associe les deux premières formes de démocratie (pleines/imparfaites) on comptabilise 76 pays représentant 48,5% de la population mondiale ; et si on réunit les deux dernières (hybrides/autoritaires), on comptabilise 91 pays pour 51,5% de la population mondiale. Un équilibre mondial relatif existe ainsi entre les régimes plus ou moins démocratiques et les régimes plus ou moins autoritaires (48,5% contre 51,5%). Mais les démocraties restent minoritaires, surtout les « démocraties pleines ».

A l’intérieur des « démocraties pleines » (22 pays), on trouve huit prix d’excellence atteignant tous un indice supérieur à 9/10: la Norvège durablement major de promotion (indice 9,81 sur 10), puis successivement et par ordre de mérite, Islande, Suède, Nouvelle-Zélande, Canada, Finlande, Danemark et Finlande. Les meilleures démocraties dans le monde ne sont ainsi dans la réalité, contrairement à l’imaginaire collectif, ni les Etats-Unis (25e au classement général), pénalisés sans doute pour les discriminations, le racisme et les excès policiers sous Trump, ni l’Allemagne (14e), ni la France, déclassée (24e), ni le Royaume-Uni (16e). Dans la catégorie des régimes autoritaires, on trouve le pire régime du monde, la Corée du Sud, traditionnellement la dernière au classement, 167e avec un indice de 1,08/10, l’Egypte 138e, l’Iran 152e, l’Algérie 115e, la Russie 124e, l’Arabie saoudite 156e, le Qatar 126e, les Emirats arabes unis 145e, le Yémen 157e. Dans la catégorie des régimes hybrides, on trouve entre autres, le Liban 108e, la Turquie 104e, le Maroc 96e, la Côte-d’Ivoire 109e, le Libéria 90e. Dans la catégorie des démocraties imparfaites, on trouve entre autres, l’Afrique du Sud 45e pour un indice de 7,05, la Tunisie 54e pour un indice de 6,59.

Indice et pandémie

Le dernier indice de démocratie de 2020 a aussi relevé un inquiétant reflux des paramètres démocratiques dans près de 70% des pays du monde, notamment par l’effet de la lutte contre la pandémie (confinement, couvre-feu, restrictions des déplacements) ravalant certaines « démocraties pleines » en « démocraties défaillantes » (ou imparfaites), comme la France (24e place sur 167, un indice de 7,99 sur 10 contre 8,12 l’année dernière) ou la Belgique (avec une note de 7,51) en raison de leurs politiques restrictives jugées excessives par rapport à d’autres « démocraties pleines ». Cela veut dire que statistiquement parlant, la France et la Belgique se retrouvent (provisoirement) dans la même catégorie que l’Afrique du Sud et la Tunisie. Etonnante identification. Même si ces pays déclassés « défaillants » peuvent toujours démontrer qu’ils ont suivi des politiques sanitaires sur la base de certaines démonstrations scientifiques ou de l’avis d’experts scientifiques pour éviter des catastrophes nationales, décès ou engorgement des hôpitaux. On se demande s’il ne faut pas aussi pénaliser a contrario les politiques des pays trop laxistes dans la lutte contre le covid, exposant leurs populations à des menaces réelles, qui ont provoqué un nombre de décès vertigineux (Etats-Unis avec plus de 500 000 morts sous Trump, le Brésil presque autant sous Bolsonaro).

Ce concept de « démocratie défaillante » (defective democracy) est en fait un concept qui a été promu par trois politologues, Wolfagang Merkel, Hans-Jürgen Puhle et Aurel S. Croissant, depuis deux décennies pour améliorer les distinctions entre démocraties, autoritarismes et totalitarismes, pour nuancer les types généraux de démocratie, et établir une classification didactique des démocraties « défectueuses », qui sont d’après eux au nombre de quatre : Exclusive democracy (tous les citoyens n’ont pas le droit de vote, femmes, minorités…) ; Domain democracy (lorsque les militaires interviennent dans la démocratie en plaçant leurs hommes au pouvoir) ; Illiberal democracy (lorsque l’Etat de droit est rétréci ou imparfait, les règles constitutionnelles ont peu d’impact sur les élus et le pouvoir judiciaire affaibli, c’est la forme la plus courante de démocratie illibérale; Delegative democracy (ici l’exécutif l’emporte sur le législatif et le judiciaire dont les pouvoirs sont limités, il exerce la démocratie par délégation) ; enfin Anocratic regimes (ce sont des dictatures avec une institution parlementaire démocratique, un mélange de démocratie et d’autoritarisme. C’est la définition même de l’anocratie. L’élite ne viole pas ici les élections, et encourage l’issue réelle des urnes).

C’est dire que pandémie ou pas, les démocraties défaillantes ont du chemin à faire pour entrer dans le cercle réduit de la noblesse démocratique. Cela est certainement plus aisé pour une vieille démocratie, comme la France ou la Belgique, qui étaient dans la catégorie des « pleines démocraties » jusqu’à l’année dernière, mais le chemin est plus long encore pour les permanents de la démocratie imparfaite, telles l’Afrique du Sud ou la Tunisie. La situation du Liban est plus grave encore. Elle était avant la guerre civile de 1975-1990, et bien avant la Tunisie, le seul pays arabe admis dans le cercle des « démocraties défaillantes ». La guerre l’a rabaissé à la catégorie des « régimes hybrides ». Elle y est demeurée.

Morale de l’histoire, la démocratie peut aussi bien avancer que reculer dans la vie des nations. Nulle démocratie n’est à l’abri du déclin, mais nulle autre n’est condamnée à y rester dehors, pour peu que les peuples surtout le veuillent.

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