Point de vue – Guerre civile en Israël

 Point de vue – Guerre civile en Israël

Un homme arabe, grièvement blessé, après avoir été sorti de force de sa voiture puis roué de coups par une foule de plusieurs dizaines de juifs, à Bat Yam, près de Tel Aviv, le 12 mai 2021. Kan 11 public proadcaster / AFP

On observe une mutation dans le conflit israélo-palestinien. La cohabitation entre Arabes et Juifs ne tient plus dans les villes mixtes. Une guerre civile se substitue à la guerre militaire, comme le montrent les derniers événements.

 

Il semble que le conflit israélo-palestinien et le déchainement de la violence ne se limitent plus aujourd’hui aux deux entités, groupes et camps politiques ou aux aspects militaires, ils sont désormais de type intercommunautaire. La violence des groupes politiques fait place à une guerre civile franche, à un débordement de haine et d’hostilité à l’intérieur même d’Israël, dans les villes mixtes, entre Juifs et Arabes qui ne se reconnaissent plus, n’ont plus envie de cohabiter. Incendies, agressions et lynchages se font en pleine rue entre voisins qui ne se tolèrent plus, qui s’excluent les uns les autres.

Netanhyahu a beau déclarer que « rien ne justifie le lynchage des Arabes par les Juifs et rien ne justifie le lynchage des Juifs par les Arabes », la justification n’en existe pas moins. Les incidents et les violences n’ont pas éclaté spontanément. La haine ethnique est professée et entretenue dans les discours et sur le terrain par des dirigeants israéliens, censés servir exclusivement leurs citoyens-coreligionnaires. La loi de 2018 sur l’Etat-nation accordait explicitement des droits à un groupe de citoyens et les refusait à un autre. Elle accordait le droit à l’autodétermination aux seuls citoyens juifs, en dépouillant le « citoyen » arabe de tout statut officiel. Netanyahu lui-même disait qu’Israël « n’est pas un Etat de tous ses citoyens ». Entendons, c’est un entre-soi, un curieux Etat qui bénit les uns et bannit les autres vivant sur son sol, et pourtant ses nationaux. Ce faisant, n’inspirant plus la confiance des citoyens palestiniens d’Israël par ses rhétoriques, Netanyahu a jeté son dévolu sur le camp raciste anti-arabe du pouvoir israélien.

Coexistence impossible

Les Palestiniens arabes sont édifiés. La coexistence pacifique est désormais intenable, même si elle était déjà reniée par le camp des sionistes puristes. Les récentes manifestations des Palestiniens contre la tentative d’expulsion de plusieurs familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est l’ont bien montré. Les forces de sécurité israéliennes ont réprimé les fidèles et les manifestants palestiniens à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, suscitant une condamnation vigoureuse de la part des gouvernements occidentaux et de l’opinion internationale.

Les Palestiniens et leurs partisans considèrent les expulsions comme l’objet d’une stratégie israélienne plus large et plus systématique, visant à les expulser de leur terre pour faire place aux colons israéliens. Après les tensions initiales autour d’Al-Aqsa, les groupes militants palestiniens Hamas et Jihad islamique ont commencé à lancer des centaines de roquettes sur des cibles israéliennes. Israël a riposté par des frappes contre des cibles palestiniennes dans la bande de Gaza et a rassemblé une force terrestre le long de la frontière du territoire palestinien. Comme toujours, on relève plus de morts du côté palestinien que du côté israélien. Les incidents entre les deux populations ont commencé à la suite des manifestations arabes de solidarité avec les Palestiniens de Gaza et d’Al-Qods-Est, notamment dans les villes qualifiées de « mixtes », villes intercommunautaires, comme Lod (appelée Lyda dans le passé) ou Tamra ou Al-Qods. Cela a dégénéré en des combats purs et simples entre manifestants, police israélienne et ultranationalistes juifs.

Innovation de la guerre civile

Cette guerre civile entre les deux communautés est l’innovation du jour du conflit. Destruction de bâtiments d’entreprises appartenant à des Arabes, incendie de synagogues, fureur des réseaux sociaux filmant des ultranationalistes scandant « mort aux Arabes » nous renvoyant à d’autres drames historiques, un automobiliste arabe lynché dans la banlieue de Tel Aviv, un homme juif poignardé au cou à Tamra. Les dirigeants israéliens n’ignorent pas que la guerre de l’intérieur est pire que la guerre externe, elle dissout l’unité d’un pays, à supposer qu’Israël soit déjà uni. Netanyahu ne s’est pas trompé lorsqu’il a décrit ces incidents comme la plus grande menace pour Israël, ni le président d’Israël qui a déclaré qu’ « une guerre civile serait un danger pour notre existence, plus que tous les dangers que nous avons de l’extérieur ». Voisin contre voisin dans les quartiers, lynchage contre lynchage, des deux côtés, surtout à Lod. Les dirigeants israéliens craignent la guerre civile parce qu’elle risque de leur faire perdre tout contrôle de l’Etat, et même de la nation.

La faille des villes mixtes

Les villes mixtes se sont avérées les véritables failles de l’Etat d’Israël et des sionistes invétérés. Elles l’étaient à vrai dire à la naissance, notamment à Lod. On le sait, dès l’arrivée des premiers sionistes en Palestine ottomane, il y a eu deux conceptions contradictoires de l’entreprise. Certains ont appelé à la coexistence multiethnique, d’autres à un Etat exclusivement juif ; certains ont préconisé un traitement égalitaire, d’autres étaient favorables à des droits spéciaux octroyés aux Juifs ; certains, tirant la leçon de l’Holocauste, ont considéré que le nettoyage ethnique est inacceptable, d’autres que l’Etat juif doit être garanti quel qu’en soit le prix, fut-ce celui de l’incohérence historique. Dans tous les cas de figure, le mélange des communautés dans les villes « mixtes » était une crainte plus ou moins ressentie, même par des progressistes. Les événements de Lod confirment cette crainte. C’est aussi le cas de Gaza, enclave entourée du territoire israélien. C’est également le cas d’Al-Qods, scindée depuis 1948 en partie occidentale et partie orientale (à prédominance palestinienne), comme le montre la crise du jour. Partout, ce sont les Palestiniens des villes mixtes qui ont d’abord rejeté l’ordre d’expulsion de six familles palestiniennes de leurs maisons à Al-Qods-Est au profit des colons. Ces villes mixtes sont ressenties par les Israéliens comme une menace démographique, mettant en péril la suprématie numérique des Juifs, ainsi que l’essence même de l’Etat d’Israël. C’est pourquoi d’ailleurs le droit au retour des Palestiniens est exclu par Israël. La « mixité » et la démographie sont, même pour Israël, parmi les plus grands obstacles à une paix durable. Les premiers dirigeants sionistes, conscients de ce fait, posaient trois postulats à leur nouvelle nation : un Etat démocratique, démographiquement juif (rien que juif) et étendu sur la Palestine. Dès la bataille de 1948, Lydda (Lod), ville mixte et devenue symbole de la mixité, était perçue comme un obstacle à la réalisation de ces objectifs sionistes. Au point qu’un écrivain israélien, Ari Shavit, écrivait, « Si un Etat juif devait exister en Palestine, une Lydda arabe ne pourrait pas exister en son centre ». Allusion aux villes mixtes, comme d’ailleurs à l’enclave gazaouie. Cela mettrait en danger l’Etat Israël de l’intérieur.

C’est dire que la guerre entre Israéliens et Palestiniens semble avoir trouvé en l’année 2021 un nouveau front, non pas dans les territoires occupés, non pas seulement à Gaza, mais à l’intérieur même d’Israël. La violence intercommunautaire dans les villes mixtes d’Israël opposant les citoyens juifs et arabes d’Israël les uns aux autres dans des rues et des quartiers où ils vivaient jusque-là pacifiquement côte à côte depuis des décennies. Ce type de violence, qui fera sans doute date, est pernicieux parce qu’il est intime, proche, opposant voisin contre voisin, comme le montre le lynchage d’un Arabe à Bat Yam, traîné hors de sa voiture pour être battu et frappé ou encore l’incendie de cinq synagogues à Lod.

Passivité des Etats-Unis

L’Amérique qui détient les clés du conflit ne semble plus pressée de rappeler à l’ordre son allié israélien. Les présidents démocrates, comme Obama, n’aiment pas beaucoup Netanyahu, mais ils ne veulent pas y aller au-delà. Leurs échéances électorales sont courtes. Dans l’ordre de priorité des Etats-Unis, on trouve la menace terroriste islamiste dont Hamas, affiliée au mouvement des Frères musulmans, classé par les Etats occidentaux, et même par l’Egypte, comme une organisation terroriste, en fait partie. L’aveuglement anti-islamiste des Américains vis-à-vis de Hamas continue de sévir auprès des Républicains, comme d’une partie des Démocrates, au point de perdre toute leur lucidité dans la résolution du conflit. Pas de paix dans la région associée aux islamistes, l’Autorité palestinienne étant en hibernation. Faut-il attendre la mise à néant de Hamas et la réunification des Palestiniens ? Mais la passivité des grandes puissances entretient la puissance de Hamas et provoque l’embrasement de la région. L’Etat américain, qui rejette le suprémacisme blanc chez lui, contraire à ses valeurs, tolère le suprémacisme juif en Israël. L’Etat américain, progressiste, défenseur des valeurs et des droits des peuples, anticolonialiste, feint de ne pas voir la colonisation comme une agression en profondeur, comme une attaque permanente contre les droits moraux d’un peuple palestinien dont on a du mal à briser le silence. Un peuple assujetti qui ne lui reste d’autre voie de recours que la résistance, l’opinion internationale et la Mosquée Al-Aqsa, qui apparaît par sa sacralité, comme le dernier grand rempart contre la domination israélienne, constituant une fantastique force de mobilisation morale parmi les Palestiniens et les musulmans en général, et même une force politique supérieure à celle de l’Autorité palestinienne (affaiblie) ou les roquettes de Hamas, qui a d’ailleurs cherché à s’associer à la défense d’Al-Aqsa, pour ne pas être en reste.

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