Macron : de la certitude des présidentielles aux incertitudes des législatives

 Macron : de la certitude des présidentielles aux incertitudes des législatives

Emmanuel Macron tenant son premier discours de chef de l’Etat français


Macron ne s’est jamais présenté à une élection, il n’a jamais été député ou élu. Le jour où il décide de s’y présenter, il remporte une élection présidentielle avec 66,1% au 2e tour face à Marine Le Pen, la candidate de l’extrême droite, qui obtient, elle, 33,9% des voix. En somme, 20,7 millions de voix sur un total de 47,5 millions d’inscrits se sont portées au second tour sur Macron. 


Il devient ainsi le plus jeune président de l’histoire française à 39 ans, dans un régime semi-présidentiel, dans lequel il aura une ascendance institutionnelle et sera en charge de l’essentiel. Même si la jeunesse n’est pas toujours un gage de réussite politique au pouvoir. Ce n’est pas un hasard si les deux plus grands présidents de la Ve République avaient les âges les plus avancés quand ils ont été élus : De Gaulle avait 68 ans et Mitterrand 64 ans.


En tout cas, la première élection personnelle de Macron lui permet, simultanément, de battre les vieux barons de la politique française, d’éliminer les candidats des deux grands partis de droite et de gauche, les Républicains et le Parti Socialiste, et mieux encore, de refondre le système politique français. Il est vrai que la joie de Macron est gâchée par une forte abstention de 25,38% des inscrits, qui ne se sont pas déplacés, un score à ajouter au record de bulletins blancs et nuls (11,5%).


Si Macron a pu réussir à rassembler les différentes forces politiques, Marine Le Pen a commis, elle, une erreur d’ordre stratégique. Elle a confondu le 1er tour et le 2e tour. Elle a fait son 2e tour en usant des arguments partisans propres au 1er tour, alors qu’elle est censée cette fois-ci ratisser large au-delà de ses bases électorales. Elle a préféré se réclamer de sa « France » à elle, pas si profonde et si historique que cela, et de sa « République » à elle, négatrice de celle de Victor Hugo. Elle a continué à user du même discours, à semer la haine et la discrimination, à défendre l’idéologie de la préférence nationale. Les autres  catégories politico-sociales des français ne comptaient pas. Cela manque de finesse politique. Elle a continué à faire une politique de rejet : des français d’origine musulmane, de l’élite, de l’oligarchie, du système, de l’Europe. C’est vrai que ces derniers le lui rendent bien. Mais, dans un combat politique, elle devait ne pas se résigner et tenter de forcer les choses. Il s’agit d’une élection présidentielle où elle est supposée s’adresser au peuple entier, et non d’une élection législative, réservée traditionnellement à ses bases. D’autant plus que le Front national est devenu une grande force politique. Lors du grand débat du 2e tour, Marine Le Pen a continué à faire de l’idéologisme national, de faible teneur intellectuelle. Chose qui lui a fait négliger la connaissance de ses dossiers. Tout le monde a découvert ses limites dans ce débat, même les membres de ses troupes. Sa seule réussite aujourd’hui, c’est qu’elle a réussi à être au 2e tour, en écartant les deux grands partis traditionnels, en renforçant le score de son mouvement par rapport à celui de son père en 2002, en ayant l’appui électoral de 11 millions de français.


Macron, lui, l’a vite compris. Sa philosophie de base est d’abord synthétique, consensuelle, pragmatique, qui refuse de trancher dans un sens ou un autre par des a priori. « Ensemble avec Macron » était son slogan. Il a misé, à la manière des anglo-saxons, sur le consensus des valeurs, celui de son inspirateur, le philosophe américain John Rawls. Un consensus qui ne peut choquer ni la gauche, ni la droite. Dès le 1er tour, alors qu’il était édifié par les sondages, il pensait déjà au 2e tour. Il n’a pas cherché à se faire des ennemis auprès des deux grands partis, Républicains et Socialistes. Il savait qu’en définitive, ces derniers n’avaient pas le choix et finiraient par voter pour lui, pour peu qu’il passe au 2e tour face à la candidate de l’extrême droite.


Il est vrai que le consensus autour de Macron ne s’est pas élargi au courant Mélenchoniste. Que Mélenchon, au nom de son mouvement« La France insoumise » se réfugie dans le ni-ni, au risque, il est vrai, de faire accéder l’extrémisme au pouvoir et de remettre en cause son sens démocratique, est une chose. Engagé dans le combat politique, il assume ses choix devant l’opinion, notamment aux prochaines législatives. Mélenchon doit se dire que Macron va après tout se faire élire aisément, à quoi bon lui ajouter les miens. Il préfère se positionner, et ne pas dilapider les forces de son mouvement pour la bataille des législatives, autrement plus importante pour son mouvement. Un mouvement qui est devenu grâce à lui, la première force de gauche, quoique la 4e au pays, d’après les résultats du 1er tour.


Mais, que des philosophes et des intellectuels français d'aujourd'hui, comme Emmanuel Todd et Onfray Michel, ne puissent pas assumer leurs choix moraux et philosophiques, en restant indécis face à deux ordres de valeurs pourtant d’inégale valeur, est une aberration. Ils passent leur vie à écrire sur la démocratie et à vanter ses mérites dans leurs livres, conférences et dans les médias. Mais le jour où ils sont appelés à choisir entre la démocratie et la montée aux extrêmes, entre l'égalité et la liberté d'un côté et la discrimination et la haine, d'un autre côté, ils se réfugient dans le confort du ni-ni. Le choix est pourtant fondamental, il est moins d'ordre politique que d'ordre philosophique et moral. Attitude nuancée d'une prédisposition d’esprit qui ne sert à rien dans le cas d'espèce, qui ne servirait pas du tout l'action pratique de leurs gouvernants, et qui n'aide pas leurs concitoyens à distinguer le bon grain de l'ivraie et à faire les bons choix. En 1927, Julien Benda, qui a écrit un fameux livre sur les intellectuels, « La trahison des clercs »,n’aurait pas compris au nom de quoi ces intellectuels « démocrates »voulaient malmener les valeurs de cette manière au moment même où ils étaient le plus sollicités.


Les élections législatives de juin prochain seront déterminantes pour Macron, pour avoir l’assurance de gouverner en s’appuyant sur une majorité ou alliance solide au Parlement, du moins si cet élan en sa faveur se poursuit. Dans le cas contraire, il cohabitera avec une autre force politique. Chose de nature à freiner l’élan de sa victoire présidentielle. Pour certains observateurs, la cohabitation législative ne sera pas dramatique dans la mesure où Macron se considère comme un candidat du consensus, se situant en dehors de la dichotomie droite-gauche. Mais cela gênera quand même un jeune homme politique sans grande expérience, qui vient juste d’accéder au pouvoir, et qui serait contraint dès le départ de surfer dans les méandres de la politique.


Mais la question qui se pose : Est-ce que la majorité présidentielle macroniste a des chances de se reproduire aux législatives pour son mouvement? Est-ce qu’on verra le retour des grands partis traditionnels, secoués aux présidentielles, à supposer qu’ils arriveront vite à se reconstituer ? Est-ce que Macron, qui n’a pas encore de parti bien structuré, a la possibilité de maintenir cet élan ? Aux législatives, il aura besoin d’un parti organisé. Si les présidentielles sont un face-à-face entre un homme et un peuple, aux législatives, il aura besoin d’un parti organisé dans toutes les circonscriptions pour conduire ses listes, donner des consignes d’alliance ou de désistement au 2e tour dans chaque circonscription. Par ailleurs, si on pense que Macron a profité d’une phase de déstabilisation conjoncturelle des deux partis traditionnels, on n’a aucun moyen de savoir si ces derniers vont continuer leurs descentes aux enfers aux législatives. C’est seulement au cas où le mouvement « En marche » parvient à avoir une majorité confortable aux législatives lui permettant de gouverner le pays, de constituer une alliance, qu’on pourra dire que le système des partis a été bouleversé et qu’il connaitra une nouvelle bipolarisation autour de En Marche et du Front national. Mais, encore faut-il que les deux grands partis traditionnels chutent de nouveau. Ce qui n’est pas encore démontré, du moins d’après le score de Fillon au 1er tour qui a obtenu 20,01% des voix, et qui s’est situé en troisième position. Surtout lorsqu’on pense que les Républicains ont été battus du fait personnel de Fillon, qui, faut-il rappeler, était premier dans les sondages, avant l’affaire Pénélope, quelques jours avant les présidentielles.


En outre, la voie centriste a été jusque-là peu porteuse dans la France de la Ve République. Le positionnement des partis et des électeurs se situait globalement autour des deux blocs idéologiques de gauche et de droite. Les différents mouvements centristes, comme leMRP (Lecanuet), le Parti Radical (JJ Servan Schreiber, puis J.L.Borloo), UDF ( Giscard d’Estaing) ou Modem (François Bayrou), sont souvent marginalisés, contraints pour exister de rallier les grands partis de droite ou de gauche. Or, Macron est un véritable centriste, contrairement au faux centrisme de Giscard. La culture politique française est beaucoup plus idéologique et schismatique que consensuelle. La pratique aussi, contrairement au souffle de la jeunesse dépolitisée qui s’agite autour du mouvement En Marche, annonciatrice peut-être d’une nouvelle ère citoyenne. Le schisme politique est, en outre, renforcé par le mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui favorise la division bipolaire. Tous les dirigeants des partis non présents au 2e tour, qui ont voté pour Macron, ont d’ailleurs pris soin de préciser qu’ils se situeront dans le cadre de leurs partis traditionnels aux législatives, et qu’ils ne considéreront la nature d’alliances à faire qu’en fonction des résultats. Il n’est en effet pas exclu que les forces démocratiques, de gauche, de droite et du centre, constituent une alliance républicaine et démocratique autour de « En Marche » contre Le Front national, au cas où ce dernier serait effectivement le grand parti d’opposition au Parlement.


Hatem M'rad