La démocratie a mal au rêve

 La démocratie a mal au rêve

© JOEL SAGET / AFP


La vague silencieuse mais brutale des urnes qui  a balayé, à l’occasion des élections présidentielles, la vieille garde politique continue son œuvre. Sur son élan, elle s’est élargie pour désarçonner  la plupart des carrières législatives qui se nourrissaient de leur propre inertie. 


L’Assemblée nationale française fait sa mue sous le regard absent des institutions partisanes frappées par l’apnée du sommeil politique.


L’hémicycle se prépare à accueillir la cohorte des adoubés de la « Macronie » réservant quelques travées aux derniers des Mohicans des anciennes tribus de gauche et de droite.


La partie de l’électorat qui s’est mobilisée pour les législatives semble l’avoir fait dans l’unique but de conforter le mandat qu’elle a donné, il y a un mois, au président de la République pour bouleverser le paysage politique et inaugurer une autre manière de gouverner.


Les citoyens venus aux urnes veulent plutôt éconduire l’ancien personnel politique qu’opter pour un projet politique dont ils n’ont qu’une très vague connaissance.


Durant la dernière décennie, la droite les a déçus. Elle a poursuivi la sieste politique du deuxième épisode Chirac ne se réveillant que pour des agapes claniques ou pour malmener la respectabilité des institutions de la République.


La gauche n’a pas tenu, non plus la parole qu’elle leur a donnée. Promettant de rétablir la gouvernante dans sa normalité, elle a ruiné la confiance des citoyens à l’intérieur et éteint l’aura du Pays à l’extérieur. Leur verdict est sans appel : l’alternance sans alternative se meurt.


La tentation est grande de confier les clés du Pouvoir aux nouvelles générations. Les générations numériques, mieux outillées pour envisager objectivement l’avenir. Elles sont nées avec la mondialisation, à l’heure de l’instabilité, du déficit et du chômage. Elles n’ont la nostalgie de rien. Elles peuvent tout envisager.


La solution est-elle si simple ?


Les citoyens qui ont fustigé par leur vote, ce qu’ils ont ressenti comme une longue inconséquence de leurs anciens représentants, peuvent-ils retrouver tranquillement leurs habitudes après avoir confié leur sort à un homme providentiel ?


Pensent-ils avoir mérité leur insouciance après avoir donné au « guide » les garanties de sa toute-puissance en bénissant ses compagnons ? En quoi le fait majoritaire est-il porteur de changement et surtout de progrès ? Le seul fait de montrer du tempérament peut-il constituer un projet politique ?


Une réalité aussi accablante soit-elle ne doit pas briser toute capacité de discernement. Le sort d’un pays  ne peut se jouer sur un mouvement de colère.


Aucune solution n’est envisageable si le malaise politique que vit aujourd’hui la démocratie parlementaire est attribué de façon aussi primaire que mécanique à la seule obsolescence des organisations  partisanes.


La démocratie a mal au rêve


L’économie consumériste, qu’elle se réclame d’un libéralisme débridée ou d’un socialisme atteint d’Alzheimer, a tué le rêve.


Pendant longtemps les valeurs de la démocratie ont épousé le sens de l’Histoire. L’Histoire elle-même tenait son sens du progrès humain.


Aujourd’hui le progrès scientifique et technologique est pris en otage par l’immédiateté matérielle.


L’Histoire fait du sur place et les valeurs humaines ont perdu leur espace d’épanouissement.


Les partis ne se sont pas désavoués parce qu’ils ne répondent plus aux attentes des citoyens mais parce qu’ils ont oublié  d’être  des  lieux de germination des idées et du partage du rêve.


Les partis ne sont plus que des machines électorales -grippées ces derniers jours- s’alimentant d’une militance mécanique pour produire des professionnels de la politique.


L’apparence l’emporte sur le labeur et l’audience sur le mérite. L’obsession de faire carrière étouffe les consciences et la probité se fait rare.


L’imagination s’est mise en berne et l’humanisme accuse un net recul.


Alors la République s’est mise en marche


Elle s’est mise en marche, manifestement pour se ressourcer dans ses idéaux de justice, d’égalité et de solidarité ; mais aussi d’engagement, de mobilisation et de progrès.


La République est en quête de son chemin entre un libéralisme impertinent et triomphateur et un populisme identitaire et souverainiste.


Mais avec quelle force peut-elle le faire ? Elle, qui part diminuée de plus de la moitié de son énergie citoyenne.


Une part importante d’elle-même qui ne croit pas que le réalisme économique puisse constituer, à lui seul, un projet de société.


Alors suffit-il de mâtiner l’implacable logique économique et financière d’une dose de « morale » pour redonner confiance à cette force « humaine » ? Rien n’est moins sûr.


Le régime parlementaire qui a franchi ses deux premiers siècles ne peut exister sans débat. Portée par une voie unique, la raison démocratique risque de s’essouffler.


L’espace politique est fait par ses animateurs. Les partis son condamnés à se reconstruire et à se réapproprier  la capacité d’inventer l’avenir. C’est de leur confrontation démocratique que se nourrit le projet républicain


A qui les électeurs offrent-ils de porter la question et la contestation ? Est-il trop tard de s’en inquiéter ?


M. Abbou