Indépendance ratée de la Catalogne
Déterminée, la Catalogne voulait aller au-delà d’une autonomie régionale ordinaire. Son parlement, qui se rappelle toujours de la devise de Notre Dame de la Real Sempre endavant mai morirem (en catalan: « Toujours en avant, jamais nous ne mourrons »), a déclaré solennellement et médiatiquement l’indépendance de la région.
Observons que le processus enclenché jusque-là, des premières manifestations aux évènements de destitution et de mise en tutelle récents, en passant par la déclaration d’indépendance du parlement de Catalogne de vendredi27 octobre, a le mérite de se dérouler de manière pacifique, civilisée, bon enfant. Pas de pierres jetées ni de vitres brisées, pas de casse. Une première dans l’histoire. Pas de terrorisme à la manière basque. Le gouvernement de la Catalogne y tenait dur comme fer.
L’Etat espagnol était surpris par la détermination du gouvernement catalan. Il croyait que celui-ci n’ira pas jusqu’au bout de sa logique, persuadé que la moitié des populations catalanes est restée loyaliste et non favorable à l’indépendance. Ce qui explique le débordement de l’Etat espagnol par les évènements. Les Catalans estiment d’ailleurs que l’Espagne a trop tardé à leur reconnaitre des droits importants réclamés depuis la fin du franquisme, comme l’autonomie fiscale. Ils estiment même que s’ils avaient l’autonomie fiscale, qu’on a par ailleurs octroyée à la principauté d’Andorre, située elle-même en Catalogne, il n’y aurait peut-être pas eu de volonté séparatiste. Ce qui n’est pas sûr. La situation de l’Etat espagnol ressemble au cas de divorce, où on est souvent surpris par la soudaineté de sa survenance, alors que ses causes sont souvent lointaines. On n’écoute pas l’autre, on ne prête pas attention à ses désirs, on ne respecte pas sa volonté, puis un beau jour, quand cela arrive, c’est la conflagration.
Certes, une bonne partie des Catalans se sent politiquement éloignée de l’Espagne « limitrophe ». Une idéologie anti-espagnole teintée de républicanisme, d’anti-monarchisme, de gauchisme prévaut sur le champ politique. On reproche d’ailleurs au président catalan Carles Puigdemont d’être sous l’influence de l’extrême gauche, farouchement indépendantiste. Mais, c’est la culture qui est dominante dans la revendication des Catalans. Ils ne se reconnaissent pas dans la culture espagnole. Ils ont interdit la corrida, ils n’aiment pas le flamenco, parce que ces traditions sont espagnoles, ils imposent leur langue contre vents et marées. Pourtant leur littérature et leur culture s’expriment aussi en castillan, à côté du catalan. Les manuels scolaires et l’éducation, du ressort de la région catalane, ont été déterminants dans la diffusion de la culture ou propagande autonomiste. Aujourd'hui, le catalan est la langue principale du gouvernement autonome de Catalogne et des autres institutions publiques qui relèvent de sa juridiction. Langue officialisée sur le territoire à côté du castillan. L'éducation publique de base est dispensée en catalan, à l'exception de trois heures par semaine consacrées au castillan.« Nous sommes une nation qui a une langue et une culture » a d’ailleurs déclaré Puigdemont le jour de la déclaration de l’indépendance par le parlement catalan.
Prolongement de leur culture et de leur volonté politique les médias ont joué un rôle essentiel. La chaîne de télévision catalane a toujours défendu la cause indépendantiste depuis des années. La télévision catalane « fanatise » à longueur des journées les Catalans, alors que l’Etat espagnol laissait faire passivement. Ironie de l’histoire, ce sont les contribuables espagnols qui ont financé la culture et l’éducation catalane favorables à l’autonomie. En Catalogne, même les Andalous et les enfants d’immigrés sont favorables à l’indépendance. Alors que les Catalans de souche sont souvent favorables à la double culture espagnole et catalane. Les indépendantistes taxent ces catalans de souche de « bourgeois » pour leur esprit d’ouverture et leur libéralisme.
L’Etat espagnol, Etat démocratique, membre de l’UE, qui est en train de reprendre en main la Catalogne pour réinstaurer l’Etat de droit, aurait lui aussi intérêt à faire patte de velours. Il se déterminera à l’avenir immédiat par rapport aux prochaines élections décidées par Rajoy en Catalogne, et qui auront lieu le 21 décembre. Elections à travers lesquelles il envisagerait de changer la donne, en mettant au premier plan les Unionistes. En tout cas, l’Etat espagnol ne manque pas de sévir. C’est la première fois en effet qu’il déclenche le mécanisme de l’article 155 de la Constitution de mise en tutelle d’une région séditieuse. Il a commencé déjà à rétablir « l’ordre constitutionnel », à saisir la justice, annuler les actes de rébellion, sanctionner les responsables, dirigeants et députés, substituer la police d’Etat à la police locale, saisir les médias « propagandistes », contrôler les subventions et les finances.
Il serait curieux de voir comment une crise séparatiste peut avoir lieu dans une démocratie consolidée. L’Espagne est surveillée par l’Union Européenne et ne doit pas mécontenter les Unionistes catalans. Mais comment l’Etat espagnol pourra-t-il appliquer l’article 155 et les mesures constitutionnelles sans recourir à un minimum de violence, comme il l’a montré le jour du référendum ? Il est rejeté, voire détesté par les catalans indépendantistes. Une intervention musclée de l’Etat espagnol risque d’unir encore davantage les catalans : séparatistes et non séparatistes. Les non indépendantistes, s’ils ne sont pas pour l’indépendance, n’en sont pas moins attachés à la culture, aux institutions et à l’autonomie catalanes. L’Etat espagnol est loin de l’ignorer.
La décision de mise en tutelle de la région de la Catalogne est prise contre des actes d’une région « insoumise et rebelle », qui a violé la Constitution. La décision d’indépendance ne peut être prise, d’après Mariano Rajoy, que « par l’ensemble des Espagnols, non par une partie d’entre eux ». Pour le roi Felipe VI, « La Catalogne est une partie essentielle de l’Espagne du XXIe siècle », et l’Espagne est un pays dans lequel « tous les citoyens (…) ont eu l’opportunité de trouver leur place dans la paix et la liberté, sans crainte ni peur de l’arbitraire, éloignés de la rancune et des ruptures…Nous ne voulons pas renoncer à ce que nous avons construit ensemble». Pour Carles Puigdemont, l’indépendance est « non négociable », du moins avant sa destitution. Le parlement de la Catalogne s’est prononcé dans ce sens. Il n’était plus possible, politiquement parlant, de revenir en arrière. D’ailleurs, c’est l’Espagne qui, d’après lui, a toujours refusé le dialogue. On le voit, c’est le langage des sourds. Pourtant Rajoy semble tendre la perche aux catalans en décidant une élection régionale dans quelques mois, même s’il a l’intention de rétablir le poids des unionistes par rapport aux indépendantistes, et même si cette élection n’implique pas en principe l’indépendance.
Deux décrets de destitution ont été pris en conseil des ministres extraordinaire vendredi dernier. Ils destituent le président régional catalan, Carles Puigdemont ; le vice-président catalan, Oriol Junqueras ;le gouvernement catalan, 12 ministres régionaux, ainsi que leurs collaborateurs ; les représentants du gouvernement catalan à Madrid et Bruxelles, et les ambassades catalanes à l’étranger vont fermer ; ainsi que le chef de la police régionale, actuellement en examen pour sédition. Le parlement autonome de Barcelone a été dissout, jusqu’à l’organisation de nouvelles élections régionales en fin décembre. Le pouvoir central prend encore le contrôle de domaines vitaux : l’agence fiscale catalane, la police autonome (les quelque 17 000 Mossos d’Esquadra), les médias publics (en particulier la télévision régionale TV3, clairement pro-Indépendance), et le centre de télécommunications. Cela veut dire aussi qu’on va revenir à la situation qui avait cours durant la guerre civile (1936-1939) ou durant l’ère franquiste : la région de Catalogne va perdre le contrôle de toutes ses institutions et le gouvernement catalan est vidé de sa substance.
Force est de constater que « La République indépendante » de la Catalogne a échoué, parce qu’elle a été bancale dès le début. L’indépendance a été déclarée par un parlement catalan déserté par la moitié de ses élus. Tout comme le référendum, adopté par la moitié des électeurs inscrits et malmené par la police d’Etat. Ce qui confère un caractère fictif à cette indépendance. La déclaration du parlement catalan a été encore adoptée par 70 votes pour, 10 contre et 2 votes blancs. Les 53 représentants de Ciudadanos (centre), Parti populaire (PP, droite) et Parti socialiste (PSC), hostiles à l'indépendance, avaient quitté l'hémicycle pour éviter de participer au vote. Pas donc d’appui politique interne. Les Unionistes ont manifesté en force dimanche dernier en Catalogne contre les indépendantistes et contre Pugdemont. Alors même qu'ils n'ont pas daigné voter au référendum.
Par ailleurs, aucun Etat n’a reconnu cette indépendance. Pas d’appui politique extérieur. Les Etats membres de l’Union européenne, victimes déjà du Brexit, ont déclaré aussitôt leur soutien à l’Etat espagnol. Les responsables politiques de la Catalogne semblent peu préparés au futur institutionnel, économique et diplomatique de la nouvelle République, aveuglés peut-être par l’état de prospérité économique de la Catalogne et par l’enthousiasme collectif et naïf de l’indépendance. Pourtant les milieux d’affaires et les entreprises ont commencé par donner le ton en quittant sur injonction du pouvoir espagnol la Catalogne.
Ainsi l’indépendance de la Catalogne aurait eu au total trois types d’adversaires : les Unionistes sur le plan interne, l’Etat souverain espagnol et les pays européens et étrangers qui ne l’ont pas reconnue. Les Catalans indépendantistes auraient dû au moins s’assurer du consentement massif des Catalans avant d’entreprendre quoique ce soit. Ne pas en avoir tenu compte leur a été fatal. Erreur de stratégie. Ils ont voulu faire une indépendance pacifique, non violente, démocratique, sans s’assurer de l’essentiel en ce cas : le consentement libre de l’ensemble de la grande majorité de la population. Chose qui ne lui permet pas d’établir un rapport de force avec l’Etat espagnol. Un paradoxe.
Hatem M'rad