Point de vue. Elections indécises jusqu’au bout

 Point de vue. Elections indécises jusqu’au bout

Présidentielle américaine 2024. Trump et Harris sur scène lors du dernier jour de la Convention nationale démocrate à Chicago, le 22 août 2024. (Photo de KAMIL KRZACZYNSKI et Mandel NGAN / AFP)

Les élections présidentielles américaines ont souvent été très disputées et indécises. C’est le cas encore aujourd’hui entre Kamala Harris et Donald Trump.

 

À la veille des élections présidentielles américaines de novembre 2024, la compétition entre Kamala Harris et Donald Trump s’annonce particulièrement serrée pour plusieurs raisons, même s’il arrive souvent que les présidentielles américaines soient indécises jusqu’au bout.

Dans l’histoire américaine, et depuis la fondation de l’Etat fédéral, l’opinion et les partis étaient souvent divisés en deux camps plus ou moins équilibrés, parfois radicalisés : partisans du renforcement de l’Etat fédéral à l’origine (les Fédéralistes devenus plus tard les Démocrates) contre partisans de l’autonomie des Etats fédérés (les Républicains) ; Nordistes (contre l’esclavage) face aux Sudistes (pour l’esclavage) ; aujourd’hui, conservateurs (Républicains, contre l’avortement, LGBT, suprémacisme, et favorable au durcissement sécuritaire) contre progressistes (Démocrates, proches des minorités et favorables aux mesures sociales et équitables).

Ainsi, les élections présidentielles américaines successives ont souvent été très disputées entre les deux camps, souvent représentés par deux leadership rivaux (notamment John Adams-Jefferson ; Kennedy-Nixon; Obama-Trump; Trump-Hilary).

Kamala et Trump n’échappent pas à la règle des clivages historiques et politiques de ce pays. D’ailleurs, les sondages ne sont tout à fait favorables ni à l’un ni à l’autre. Leurs taux respectifs d’intentions de vote fluctuent depuis quelques semaines, et quotidiennement, tant à l’échelle fédérale qu’à l’échelle des Etats fédérés dont les grands électeurs sont inégalement répartis selon les Etats. Et ce sera ainsi jusqu’au jour de l’élection.

 

>> A lire aussi : Point de vue – Tunisie. Cette élection a-t-elle un sens politique ?

 

La base électorale de Trump reste solide. En tant qu’ancien président, ce grand capitaliste qui a réussi dans les affaires, mais qui reste un intrus en politique, conserve une base électorale convaincue et fidèle, notamment parmi les électeurs républicains conservateurs, séduits par son populisme viril et agressif.

Trump a eu l’intelligence de maintenir une forte présence dans le débat public depuis la fin de son mandat en 2021, en jouant au leader de l’opposition face à Biden. Il ne s’est pas fait oublier, comme de nombreux candidats américains qui vont et viennent de manière discontinue sans parvenir à rester durables. Ses thèmes de campagne, souvent centrés sur le nationalisme, la sécurité économique, et le rejet des élites et des médias, continuent de résonner auprès d’une large partie de l’électorat.

 

>> A lire aussi : Point de vue. Des élections sans élection

 

Kamala Harris joue, elle, sur l’expérience, la compétence (ancienne procureure) et l’héritage de la vice-présidence aux côtés de Biden. Elle représente un choix historique et progressiste, avec l’opportunité de devenir la première femme présidente, et de couleur, des États-Unis.

Kamala a souvent été critiquée pour son manque de visibilité sur la scène nationale, pour son caractère pas assez trempé en politique, et même pour ses bévues durant la vice-présidence. Mais elle bénéficie de l’appui de l’administration Biden, de l’électorat démocrate et des minorités. Son programme progressiste (favorable entre autres à l’avortement) pourrait séduire les électeurs urbains, les jeunes, les femmes et les communautés minoritaires.

Certains observateurs américains considèrent qu’aujourd’hui les femmes sont plus résolues à voter qu’auparavant, et que quantitativement, il y a plus de femmes diplômées que d’hommes. Or, ces femmes diplômées votent de plus en plus démocrates et progressistes. Mais Kamala Harris fait face à un défi : elle n’est pas assez outillée pour convaincre les modérés, les indécis et les indépendants, qui font souvent pencher la balance, même si elle ne manque pas de charisme.

 

>> A lire aussi : Point de vue – Tunisie. L’imprévisible en dictature

 

Les États-Unis sont extrêmement polarisés, et cette division est un élément central de la difficulté à départager Harris et Trump. Le vote est traditionnellement motivé dans ce pays par des considérations économiques et aussi par une évaluation objective des performances des candidats. Mais il est aujourd’hui davantage motivé par des considérations idéologiques, surtout avec le populisme de Trump.

Cela rend la campagne encore plus imprévisible, d’autant plus que les enjeux sociaux, économiques et géopolitiques affectent différemment chaque électorat et la complexité des groupes, catégories, Etats fédérés et minorités.

Les enjeux économiques et sociaux, notamment l’inflation, la gestion de la reprise post-pandémique, et les tensions internationales, comme le conflit en Ukraine ou le conflit israélo-palestinien – qui, visiblement gêne beaucoup plus les Démocrates, en pesant sur la crédibilité de leurs valeurs, que les Républicains, habituellement proches d’Israël – pèsent lourd sur cette élection. La capacité des candidats à convaincre qu’ils sont les mieux placés pour gérer ces crises influencera fortement le vote final.

Par exemple, Kamala Harris est à l’aise quand il s’agit de dénoncer l’âge ou la corruption de Trump, qui traîne plusieurs affaires judiciaires derrière lui, qui pourraient influencer certains électeurs indécis. Quoique ces attaques semblent aussi renforcer la solidarité au sein de sa base, et sont perçues comme des armes de combat politique de type politicien. Mais Kamala est moins à l’aise quand elle cherche à se positionner d’une manière plus ou moins neutre face au conflit israélo-palestinien.

 

>> A lire aussi : Point de vue – Tunisie. Les dangers de l’inconnu sur inconnu

 

En somme, l’élection 2024 pourrait se jouer sur la capacité de chaque candidat à mobiliser sa base, tout en séduisant les électeurs indécis, les modérés, et les indépendants dans les États charnières, les fameux « Swing States », qui changent souvent de camp d’une élection à l’autre, et qui bouleversent souvent les résultats électoraux à la dernière minute.

Ces 7 Etats décisifs sur 50 (Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada, Caroline du Nord, Pennsylvanie et Wisconsin), ne penchent sociologiquement, électoralement et historiquement ni pour un parti ni pour un autre.

L’autre incertitude des élections américaines, c’est qu’un candidat a beau être soutenu par une majorité numérique de votants à l’échelle nationale, il peut perdre une élection et être battu sur le plan des grands électeurs, inégalement répartis selon la population des Etats fédérés. Hillary Clinton a battu Trump en obtenant une majorité numérique, mais elle a été battue par lui à l’échelle des grands électeurs dans les différents Etats.

Ce qui est sûr, c’est qu’aux Etats-Unis, on ne gagne jamais une élection présidentielle à l’avance. Et tant mieux pour la démocratie.

 

Hatem M'rad