Point de vue. Du délire en politique

 Point de vue. Du délire en politique

Le délire est une de ces déviations mentales ou neurologiques présentes dans le monde politique. C’est pourquoi on a du mal à juger d’une politique délirante qui soit opposée aux normes politiques et à la raison gouvernante.

 

Il est difficile de théoriser ou de faire appel à la notion de « délire » en politique. On sort ici de la logique purement rationnelle de la politique pour entrer dans le monde occulte de l’imaginaire, du psychologique, des illusions et des hallucinations. Mais, comme disait récemment le constitutionnaliste Didier Mauss, parlant il y a quelques jours sur BFMTV des différentes psychologies des acteurs politiques français et de leur insaisissable attitude et engagements au moment de la désignation d’un premier ministre par Macron, « les politologues et les commentateurs politiques devraient s’appuyer sur les psychanalystes pour les aider à comprendre en profondeur les attitudes politiques de ces acteurs ». Car il y a un seuil au-delà duquel les politologues se trouvent désarmés. Il est en effet très difficile de démêler l’écheveau et de distinguer dans certains cas le rationnel de l’irrationnel dans les attitudes politiques des acteurs ou dans l’attitude des hommes au pouvoir en Occident ou dans les dictatures en général (du Nord et du Sud). Eblouis par leurs propres pouvoirs ou « performances (se considérant comme un vainqueur en accédant au pouvoir), pour lesquels certains n’ont même pas été formés, ces dirigeants tombent assez souvent dans une sorte de « délire politique » irrationnel et dangereux. César, Napoléon, Mussolini, Hitler, Bokassa, Saddam, Bourguiba, Kadhafi, Trump, et bien d’autres encore, n’étaient pas extérieurs au delirium politique, qui est une « confusion » (de l’esprit) dans la confusion (politique). Ils étaient habités au minimum par le délire mégalomaniaque et le délire de persécution, certains plus intensément que d’autres.

 

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En lui-même, le « délire politique » fait référence à un discours ou à des idées qui s’écartent de la rationalité ou des normes acceptées dans le domaine politique. Ce terme peut être utilisé pour décrire des théories du complot, des prises de position extrêmes, ou des conceptions radicales qui semblent irrationnelles, fantaisistes ou dangereuses. Dans certains cas, cela peut aussi renvoyer à des comportements ou des propos exagérés ou incohérents de la part de dirigeants ou de personnalités publiques. L’expression peut s’appliquer à des situations où la politique semble dominée par des passions, des illusions ou des visions déconnectées de la réalité, ce qui peut entraîner des décisions ou des débats contre-productifs.

 

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Le « délire » est en psychologie une perturbation globale, tantôt réversible, tantôt chronique, du fonctionnement de la pensée. Il ne s’agit pas d’une croyance fondée sur de fausses informations ou sur un dogme politique. Les délires surviennent souvent dans le cadre d’une maladie mentale ou neurologique, même s’ils ne sont pas liés à une maladie particulière. Le psychiatre et philosophe Karl Jaspers a défini trois principaux critères de délires dans son ouvrage Psychopathologie générale en 1913 : 1) le fait d’être sûr de cette croyance avec une conviction absolue. La certitude fait le délire ; 2) le fait que la croyance ne puisse pas être changée par des contre-arguments convaincants ou par la preuve du contraire ; 3) la fausseté ou l’impossibilité de la croyance (qui ne vaut même pas la peine d’être discutée). Ce qui vaut ainsi pour les hommes en général vaut également pour les hommes politiques, et notamment pour ceux qui sont au pouvoir et qui bénéficient d’un pouvoir absolu dans l’Etat.

 

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Il y a bien sûr, d’après les psychanalystes, plusieurs types de délire, appelé aussi « syndrome confusionnel ». Du délire de revendication (conviction d’un préjudice subi) au délire mystique (hallucinations liées à une religion, complotisme, spiritualité, occultisme) en passant par le délire nihiliste, le délire de référence (tout ce qui l’entoure possède une signification personnelle), l’érotomanie (délire d’être mal aimé), l’hypocondrie, la jalousie, le délire mégalomaniaque (convaincu de posséder des pouvoirs et des talents spéciaux), les délires de persécution (le type le plus répandu), on le voit, la palette est très large. Ces types de délire ne semblent pas exclusifs les uns des autres. On peut penser qu’un homme puisse cumuler plusieurs types. L’un rattrapant l’autre ou l’un prédominant par rapport à l’autre. Délire nihiliste, délire mystique, érotomanie, délire mégalomaniaque et délire de persécution peuvent se retrouver ensemble chez un homme au pouvoir à des degrés différents.

 

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Oui, la psychanalyse est d’un grand secours aux commentateurs politiques, qui butent généralement sur cet aspect lié à ce qu’on appelait dans l’antiquité « l’obscurité de l’âme » ou le « monde des ténèbres ». L’homme au pouvoir qui confisque toutes les compétences de l’Etat, qui  se met au service de la tyrannie est un homme qui se sent déjà persécuté et victime du complotisme. Il entre dans un interminable delirium. Il va braquer contre tout et bloquer tout. Le délire politique rend alors les choix politiques imprévisibles d’autant plus que l’idéalisme du délirant se heurte à une réalité complexe et rebelle de la gouvernance, sur laquelle il a du mal à avoir une emprise, en dépit de tous les « pouvoirs » possédés. C’est un déni (celui du délire) contre un autre déni (celui de la réalité). Passions, illusions, fantaisies, propos exagérés et propos incohérents se substituent à une perception lucide, paisible et rationnelle du jeu politique et de l’action gouvernante. Les citoyens, naïfs ou éclairés, en sont les principales victimes, ainsi, que les institutions de l’Etat par ricochet.

 

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Il y a certainement une forme de délire chez tous les hommes au pouvoir, résolus à concentrer tous les pouvoirs entre leurs mains. La dictature ne suffit pas à expliquer cet état de fait. Oui, mais pourquoi veulent-ils la dictature ? Pourquoi certains cherchent-ils à concentrer tous les pouvoirs alors que d’autres hommes au pouvoir, plus démocrates, se contentent de gouverner prudemment et modérément, en faisant une large place aux autres, aux opposants, aux contradicteurs, aux opposants, aux contre-pouvoirs ? Le délire, c’est de voir, sans doute par une confusion mentale, le mal partout, de se sentir la cible de tout le monde. Il confisque alors les pouvoirs. Celui qui cherche alors à faire peur, à inspirer la crainte, est justement celui qui qui craint le plus les autres, celui qui est hanté par la peur et la persécution. D’où les incohérences du discours et de l’action, d’où le danger décisionnel dans cet état politique de fait.

 

Hatem M'rad