Point de vue. Des élections sans élection

 Point de vue. Des élections sans élection

Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Les élections sans élection sont des procédés courants en dictature comme parfois dans les démocraties. Les prochaines élections présidentielles tunisiennes épousent largement les contours de ce type.

 

Une « élection sans élection » semble aussi paradoxale qu’aberrante, car le concept même d’une élection implique un processus de sélection par le biais du vote ou d’une autre forme de choix démocratique ou procédural.

Un élu, quel qu’il soit, président, député ou maire, est d’abord un homme choisi par des électeurs. Un élu est un homme qui a la préférence des électeurs, et sélectionné parmi plusieurs candidats dans une élection plurielle ou multipartisane.

Cependant, il existe des situations où une élection peut avoir lieu sans un véritable processus compétitif ou participatif, comme c’est le cas des élections présidentielles du 6 octobre, sur lesquelles un président en exercice a posé sa tutelle par la force et le détournement de la loi.

L’histoire des régimes politiques autoritaires ou semi-autoritaires nous livre d’ailleurs quelques procédés de ce type qui pourraient être interprétés comme une élection sans élection.

 

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D’abord, il peut s’agir d’une absence totale de concurrence, un peu comme dans les systèmes monarchiques, dans un processus pourtant électoral, du moins dans le sens procédural du terme. Si un seul candidat ou un seul parti se présente, et qu’il n’y a pas de concurrents, cela peut sembler une élection « sans élection », car le choix est déjà fait par défaut.

Dans les systèmes de parti unique du passé, qui étaient légion dans le monde arabe, africain et tunisien, comme sous Bourguiba, on ne croyait pas au slogan « un homme, une voix », mais à celui qu’on pourrait appeler « un homme, toutes les voix ». Un seul candidat est autorisé aux présidentielles, le dictateur ; en conséquence, une seule liste aux législatives est anoblie, celle du parti unique du président-dictateur.

Il peut s’agir, comme en Amérique Latine, de présidents élus ou de militaires qui ont succédé à un président décédé, ou de personnes ayant fait un coup d’État à la suite duquel ils se sont autoproclamés présidents à vie, après musellement progressif de toutes les institutions de l’État.

Une des excroissances de ce système, c’est que le président-dictateur peut glisser vers la présidence à vie, avec un mandat à durée illimitée jusqu’à son décès ou l’attestation de son incapacité manifeste à gouverner.

 

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Il peut s’agir aussi d’élections symboliques. Dans certains régimes autoritaires, des élections sont organisées, mais elles sont souvent manipulées ou truquées, au point que les résultats sont connus d’avance.

Dans ce cas, le processus électoral est purement formel, sans véritable impact sur la sélection des dirigeants. Ni campagne électorale et confrontation démocratique d’idées ni élections sincères et transparentes.

Les candidats, réels ou virtuels, s’opposant au président en exercice, lui-même candidat à sa propre réélection, sont contrôlés, harcelés, et peuvent même être emprisonnés, comme le candidat Ayachi Zammel en Tunisie, devenu un « martyr électoral » pour avoir présenté légalement sa candidature aux présidentielles du 6 octobre, et comme avant lui les autres candidats potentiels de l’opposition, qui croupissent depuis une année dans les geôles.

Ben Ali écartait subtilement les candidats concurrents par des procédures constitutionnelles arbitraires et transitoires, pour se vanter par la suite de ses scores avoisinant les 95 % ou 90 %.

Saied, lui, les met radicalement et brutalement en prison. Tous deux entretenaient le clair-obscur, en organisant des élections de façade concurrentes, mais s’évertuaient à ne laisser en lice que des candidats autorisés par eux.

Il se trouve que Zammel, qui a réussi à passer le filtre du contrôle de l’ISIE et de Saied, s’est aussitôt présenté comme un candidat libre qui voulait changer l’ordre politique présent et « tourner la page ».

Cela a déplu au candidat potentiellement unique et a séduit le peuple dissident de Saied. D’où les improvisations de dernière minute du côté du pouvoir et le chaos électoral ambiant, suscitant le doute chez les Tunisiens, qui se demandent si cette élection en est vraiment une et s’il faut vraiment déposer le bulletin dans l’urne.

 

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Il peut s’agir encore de nomination automatique. Il existe des systèmes où certains dirigeants ou représentants sont nommés par une instance supérieure sans qu’il y ait de véritable vote populaire ou interne. Par exemple, dans certains contextes monarchiques ou théocratiques, les leaders sont désignés par droit héréditaire ou par une autorité religieuse.

En d’autres termes, il s’agit d’une élection où les candidats sont sélectionnés ou nommés sans passer par une campagne ou une candidature volontaire.

Ce type de système pourrait être mis en place pour des raisons diverses, telles que des besoins d’efficacité, le respect de quotas, ou encore pour s’assurer que certaines compétences ou représentations sont garanties.

Il est vrai que ce type de processus est rare dans les démocraties classiques, car il s’oppose à l’idée de compétition ouverte et de liberté de candidature. Cependant, il peut être envisagé dans des contextes où le choix des candidats est limité à un cercle restreint, comme dans certaines organisations, entreprises ou structures politiques, notamment dans des régimes où l’égalité de participation n’est pas une priorité.

Il peut aussi prévaloir à l’intérieur des partis en démocratie, où souvent on se plaint du manque de transparence, et où le candidat à la direction du parti est souvent connu d’avance, réduisant son élection à une désignation automatique. En pratique, les électeurs choisissent ici une seule personne parmi un ensemble restreint de candidats déjà prédéterminés par une autorité centrale ou un comité.

 

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Il peut enfin s’agir d’un processus d’acclamation. Une élection peut se faire par acclamation, où il n’y a pas de vote formel, mais plutôt un consensus unanime ou apparent qui désigne un candidat ou un parti.

Une élection basée sur l’acclamation est un processus de décision collective où les participants expriment leur accord ou leur soutien à un candidat ou à une proposition de manière vocale ou symbolique, souvent par des applaudissements ou des cris, plutôt que par un vote formel.

Ce type d’élection est couramment utilisé dans des assemblées ou des réunions où se manifeste un consensus général et qu’un vote secret ou formel serait superflu, comme dans les assemblées inféodées à un dictateur, qui se trouvent condamnées à voter par acclamation en sa faveur. Un procédé qui s’acclimate beaucoup au tempérament des dirigeants fascistes de type Hitler ou Mussolini.

Dans ce cas, si une majorité manifeste clairement son soutien par des acclamations, le candidat ou la proposition est considéré comme élu ou adopté sans la nécessité de compter des bulletins de vote. Cependant, ce type d’élection peut poser problème si l’unanimité n’est pas évidente ou si certaines voix ne sont pas entendues, rendant difficile la vérification d’un consensus réel.

 

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Dans tous ces scénarios, bien que le terme « élection » soit utilisé, le processus démocratique ou compétitif est en réalité absent ou fortement limité. On peut alors parler d’une « élection sans élection » ou d’une élection en trompe-l’œil, où la forme est ostensiblement plurielle et le fond rempli par le vide.

 

Hatem M'rad