Point de vue. Défaite personnelle de Macron
La défaite de la majorité macronienne aux élections européennes au profit de l’extrême droite annonce le déclin d’un président qui croit tout réussir en voulant tout faire et tout assumer.
Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, en réponse à la défaite cinglante de sa majorité aux élections européennes et à la victoire du Rassemblement national et de l’extrême droite, et de soumettre ce conflit de majorités à l’arbitrage du peuple. Les sondages prévoient en effet la percée du FN aux prochaines législatives du 30 juin. C’est même inéluctable, dans la foulée des européennes. Dans un sondage Elabe post-européennes, réalisé pour « La Tribune Dimanche » et BFMTV, le RN recueillerait 31% des voix devant l’alliance de gauche (28%) et le camp macroniste, piteusement en troisième position avec 18% d’intentions de vote. Avec ou sans l’appui de Reconquête d’Eric Zemmour et de quelques Républicains en mal être, le Rassemblement national de Marine Le Pen sera le courant politique à partir duquel se constituera la prochaine majorité. Quant au pronostic de victoire, et sauf alliance contre-nature (hypothèse gauche-macronistes), 43% des sondés voient le RN vainqueur contre seulement 10% pour la gauche et les macronistes. C’est une lame de fond de l’extrême droite populiste qui pointe à l’horizon en France, comme on l’a observé un peu partout dans les élections de cette dernière décennie dans les autres pays occidentaux.
Le président Mitterrand a été certainement le premier à ouvrir la porte à l’extrême droite en modifiant le mode de scrutin au profit de la proportionnelle (modification qui a provoqué la démission de Rocard) en prévision des législatives de 1986, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la Ve République, alors que les sondages étaient mauvais pour la gauche. Les sondages donnaient une large défaite de la gauche avec le scrutin majoritaire à deux tours. En changeant le mode de scrutin, Mitterrand a réussi à diviser la droite et faire entrer pour la première fois les députés de Jean-Marie Le Pen au Parlement, mais la majorité RPR-UDF est passée avec une courte majorité. Un système de cohabitation s’ensuivit entre un président de gauche et une majorité parlementaire et gouvernementale de droite.
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Mais si le machiavélique Mitterrand n’a pas permis à l’extrême droite d’accéder au pouvoir, même s’il a déclenché pour la première fois le système de cohabitation, le président Macron est sur le point de le faire. Il sera le premier président de la Ve République à faire rentrer l’extrême droite au pouvoir. Une cohabitation moins confortable l’attend au tournant. Il préservera certes la diplomatie, domaine réservé du président, mais il n’aura pas voix au chapitre dans la politique nationale, qui sera conduite par le couple gouvernement-Parlement de la majorité de Marine Le Pen.
Cette victoire de l’extrême droite s’explique surtout par l’inflation macronienne du pouvoir et son obstination à vouloir toujours gouverner seul, sans les autres, sans même ses collaborateurs. Depuis 2017, Macron veut être partout, à la présidence, au gouvernement, au Parlement, en Europe, dans les médias, dans les débats, dans les interventions et discours quotidiens, dans la rue (où il s’est fait gifler sans doute par abus de proximité), dans les réseaux sociaux, auprès des artistes et des stars de football. Il veut être la seule voix qui compte de la France, l’incarnation exclusive et légitime de la République. Il a fini par ramener toute la démocratie française à lui, puis contre lui. Le pouvoir personnel a un prix.
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Macron, ce brillant technocrate, qui a très peu de vécu politique et militant et pas d’instinct de tueur politique, ne sait pas s’entourer de grands hommes comme ses prédécesseurs. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy étaient toujours entourés d’hommes politiques d’expérience et de collaborateurs d’envergure, même s’ils étaient portés au pouvoir. Macron veut être seul aux commandes, se délectant même d’être seul contre tous les autres. Mais lui, il n’est plus la République, cette chose de tous, devenue sa chose à lui. D’ailleurs son attrait indéfectible de la communication, non sans artifice, est au fond un amour de soi puéril. Il y a quelques moins, Alain Minc, dans un entretien au magazine « Le Point », disait que si on appliquait les doubles notions anglaises signifiant la « politique », il donnerait à Macron 17/20 en « policy » (programme politique) et 7/20 en « politics » (gestion des conflits). Or, deux mandats ou pas, si on est défaillant dans la gestion des conflits politiques, si on voudrait être à la fois l’Un et le Multiple, si on ne voudrait pas avoir d’interlocuteurs pour gérer les crises, si on n’écoute pas ceux qui ne pensent pas comme nous, on a peu de chance d’aller loin, historiquement parlant.
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L’homme politique français qui a le plus marqué l’histoire politique contemporaine (au même titre d’ailleurs que Napoléon), le général de Gaulle, n’a jamais gouverné seul, même s’il savait prendre de la hauteur. Il était entouré par d’illustres collaborateurs à qui il faisait largement confiance. Plusieurs de ses successeurs à la présidence ont été ses propres collaborateurs (Pompidou, Giscard, Chirac). De Gaulle savait être au-dessus de la mêlée. Il était « en charge de l’essentiel », comme il disait. Car « L’intendance suit » toujours, notamment au gouvernement. Macron a dévalorisé la fonction présidentielle en voulant être partout, à s’occuper de l’essentiel et de l’accessoire. Le président technocrate, qui n’écoute personne, doit penser qu’il est seul à comprendre tout. Tout doit venir de lui. Fierté d’une intelligence arrogante. C’est sans doute son jeune âge qui le porte à croire et à agir ainsi. Il voulait tellement s’occuper de l’intendance, des détails, qu’il a fini par ressembler à des ministres ou à des Premiers ministres, à des secrétaires d’Etat, voire à un très banal président. Il a oublié de prendre de la hauteur, surtout dans un régime politiquement présidentiel. Il est fier d’être la cible de tous. « Il assume », disait-il après les européennes. Il a toujours « assumé ». Il est obligé d’assumer aujourd’hui après la défaite.
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Que retiendra l’histoire politique de la Ve République du président Macron ? Elle retiendra l’idée que Macron est arrivé au pouvoir par accident. Sans l’affaire Pénélope, François Fillon serait président et le grand parti républicain sauf (Macron était en troisième position dans les sondages, trois mois avant les présidentielles de 2017). Si bien que s’il a incarné dans le premier mandat, plutôt la sanction de la vieille classe politique et les grands partis (corruption de Sarkozy, de Fillon et son épouse, etc.), il incarne aujourd’hui le mépris des Français, toutes catégories sociales confondues.