Daech, la grande épreuve des démocraties

 Daech, la grande épreuve des démocraties

Des combattants daechiens. Newscom / dailysignal.com


 


Hatem M’rad


Professeur de science politique


 


Daech, tout le monde en parle, personne ne veut y mettre fin. On a tout dit sur ce Léviathan, on a encore peu fait, en tout cas rien défait. C’est du moins ce que croit et ressent à juste titre l’opinion mondiale et l’opinion arabe : toutes au point de mire. Face à la barbarie déshumanisée, face au terrorisme hollywoodien de Daech, l’opinion parle en termes de victimes, d’atrocité, d’horreur, de sang, de massacre, alors que les grandes puissances se complaisent encore dans le jeu diplomatique, stratégique, d’équilibre américano- russe, de nuances, de calculs et de subtilités de politique étrangère : celle de l’Union européenne, de la France ou de la Grande-Bretagne.


 


Daech se délecte de la médiatisation mondiale de ses attentats, comme le dernier en date, celui de Bataclan à Paris, ou encore celui de Sousse ou d’ailleurs. Les terroristes n’ignorent pas que les démocraties aiment parler, trop parler, voire palabrer, disséquer, contredire, se disputer dans les joutes oratoires à la télévision, dans la presse écrite, dans les radios ou dans les réseaux sociaux. Elles en parlent au grand jour, théorisent, dissertent et polémiquent sur le terrorisme et sur Daech dans ses moindres raffinements. Mais il y a un temps pour tout, un temps pour l’analyse, un temps pour l’action.


 


Les démocraties occidentales en arrivent à faire de Daech un film d’horreur, mais un film de fiction, qui n’atteint pas le moins du monde le monstre vivant. Daech, comme tous les mouvements terroristes, sait que les pouvoirs démocratiques doivent ménager leurs opinions, que les démocraties sont hésitantes, balbutiantes. Elles pèsent le pour et le contre, elles sont foncièrement pacifiques. Elles croient aux procédures, aux formes, aux garanties de droit. Au même moment où Daech est passé maître dans les procédures d’exécution rapide et instantanée. La mort est même devenue un acte artistique abominable qu’on met en scène dans un film ou vidéo, avec des acteurs, des réalisateurs et des producteurs.


 


Leurs troupes sont disséminées comme des taupes à l’intérieur même des vieilles démocraties occidentales et des pays arabes.  Des daechiens européens tuent des européens, des daechiens arabes tuent des arabes. La distribution stratégique ou cinématographique est sauve. Ces militants de Dieu profitent du système démocratique, des espaces publics, des mosquées, des associations qataries ou saoudiennes faussement caritatives, pour déblayer le terrain du terrorisme abject par le lancement de cris de haine, par le verbe hostile, l’esprit guerrier, discriminant, qui frappe l’émotion des sans esprits, l’imagination des jeunes des familles émigrées, comme des moins jeunes européens, au cœur même du vieux continent ou dans les villages et montagnes arabes les plus reculés.


 


Daech, en première ligne contre l’ennemi introuvable ou injoignable fait office de défenseur des grandes causes de la civilisation arabo-musulmane en perte de vitesse, de plaideur des pauvres et humiliés contre les riches occidentaux arrogants, des victimes palestiniens contre l’ennemi et occupant israélien. Daech est puissant, Daech est un « Etat ». Donc Daech est l’islam, il est Dieu. Il tue, exécute, égorge au nom de Dieu. Le jihadiste daechien, enveloppé de bombes, sera récompensé dans l’au-delà, même si l’islam interdit le suicide. On maquillera alors le suicide par la martyrologie, qui elle, frappe davantage l’esprit des vivants.


 


Aujourd’hui les peuples victimes de Daech sont en détresse, ils appellent les politiques, les pouvoirs du monde, les responsables occidentaux comme arabes, à assister les peuples en danger, à agir, à mettre fin à ce groupe exterminateur, à cesser de s’indigner ou de parler de stratégie ou de se rencontrer dans des G8 ou G20 ou à l’OTAN et de se résoudre à mener des actions, à conduire une guerre impitoyable à la mesure de l’effroyable monstre. Combien de morts, combien d’attentats, combien de destructions et d’horreurs les peuples doivent-ils encore attendre pour que les puissances et les Etats arrivent à mettre fin à une menace universelle. Est-ce que la valeur humaine, est-ce que l’être humain n’est rien d’autre qu’une statistique, un compte ou un jeu diplomatique raffiné ?


 


Les puissances occidentales, qui ont la puissance militaire nécessaire, ont une obligation de protéger et d’assister les peuples en danger, sans oublier de se protéger elles-mêmes. On a perdu beaucoup de temps, on a attendu la montée en puissance des actes terroristes. Veut-on attendre encore un véritable génocide ou la mort d’un peuple entier pour se décider enfin à agir. Les puissances mondiales et régionales ont aussi une responsabilité mondiale ou régionale à la mesure de leurs forces. A quoi sert une puissance si on ne sait pas s’en servir ou si ne veut pas s’en servir ? La force de dissuasion n’est plus d’aucune utilité face à Daech. Les peuples veulent de la détermination, du volontarisme et de la résolution face à cette menace grandissante. Toute une coalition internationale s’est mise en marche contre Daech, comme dans le passé contre Saddam après l’annexion du Koweït en 1990. Mais à ce moment-là, au Koweït, les Américains étaient pressés et déterminés à défendre ce pays et leurs intérêts pétroliers et stratégiques immédiats, contrairement à Daech d’aujourd’hui, qui gêne  davantage les autres dictateurs que les Américains et leurs alliés.


 


L’histoire nous apprend que les démocraties peuvent retrouver leur détermination, leur raison profonde, lorsqu’elles se trouvent menacées dans leur « chair », lorsque se pose l’épreuve de survie. Les démocraties ont survécu à l’esclavage, au nazisme, au fascisme, au stalinisme, à la colonisation, aux camps de concentration, à la chasse aux sorcières en Amérique contre les communistes, au Klu Klux Klan, à l’apartheid, à al-Qaïda, aux dictatures arabes, elles peuvent toujours s’opposer au terrorisme à grande échelle de Daech, pour peu qu’elles le veulent et qu’elles y trouvent un intérêt. L’intérêt dont il s’agit est surtout d’ordre moral. Les démocraties ne peuvent compter seulement sur leurs valeurs fondamentales, sur le droit, sur la liberté, la fraternité ou l’égalité, elles doivent encore montrer à l’humanité en perdition qu’elles savent aussi défendre leurs valeurs, quand elles sont menacées et combattre l’ennemi potentiel ou réel, et surtout ne pas se tromper de cible.


Hatem M’rad