Daech et le bon vouloir américain

 Daech et le bon vouloir américain


On peut reprocher beaucoup de choses à Donald Trump, notamment son amateurisme politique, son côté bling-bling, ses twitts infantiles, ses conflits d’intérêts, l’immixtion du clan familial en politique, ses maladresses diplomatiques, mais pas ses résolutions politiques. 


On savait qu’Obama n’était pas un saint. Il abhorrait Bachar, qu’il voulait abattre coûte que coûte, fut-ce en manipulant les rebelles terroristes ou en restant passif vis-à-vis de Daech. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Daech servait indirectement la stratégie américaine. Affaiblir politiquement Bachar, le dernier rempart du Front de refus, après la chute de Saddam, et militairement l’armée syrienne, supposée être menaçante et déstabilisante au Proche- Orient. L’Egypte sissienne étant de moins en moins fiable.


Il a fallu que Trump lève le petit doigt, décide de démonter le laxisme obamien en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, de collaborer avec Poutine, aussi déterminé que lui, pour que Daech soit quasiment désagrégé en quelques jours en Irak à Mossoul et nettement affaibli par l’usure des combats en Syrie dans son bastion à Raqqa. Survivant d’un désastre, d’une guerre de six ans, dans un pays en ruine, Bachar est déjà en sursis. Il a la légitimité de la survie, mais pas de la victoire militaire. La guerre est menée par procuration, par les Russes, et aujourd’hui en collaboration avec les Américains, plus déterminés que jamais. Daech, comme autrefois les Talibans, dépendent du bon vouloir américain, qui sont en mesure d’allumer le feu et de l’éteindre quand bon leur semble, selon les intérêts du moment, les alliés et les ennemis du jour.


Trump est certainement impassible sur le sort de Bachar. Il pourra influer sur son destin lors des discussions sur la transition, en tentant de le museler ou de lui imposer d’autres règles et usages politiques, du moins s’il arrive à persuader les Russes. Mais, il tient pour l’heure à éteindre le feu daechien, il est sur le point d’y arriver. Il pourra se prévaloir de ses conquêtes et de la destruction de Daech auprès d’une opinion sceptique, de médias rebelles, et de l’ancienne équipe démocrate, aussi machiavélique qu’irrésolue en la matière.


La résolution de Trump s’étend au financement du terrorisme, une des clefs principales de la lutte en la matière. Il entame une visite importante d’une semaine dans les pays du Golfe à partir du 20 mai, surtout en Arabie Saoudite, la maîtresse du Golfe et la rivale de l’Iran. Comme par hasard, quelques jours plus tard, le 5 juin, après la fin de la visite, un plan d’isolement de Qatar est adopté brièvement conduisant l’Arabie Saoudite, Bahrein, les Emirats et l’Egypte à rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar et à lui imposer des sanctions économiques sous le regard béant des Etats-Unis, les grands instigateurs. Le Qatar, accusé de financer le terrorisme, de soutenir des groupes extrémistes, de financer les Frères musulmans, d’entretenir des liens avec l’Iran et de faire sa propagande terroriste à travers Al-Jazira, une chaîne de TV toute stratégique. Ces pays exigent de Qatar de satisfaire 13 conditions dont la fermeture de la chaîne Al-Jazira, d’une base turque, ainsi qu’une révision de ses liens avec l’Iran. Le Qatar n’obtempère pas. Il rejette en bloc ces conditions, attentatoires, dit-il, à sa souveraineté. Il tente de se prévaloir des accords conclus dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe, exigeant des concertations préalables avec toutes les parties avant toute prise de décision. Rien n’y fait.


L’Arabie Saoudite est préoccupée beaucoup plus par les liens de Qatar avec l’Iran chiite, le grand rival politique et religieux, que par le financement du terrorisme. Personne n’a « les mains propres en la matière ». Pour un pays réputé être le défenseur du sunnisme et abritant les lieux saints de l’islam sunnite, les liens de Qatar, un pays voisin, avec l’ennemi chiite indéfectible, et tout proche également, est condamnable. De toutes les manières, l’Arabie Saoudite n’a rien à envier à Qatar. Elle est elle-même très généreuse dans le financement du terrorisme wahabite dans le monde arabe et asiatique, de manière directe ou indirecte à travers les mouvements islamistes wahabites, les associations et les mosquées. Un proverbe tunisien dit littéralement : « Comme mon métier est mauvais chez les autres ». C’est le cas en l’espèce.


Au fond, le moment choisi pour s’attaquer à Qatar n’est pas fortuit. Les pays du Golfe et les Américains veulent faire tarir les sources de financement des groupes terroristes, au moment même où les combats sur le terrain sont annonciateurs d’une grande débâcle, voire de la fin probable de Daech en Irak et en Syrie, ses bastions. Ils craignent en outre que Daech, vaincu sur le terrain, se mette à planifier des attaques terroristes de désespoir en Europe et ailleurs pour prouver sa survie.


C’est alors qu’entre en jeu la diplomatie machiavélique américaine, qui se comporte sans fard comme une grande puissance, dictant sa conduite à tout va. Le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson entame une « médiation », ou une pression diplomatique, à Doha ces jours-ci, feignant de tenter de résoudre la crise du Golfe et de préserver les intérêts de tous. Les Etats-Unis ont de grands intérêts économiques avec Doha, et la base militaire d’Al-Udeid, mise à la disposition des Etats-Unis par Qatar est une pièce maîtresse de la guerre menée par eux contre Daech. Il s’agit pour les Américains de faire une opération comptable, passant le « compte Qatar » par pertes et profits. Qatar est utile, mais en même temps nuisible, et pas seulement aux Etats-Unis. Ce micro-Etat s’est habitué à jouer à l’enfant gâté des Américains et des Occidentaux, à faire semblant d’être un pays moderne, proche des Occidentaux, sous couvert de salafisme ancestral et de propagande islamiste tapageuse. Il a des actions partout, et a investi dans les services en Europe et aux Etats-Unis, croyant par- là tenir tout le monde dans ses bottes.


Mais les questions politiques ne sont pas toujours liées aux intérêts économiques, elles peuvent aussi être autonomes et spécifiques, lorsqu’elles touchent à l’essentiel, à la violence. Il s’agit de conduire le Qatar à faire un choix tragique et douloureux. Préserver les liens diplomatiques, stratégiques et économiques avec les pays de la région et avec les Américains, contre l’abstention du financement du terrorisme. Les Américains et les occidentaux n’ignoraient pas ce financement dans le passé, mais ils laissaient faire. Ce n’était pas une urgence. Quoique feindre de laisser Daech l’emporter contre Bachar n’était pas moins risqué. Ce groupe a fait montre dans les combats d’une force de résistance redoutable.


Aujourd’hui la stratégie de Trump dans la région n’a de chance de réussir que s’il arrive à réduire à néant Daech, et d’un coup, sur le plan militaire et sur le plan financier. Or le Qatar, un secret de polichinelle, est la grande pourvoyeuse de Daech, en argent et en équipement. Les Américains y étaient complices par leur passivité stratégique jusque-là. Ils ne voulaient renforcer ni le camp Bachar ni le camp Russe sous Obama. Aujourd’hui, le contexte militaire a changé, et puis Trump a d’autres options. Il veut bien commencer son règne, réaliser une promesse électorale majeure : celle d’éradiquer Daech et le terrorisme islamiste, comme il en a commencé à réaliser d’autres (la suppression de la réforme de santé Obamacare).


Hatem M’rad