Culture et Economie
Culture et économie, l’association de ces deux mots, dans un ordre comme dans l’autre, connait ces derniers temps un important regain d’intérêt. La culture économique est impliquée dans la désaffection des citoyens par rapport aux questions économiques et financières déterminantes dans leur sort commun. Le manque de culture économique est accusé de provoquer leur méfiance et même leur hostilité à tout questionnement économique.
Pour remédier à ce désenchantement démocratique, des initiatives sont prises par des personnalités politiques, de grandes entreprises et des revues économiques pour relever le niveau de compétence économique du public. La diffusion des connaissances portant sur l’activité humaine de production, d’échange et de consommation est aujourd’hui considérée comme une nécessité pour dégeler le débat public et y associer des citoyens plus informés et surtout mieux informés.
Dans l’autre sens, l’économie culturelle est de plus en plus revendiquée comme un important levier de croissance et fait, désormais, partie de la stratégie de sortie de crise ou de développement de nombreux pays.
La comparaison avec d’autres secteurs, de sa part dans la somme des valeurs ajoutées, est de plus en plus à son avantage. Selon les rapports des ministères de l’économie et de la culture en France, la part de la culture dans le PIB en 2014 est de 7%, devançant l’industrie automobile.
Cette reconnaissance de la contribution de l’économie culturelle n’est aussi affirmée que depuis quelques années. La notion même d’économie culturelle souffre de la difficulté de définir les activités culturelles, de distinguer les externalités des retombées économiques et surtout de les évaluer.
Longtemps les agrégats qui mesurent l’état de développement d’un pays se limitaient aux valeurs mesurables, autrement dit les valeurs qui transitent par le marché à l’exception de certains services estimés par leurs coûts. La notion de développement économique et social corrige cette insuffisance en intégrant le pouvoir d’achat et le niveau de vie. Mais c’est le recours à l’indice de développement humain qui va permettre d’apprécier l’espérance de vie et l’épanouissement culturel.
Enfin, la notion de développement durable va donner un cadre de référence à tous ces indices en les inscrivant dans le rapport de l’espèce humaine à son milieu naturel.
Cependant les interactions entre culture et économie sont toujours difficiles à appréhender et à décrire. Que doit la culture économique à la science ? Un phénomène économique a-t-il une ou des explications ?
Une explication peut véhiculer la recherche de légitimation des choix des décideurs comme elle peut être un parti pris pour des intérêts catégoriels. Comment construire une connaissance complète et impartiale de toutes les alternatives de solution à un problème économique ? Comment faire pour que l’analyse économique ne soit ni un culte de la fatalité, ni une rhétorique de l’autorité instrumentalisée par la gouvernance politique ou économique ?
Il est dès lors indispensable de revenir à la conception de la culture comme un ensemble de représentations collectives fondatrices et régulatrices de la vie en société.
Une société qui tente de faire reculer l’incertitude en élaborant un certain nombre d’hypothèses et en forgeant des outils d’analyses permettant de se déterminer dans l’éventail des possibles. Une société qui pour tirer le meilleur de son labeur et de sa créativité, mobilise ses valeurs, ses normes, ses institutions et ses approches ; c’est-à-dire ce long processus d’enrichissement intellectuel qu’est sa culture.
Par ailleurs l’économie culturelle s’inscrit-elle réellement dans un capitalisme qui « s’esthétise » ou participe-t-elle tout simplement de la machine d’uniformisation des modes de vie et d’appauvrissement du goût ?
Une telle question ne résiste pas à l’examen des faits. Les données économiques appréhendent autrement le rapport de la culture à l’économie et démentent, sans appel, son instrumentalisation en apportant la preuve chiffrée que l’économie dans son ensemble se « culturalise » et qu’à l’horizon se profile sérieusement « un capitalisme artiste ».
Dans cette veine, Gilles Lipovetsy dans « L’esthétisation du monde » coécrit avec Jean Serroy affirme que « l’ère hypermoderne a développé cette dimension artiste au point d’en faire un élément majeur du développement, un secteur de valeur économique, un gisement chaque jour plus important de croissance et d’emplois ».
Dans les faits, cette affirmation se vérifie aisément, le secteur culturel est un vecteur économique qui crée des emplois et des valeurs qui s’échangent comme toutes les valeurs et les services marchands. Les emplois créés directement par les entreprises culturelles en France sont estimé à 670 000 auxquels s’ajoutent les 870 000 emplois créés par les entreprises non culturelles. L’apport du secteur culturel en valeur ajoutée est de 57,8 milliards d’euros et celui des activités induites de 46,7 milliards.
Même en l’absence d’un agrégat exclusivement culturel, toutes les évaluations donnent l’économie culturelle comme une ressource renouvelable de création de biens et services : des spectacles vivants, des produits artistiques, des enregistrements, des diffusions, des éditions, des équipements, des exploitations de sites culturels et de lieux historiques…
Partout, il est constaté une corrélation positive entre une implantation culturelle et le développement socio-économique d’un territoire.
De nombreuses villes remettent en valeur leur patrimoine, s’ouvrent à l’implantation d’établissement culturel d’envergure, ou s’organisent durant un temps en pôle ou en capitale culturels pour s’inscrire dans cette tendance artistique de l’économie nouvelle.
Des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, l’Argentine, le Mexique, l’Irlande ou encore Abu-Dhabi consentent d’importants efforts pour le développement et la promotion du secteur culturel.
Ces pays investissent au cœur de l’économie culturelle que sont les beaux-arts et les spectacles vivants, mais aussi dans l’industrie culturelle, c’est- à-dire l’ensemble des biens et services dont l’essentiel tient au contenu symbolique plutôt qu’à la caractéristique physique. La Chine envisage la réalisation de 5 000 musées et centres artistiques, le Brésil 300 ; de grandes villes veulent leur « Louvre » ou leur « Beaubourg », et des marques mondiales de l’industrie du luxe affichent leur lien génétique avec les arts plastiques dans des lieux dédiés et exclusifs.
La culture est en voie d’achever sa mutation de l’émotion à la création. Ce début de troisième millénaire est marqué par l’essor fulgurant des technologies de l’information et de la communication et inscrit définitivement le développement dans sa dimension numérique et virtuelle. La créativité et l’innovation sont, désormais, les moteurs du progrès humain.
Mais les arts ne sont-ils pas l’expression la plus aboutie de la créativité ; fruits de la seule imagination ? Les compétences techniques et scientifiques ne sont-elles pas entrain de rencontrer leur véritable sens dans la dimension esthétique et émotionnelle que leur donne la créativité artistique ?
Le Monde est peut-être en train de se réinventer en abandonnant les cloisons historiques entre les activités humaines qui freinent sa marche. Et, si les rapports entre l’économie et la culture continuent à plaider leur raison devant la raison ; c’est peut-être que leur distinction est factice et que l’économie est avant tout de la culture.
Mohammed Abbou