Point de vue. Contre-réformisme

 Point de vue. Contre-réformisme

(Photo par FETHI BELAID / AFP)

Le contre-réformisme est une donnée quasi permanente et vivace en politique, tant dans les pays du Nord que dans les pays arabes ou du Sud, au pouvoir comme dans l’opposition.

Le contre-réformisme est un « courant » ou une attitude politique assez courante dans la vie politique des États. Il est vrai qu’on confond souvent le contre-réformisme des pouvoirs avec leur non-réformisme. On a même vu des partisans du pouvoir chercher à excuser son attitude contre-réformiste en le prenant juste pour un non-réformiste ou en vantant ses mérites, parce que ce pouvoir ne cherche pas trop à s’aventurer dans l’inconnu. À la limite, contre-réformisme et non-réformisme confondus passeraient pour un mérite politique, ou une forme de prudence politique, ou encore, comme pour le système de Saied en Tunisie, comme une forme de réhabilitation d’une certaine tradition (autoritaire) tunisienne, fortement défigurée par les enflammés de la révolution et les « pseudo-démocrates » de la transition. Même si, faut-il le souligner, un pouvoir non-réformiste n’est pas nécessairement un pouvoir contre-réformiste, ni un pouvoir anti-réformiste.

>> A lire aussi : Point de vue. Hybridation de la plupart des régimes politiques

La distinction s’impose impérieusement en effet entre ces deux notions. Un pouvoir « non-réformiste » est un pouvoir qui ne s’engage pas ou ne cherche pas activement à réformer un système, mais il ne s’oppose pas nécessairement aux réformes. Il peut être passif, attentiste, ou simplement conservateur sans volonté de transformation. Tandis qu’un pouvoir « contre-réformiste » est, en revanche, un pouvoir qui, non seulement refuse les réformes, mais agit activement pour revenir sur des réformes précédentes ou empêcher tout changement, de crainte de péricliter avec lui. Le contre-réformisme est très proche du conservatisme et des forces de la tradition. Si un pouvoir non-réformiste peut être simplement immobile ou pragmatique, un pouvoir contre-réformiste est plutôt réactionnaire et cherche à inverser une dynamique de réforme.

>> A lire aussi : Point de vue – Syrie. Vers un Etat islamiste «

Un pouvoir contre-réformiste s’identifie alors à une autorité politique qui s’oppose aux réformes progressistes ou « révolutionnaires » et cherche à restaurer un ordre antérieur ou à freiner des transformations jugées trop radicales. Ce terme s’applique souvent à des contextes historiques où des mouvements de réforme ont émergé, suivis de réactions conservatrices ou autoritaires. Les exemples sont nombreux. Il y a eu, comme en France, une Restauration monarchique (1814-1830 en France). Après la Révolution française et l’Empire napoléonien, la monarchie des Bourbons a tenté de rétablir un ordre ancien en limitant les acquis révolutionnaires et le républicanisme. Il y a encore souvent des restaurations contre-réformistes dans les régimes autoritaires du XXe et XXIe siècles. Certains gouvernements ont cherché à réprimer des avancées démocratiques ou sociales, comme Franco en Espagne (opposition aux républicains) ou la dictature militaire chilienne sous Pinochet (contre le socialisme d’Allende), ou Poutine après l’ère Gorbatchev.

>> A lire aussi : Point de vue. L’ère des nouveaux sophistes

Bref, un pouvoir contre-réformiste se définit par son opposition ferme au changement et son désir de maintenir ou de restaurer un ordre établi, souvent en réaction à une transformation jugée trop rapide ou menaçante. Alors qu’un pouvoir non-réformiste est un gouvernement ou une autorité qui ne met en place que des changements superficiels ou marginaux, sans modifier en profondeur les structures économiques, sociales ou politiques établies. Il peut adopter des mesures d’ajustement ou de modernisation légères. Il peut vouloir préserver le statu quo pour éviter des conflits majeurs. À la limite, le non-réformisme peut même, dans certaines conjonctures politiques, être utile aux intérêts majeurs des populations, pour peu que les pouvoirs n’en abusent pas et ne s’y étendent pas, sous peine de tomber dans la paralysie et le contre-réformisme.

>> A lire aussi : Point de vue -Tunisie. La critique est-elle un gaspillage d’énergies ?

On peut considérer la plupart des extrémistes populistes contemporains, au pouvoir ou dans l’opposition, comme des contre-réformistes, puisque leur souci majeur est de réagir en profondeur contre les avancées libérales, démocratiques et progressistes de leurs prédécesseurs ou des majorités politiques au parlement. Cela va d’Erdogan à Trump, en passant par Orbán, Marine Le Pen, Bolsonaro. La contre-réforme prend alors l’allure d’un renfermement entre soi au prétexte de croissance économique, d’un rejet de l’immigration et de toute forme de droit d’asile, d’une remise en cause des droits fondamentaux, d’un déni du droit des minorités, du rejet de l’avortement au nom d’une éthique religieuse, de la défense de la peine de mort.

>> A lire aussi : Point de vue. Le retour du libertarisme

Les dirigeants arabes sont très souvent, ostensiblement même, contre-réformistes. Leur autoritarisme trouve un large écho auprès de leurs peuples passifs, envahis par la culture religieuse. Le président tunisien est dans ce cas loin d’être une exception, dans un monde arabe empêtré davantage par le contre-réformisme, le non-réformisme et l’anti-réformisme que par le réformisme et le progressisme. Kaïs Saïed en Tunisie est même un contre-réformiste de pure souche. Depuis son coup de force du 25 juillet 2021, où il a suspendu le Parlement et gouverné par décrets, il a démantelé plusieurs institutions issues de la transition démocratique post-2011, comme il en a créé d’autres de type passéiste et conservateur. Il a notamment dissous le Conseil supérieur de la magistrature et limité l’indépendance judiciaire ; modifié la Constitution en 2022, renforçant fortement le pouvoir présidentiel ; réhabilité textuellement des préceptes religieux dans une Constitution censée être séculière, comme les finalités de l’islam (Maqasid al-islam) ; fait disparaître le caractère civil de l’État énoncé explicitement dans la Constitution de 2014, pourtant un acquis progressiste notable, allant à l’encontre de la tradition (bourguibiste) tunisienne ; restreint les libertés politiques et fait arrêter et emprisonner plusieurs opposants ; établi un système (incompréhensible et invivable) de soviets dans la représentativité régionale pour la chambre des districts et des régions ; mis en place des sociétés communautaires d’un autre âge, rappelant les mauvais souvenirs de la politique des coopératives d’Ahmed Ben Salah, le puissant ministre de Bourguiba. On a également relevé une régression des droits des femmes avec le retour aux valeurs identitaires, comme, pour les élections législatives, l’abandon du principe de la parité des candidatures, ou encore l’emprisonnement de plusieurs femmes politiques, avocates et journalistes.

>> A lire aussi : Point de vue. L’illusion du consentement

Bref, au lieu de réformer l’État pour approfondir la démocratie et élargir la modernité de l’État, le président tunisien a engagé un retour à un pouvoir hyperprésidentiel, plus envahissant, plus dogmatique et plus idéologique que celui de Ben Ali, qui était plutôt un dictateur pragmatique. Son action relève du contre-réformisme, car elle vise à détricoter les acquis démocratiques de la révolution de 2011, plutôt qu’à chercher à les améliorer ou à les rectifier. Chez lui, le contre-réformisme rejoint alors la contre-révolution. Tous les deux s’attaquent au progrès des Lumières.

contre-réformisme, politique, conservatisme, autoritarisme, Tunisie, Kaïs Saïed, réformes, démocratie, populisme, réaction politique