Point de vue. Conflits de majorités en France

 Point de vue. Conflits de majorités en France

Photo : JOEL SAGET / AFP

Non seulement Macron a procédé à une dissolution hasardeuse, mais il a provoqué un conflit difficilement soluble en termes de majorité ou de signification de la démocratie.

Le moins que l’on puisse dire est que la dissolution frondeuse du président Macron contre les courants politiques adverses a donné lieu à une terrible crise politique, ou plutôt à un blocage politique, en raison des types de majorités contraires qui se font désormais face, issus des législatives anticipées. Il s’agit de savoir quel type de majorité doit l’emporter sur l’autre et quelle légitimité doit prévaloir sur l’autre ? Chaque parti ou coalition, de droite ou de gauche, est en droit de se réclamer d’un type de majorité qui lui est favorable. Le problème est d’autant plus complexe que cela pose la question de la signification de la démocratie. Faut-il qu’un seul type de majorité l’emporte sur les autres, et lequel, puisque tous sont issus de l’urne? Ou bien faut-il comprendre qu’en démocratie, du moins dans son sens le plus large, tous les types de majorités se valent à partir de points de vue multiples et variés.

Les faits sont là. D’abord, la gauche, à travers le Nouveau Front populaire (NFP), s’autoproclame victorieuse, en disposant de 182 sièges, en comptant les dissidents au nombre de quatre (dont 75 pour La France insoumise). Certes NFP est le groupe électoralement victorieux, mais il ne dispose pas d’une majorité absolue qui lui permet de constituer un gouvernement et de gouverner institutionnellement. Pour qu’un parti ou une coalition puisse obtenir la majorité absolue, il faudrait qu’il obtienne 289 sièges à l’Assemblée nationale sur un total de 577 élus. Le NFP a juste une majorité relative. Le jour de la proclamation des résultats et sous l’emprise de l’enthousiasme, Mélenchon a cru pouvoir gouverner seul, sans les autres, en le théâtralisant haut et fort. Avant de s’apercevoir qu’il lui est impossible de le faire sans l’appui d’autres courants, comme Ensemble, le groupe des macronistes, les Républicains ou les centristes, et les divers droite qui, visiblement ne veulent pas de lui, parce qu’ils trouvent que La France insoumise est aussi extrémiste que l’extrême droite et que ce parti frondeur n’a pas vocation à rassembler, même avec l’appui d’une coalition de gauche (NFP).

 

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Sous un autre angle, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Ensemble (168 sièges), Nouveaux Horizons compris, centristes (6 sièges), et les Républicains non coalisés avec le Rassemblement national (46 sièges), détenant une proximité politico-idéologique font, s’ils se réunissent un total de 220 sièges et sont, de ce fait, plus proches de la majorité absolue que la Gauche réunie. Si on leur adjoint encore les divers droite (14 sièges), ils parviendront à 234 sièges. Ce groupe donc, bien que perdant les élections (autour de Macron), est le groupe qui peut prétendre gouverner, toujours au nom d’une majorité quantitative ou numérique, celle qui tranche en premier lieu en démocratie et qui semble plus proche d’une majorité absolue.

Dans l’hypothèse encore où on tient compte des rapports entre la droite et la gauche, et si on ajoute au cercle républicain autour de Macron (234 sièges), les sièges du Rassemblement national de Marine Le Pen et des Républicains qui l’ont rejoint (143 sièges), on obtient un total de la droite française de 377 sièges, alors que la gauche réunie n’a obtenu que 182 sièges. Même si on considère que, statistiquement, la gauche s’est plus désistée au deuxième tour en faveur des candidats de droite que l’inverse.

 

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En d’autres termes, en pourcentage de voix, et si on considère les rapports droite-gauche par rapport au total des sièges, on obtient pour la gauche 31,54% (182 sièges sur 577) ; pour le cercle républicain (autour de Macron), on obtient 40,55% (234 sièges sur 577) ; pour le total droite, cercle républicain et RN, on obtient 65,34% (377 sièges sur 577). Dans tous les cas de figure, la gauche n’est pas majoritaire. Si on ajoute le fait que le Rassemblement national + LR est désormais le premier parti de France avec 143 sièges alors que France insoumise, à titre individuel n’a obtenu que 75 sièges, on voit qu’il y a bien dans cette élection, somme toute électoralement exceptionnelle, une confusion démocratique, ou plutôt un casse-tête démocratique. La majorité présidentielle issue des élections de 2022 est, en effet, à la fois perdante et gagnante des élections législatives de 2024. Tout dépend à partir de quel point de vue on se place. C’est la raison pour laquelle Macron a cru bon de déclarer dans une Lettre aux Français que « personne n’a gagné », en invitant les partis et groupes à tenter de constituer des majorités de compromis pour les besoins de la stabilité du pays. Au fond, il ne voudrait surtout pas reconnaitre la victoire du Front populaire, dirigé par le rebelle Mélenchon de France insoumise, dont les prises de position, nationales et internationales, vont à l’encontre de la politique étrangère suivie jusqu’alors par Macron.

 

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Le fond du problème n’est pas inconnu. La France a du mal à faire des compromis, toujours divisée entre deux blocs idéologiquement hostiles depuis la Révolution de 1789. Alors même qu’en Europe, il y a 22 pays connaissant des gouvernements de coalition et 3 pays seulement ayant des gouvernements majoritaires classiques (Portugal, France et Grèce). Si bien que les élections en Angleterre et en Allemagne ou en Espagne se déroulent souvent en silence, une fois le suffrage exprimé, alors que les élections françaises laissent souvent des traces. C’est vrai que la France est le pays le plus politisé et le plus politique, dans le monde, mais cela n’explique pas tout ou cela n’absout pas la politique des partis et des groupes qui ont du mal à mûrir comme dans le reste de l’Europe.

Quand il y a un conflit démocratique ou un conflit de légitimité entre deux grands courants opposés que les électeurs eux-mêmes n’ont pas pu départager dans leurs votes, il n’y plus d’autres solutions qui tiennent : ou le blocage permanent ou le compromis constructif. Au-delà de la démocratie, la politique elle-même est à la fois conflit inévitable et entente nécessaire. En France, on aime les conflits et les polarisations. On n’est pas fair-play, modéré et pragmatique comme les Anglais, ni raisonnable et constructif comme les Allemands, ni soucieux de stabilité et de bien-être comme les pays nordiques. Mais en France, on veut toujours gagner, l’emporter sur les partis adverses parce qu’ils se réclament d’une idéologie contraire à la sienne. Et puis, il y a aussi le tempérament frondeur des Français et la tentation d’accuser le front adverse d’être le pire des maux.

De toutes les manières, la démocratie ne permet pas de gagner tout et tout le temps ou de perdre tout et tout le temps. Le partage des rôles n’est pas la valeur la mieux partagée en France. Alors il arrive, comme c’est le cas cette fois-ci, que les perdants gagnent et que les victorieux perdent et que La Démocratie ne sorte pas victorieuse dans cette confusion.

 

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