Algérie – Un peuple déterminé

 Algérie – Un peuple déterminé

Manifestations des Algériens à Alger


Les Algériens affichent, de jour en jour, de plus en plus de détermination contre la candidature de Bouteflika et le régime entier. Ils l’ont encore montré ce vendredi, Acte III. Sans imagination, en désarroi, non habitué à l’adversité, le pouvoir donne en contrepartie des signes de fissure.


L’Histoire est en train de s’écrire en Algérie. Le destin semble cette fois-ci frapper avec insistance à sa porte, et les Algériens semblent prêts à saisir leur chance. On le sait, la détermination d’un peuple est un indice porteur de changement, voire de bouleversement. Le pouvoir misait jusque-là sur la lassitude du peuple. Le rejet de la 5e candidature de Bouteflika par tout un peuple serait une euphorie passagère qui n’aura aucune peine à se volatiliser aussitôt. Les Algériens sentiront d’eux-mêmes comme d’habitude la pesanteur du pouvoir et de l’armée suspendue au-dessus de leurs têtes, et se plieront contraints et forcés. Ils sont trop habitués à la culture de l’ordre public. Une culture enracinée par le fantôme des années de braise, comme l’a montré d’ailleurs leur résistance raisonnable au printemps arabe. Ils n’oseront pas tenir tête au Léviathan aux tentacules extensibles. L’armée défend le peuple contre l’islamisme et l’aventurisme. La démocratie est aventurisme, comme l’est la liberté ou la dignité d’un peuple. Les Algériens constituent certainement une menace pour l’Algérie.


Mais les Algériens ne désarment pas. La maturité dont ils ont fait preuve jusque-là, leur comportement pacifique dans la rue, habituellement espace de violence dans les régimes autoritaires, la convivialité, la solidarité et la joie de manifester tous ensemble dans la rue sont loués par le pouvoir lui-même. Bouteflika, qui gouverne par correspondance avec son peuple, envoie une lettre de remerciement aux Algériens d’avoir resté sages tout au long de ces manifestations. Question d’aspirer leur détermination et de désagréger leurs rangs. En somme, on loue ce qu’on craint. Puis, si cela ne suffit pas, on menace, comme le fait trop maladroitement le général Ahmed Gaïd Salah, qui menace de réprimer les manifestants et de faire descendre les bataillons de l’armée, comme dans un passé récent. De l’impolitique brute. Puis, quand cela ne marche pas encore, on essaye de divulguer des confidences sur un retrait de candidature de Bouteflika ou sur une hypothétique solution de crise. Seulement, la détermination des Algériens ne démord pas. Tout le monde est désormais dans la rue. Après les jeunes, les chômeurs, les oisifs, les adultes, les vieux ; toutes les générations sont concernées, les anciens se mélangent aux nouveaux, les femmes aux hommes ; puis c’est au tour des fonctions libérales, avocats, médecins, journalistes. Le peuple s’est déjà réconcilié avec lui-même dans la rue aux dépens du pouvoir.


La peur n’est plus là. La détermination s’y substitue, le courage et l’audace aussi. Tout le monde affiche des slogans aussi libres qu’ironiques sur un pouvoir indétrônable qu’on peut détrôner. Les Algériens, petits et grands, s’adressent aux télévisions, parlent tout haut dans des vidéos en direct diffusées sur les réseaux sociaux. Les enfants d’internet respirent le « nethic », l’éthique du net : celle de l’ouverture, de la liberté, et de l’échange. Le pouvoir est d’un autre âge. Il parle encore de libération contre le colonisateur, de résistance, de nationalisme. Comme le sont les conditions de candidature elles-mêmes aux élections présidentielles, qui exigent de « justifier de la participation à la Révolution du 1er novembre 1954 pour les candidats nés avant 1942 ;  justifier de la non-implication des parents du candidat né après juillet 1942 dans des actes hostiles à la Révolution du 1er novembre 1954 » (article 73 de la Constitution). Une histoire très ancienne pour des jeunes d’aujourd’hui, qui ne garderont probablement de Bouteflika que l’image d’un moribond qui a perdu tous ses sens, ainsi que le sens de la direction politique. Les jeunes répondent, eux, par un nouveau type de nationalisme : celui du mieux vivre-ensemble, du mieux penser-ensemble, du mieux élire-ensemble. C’est l’histoire de la vie contre la mort.


Le retrait de la 5e candidature de Bouteflika n’est plus qu’un prétexte voué à l’oubli. On appelle à « la chute du régime » pour construire quelque chose qui puisse rétablir la dignité des Algériens. Ils savent que  cette opportunité ne se reproduira peut-être plus à l’avenir, si jamais elle échoue. Un rendez-vous pris avec l’histoire ne se fait pas attendre. L’autoritarisme ne partira pas tout seul, ne se rétractera jamais de sa propre initiative, il faut le pousser à la sortie. On oublie ses menaces et ses arguments fallacieux à propos du chaos généralisé ou du retour de l’islamisme. Le peuple spontané et joyeux dans la rue n’est pas tenté par le chaos. Quant à l’islamisme d’aujourd’hui, il est plus maîtrisable que celui du passé, même s’il reste menaçant et pernicieux. Le FIS, qui se prépare à revenir, ne peut tout faire, comme dans les années 80. Le monde a changé. En Tunisie, ils se sont intégrés dans les institutions, et le modèle tunisien aura de l’effet dans une éventuelle transition algérienne. Les islamistes n’ont le choix qu’entre l’intégration à la démocratie, la méthode Al-Sissi ou Daech. Ils n’ont plus vraiment le choix. Le monde se resserre contre eux. Même les Américains (Trump), les Européens (UE) et les Russes (Poutine) n’en veulent plus. Le terrorisme des années 80 résultait moins de l’interruption des élections par l’armée que fondamentalement de l’autoritarisme d’un régime clos, usé et corrompu.


A défaut de tomber, l’armée est elle-même tenace, le pouvoir commence à se fissurer. Il n’a pas l’habitude qu’on lui résiste avec fermeté et endurance. Il ne sait pas faire de la politique, la vraie. Il a trop l’habitude de prêcher dans le désert. Un peuple déterminé et uni n’est pas une opposition, il redevient lui-même un pouvoir. Alors, détermination vers la confrontation ou détermination vers la transition ?