Exposition « Ulysses » : l’humilité et la dignité des Chibanis
Ces immigrés venus en France pour travailler, qui y ont vieilli. Aujourd'hui invisibilisés, la photographe Leïla Bousnina nous les montre nobles et dignes.
Le vernissage de l'exposition « Ulysses : Immigrés, fins de parcours » de la photographe Leïla Bousnina aura lieu ce soir (14 janvier) à la Galerie Fait & Cause (Paris IV). Cette exposition reprend les photos du livre du même nom de la photographe.
Vingt années de travail pour prendre des clichés, mais également recueillir des témoignages, pour mieux raconter les odyssées de ces « Ulysses » et ainsi leur rendre hommage ainsi qu'à « toutes les vagues migratoires qui ont marqué et marquent encore l'histoire de ce pays dans toute sa diversité ». La photographe Leïla Bousnina revient sur son travail.
Comment est né le projet du livre ? Qu'est-ce qui vous a poussée à vouloir prendre des clichés des travailleurs immigrés ?
C'est en voyant ces hommes devenus âgés « errer » dans l'espace public, ils étaient complètement invisibles et anonymes, alors qu'ils avaient contribué au développement de notre société "moderne".
Quand j'étais enfant, nous vivions à Porte de Clignancourt (Paris) où passaient nous voir de nombreuses personnes. C'était des personnes du même coin que mon père et mère, soit qu'ils connaissaient là-bas, soit que mon père a rencontrées ici. C'est la région de Oued El-Souf.
Quand j'ai commencé ce travail, ça n'intéressait personne. Je me suis accrochée, j'y tenais absolument. J'ai commencé réellement avec ce projet, fin 1999, mais il me manquait la légitimité, qui j'étais pour pouvoir parler de ça. Il n'y a qu'avec le temps que j'ai pu faire mes preuves.
Le livre date d'il y a seulement deux ans, quand on a vu que j'avais fait beaucoup de choses autour de ces questions-là. Pourtant l'idée du livre était dans ma tête dès le début. Quand j'avais toutes ces photos, que j'ai grandi, parce que ça m'a permis de grandir, là un établissement m'a dit « on vous subventionne ».
Aujourd'hui, les travailleurs immigrés, aux parcours professionnels souvent segmentés, ont du mal à percevoir leur retraite. Peut-on espérer que ce travail puisse, à son échelle, permettre d'ouvrir les yeux sur les conditions de vie difficiles de ces hommes ?
Oui, je l'espère pour tous les travailleurs immigrés d'aujourd'hui, car les hommes d' « Ulysses » beaucoup d'entre eux ont quitté ce monde, après avoir subi des abus et injustices, considérés avant tout comme de la main d’œuvre étrangère analphabète et non politisée. Il était facile de bafouer leurs droits.
A travers eux, on valorise aussi tous les gens issus de cette histoire. Sortir de cette haine de soi, parce que c'est ça qui était cultivé quelque part, pour être intégrés… Il faut voir le courage de ces hommes, le sacrifice qu'ils ont fait.
Est-il important pour vous d'aller à la rencontre des visiteurs de l'exposition ?
Oui, car c'est à ces occasions que je pouvais me rendre compte que la plupart de mes concitoyens étaient tout autant sensibles à ces hommes et mesurer à quel point ils faisaient partie intégrante d’une mémoire collective… D'ailleurs, C'est grâce à eux que j'ai continué, parce que quand j'ai commencé à exposer, j'ai pu voir qu'il y avait plein de gens que ça intéressait. Alors que moi, quelque part, je pensais que c'était une question communautaire au début. Tous les concitoyens étaient très sensibles à ça, ça touche beaucoup de gens.
Qu'espérez-vous que ces derniers retiennent de cette exposition ?
Leur humilité, portée avec dignité et courage. Je voulais casser le regard habituel qu'on a de ces gens-là. Casser cette image de raideur, de tristesse. Montrer des hommes dans leur environnement, dans la vie, voilà ce que je voulais faire. Des parcours de vie, des parcours nobles et dignes. Je n'ai rien à y gagner, si ce n'est humainement. Oui, j'ai gagné humainement. J'ai mis vingt ans de ma vie, c'est un sacrifice aussi. Mais que je ne regrette pas du tout.
Exposition « Ulysses : Immigrés, fins de parcours » de la photographe Leïla Bousnina
Vernissage : Mardi 14 Janvier 2020 de 18h à 21h
Exposition : Du mercredi 15 janvier au samedi 29 février 2020
Lieu : Galerie Fait & Cause (Paris IV)