Peine de mort : les incohérences du président Kais Saïed
La présidence de la République tunisienne s’est prévalue en grande pompe mercredi soir du fait que l’Emir du Qatar Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani ait répondu favorablement à la sollicitation du président Kais Saïed de ne pas exécuter la peine capitale à l’encontre du ressortissant tunisien Fakhri Landolsi.
L’exécution est reportée au 1er mai 2021, en vue d’envisager éventuellement une peine alternative, selon la même source.
Le président de la République a de ce fait présenté « ses vifs remerciements à son frère l’Emir Tamim Bin Hamed Al Thani pour son profond sens humain, ce qui reflète les liens de sincère fraternité entre les deux peuples frères et entre le président Kaïs Saïed et son frère l’Emir du Qatar ».
Landolsi est accusé d’attentat terroriste meurtrier sur le sol qatari. Au-delà de ce sursis obtenu dans les couloirs de la mort, la posture du Palais de Carthage, souffre d’une intenable incohérence.
Rappel des faits
L’affaire est encore entourée de zones d’ombre, quatre ans après les faits. Que sait-on de ce qui est reproché à Fakhri Landolsi, ce jeune originaire de Kairouan, parti au Qatar tenter sa chance en 2016 ? Une licence d’anglais en poche, Landolsi a selon un membre de sa famille séjourné dans un premier temps chez des amis. Pendant ses premiers mois de séjour touristique, il tente de trouver un emploi sans succès. En 2017, il décide de rester au Qatar, malgré l’expiration de son visa.
« C’est à ce moment qu’il commence à fréquenter une mosquée locale », nous confirme ce cousin qui dit avoir suivi de près le dossier. Un soldat d’origine somalienne, enrôlé dans l’armée qatarie, est assassiné cette même année à coup de couteaux, un attentat alors revendiqué par l’Etat islamique. D’autres sources évoquent un égorgement.
Selon les autorités qataries, l’enquête a révélé que les caméras de surveillance de la caserne où la victime était postée ont filmé à plusieurs reprises le jeune Tunisien passer à proximité des lieux. Pour la défense, Landolsi empruntait ce chemin par pure coïncidence, étant donné qu’il résidait à l’époque dans un appartement non loin de la caserne en question.
Un complice présumé est arrêté, de nationalité tunisienne lui aussi, avouera avoir participé à la logistique de l’opération, en brûlant deux véhicules afin de faire diversion aux abords des lieux. Il confesse également son appartenance à Daech et à l’idéologie takfiriste. Il a depuis écopé d’une peine de prison à perpétuité.
Quant à Fakhri Landolsi, il est capturé lors d’une descente de police dans un café, où il a tenté de prendre la fuite. Il est aussitôt blessé par balle au bras et à la jambe, et dit ne se souvenir de rien jusqu’à son réveil dans un hôpital sous haute surveillance, puis un interrogatoire musclé aux services de la sûreté de l’Etat qatari. Consultée par la justice qatarie, la famille du Somalien tué demande à être vengée.
En sus de l’avocat commis d’office par l’ambassade tunisienne, la famille du Tunisien dit avoir dépensé 100 mille dinars en frais d’avocat, ayant confié la défense à l’avocat Seifeddine Makhlouf, devenu plus tard député, connu pour ses plaidoiries dans ce type de dossiers. Mais au bout d’un procès expéditif, la peine capitale est prononcée.
« On lui a enfilé la tenue de couleur rouge synonyme d’exécution imminente par un peloton de tir. Ayant obtenu in extremis le droit de téléphoner à ses parents pour faire ses adieux, ces derniers alertent une dernière fois les autorités tunisiennes sur son sort », révèle le cousin de l’accusé.
De ce récit fait par ses proches eux-mêmes et des clichés où sa physionomie d’homme imberbe évolue vers une barbe entretenue, il semble que le parcours de Landolsi présente de nombreux éléments à charge d’un cheminement classique d’endoctrinement – radicalisation. Une réaction épidermique à une désillusion sur le plan professionnel, suivie d’une quête de sens et d’une affirmation identitaire par le biais religieux. L’appât du gain financier a vraisemblablement pu achever de convaincre l’accusé de passer à l’acte.
L’Histoire retiendra que Kais Saïed est le président tunisien le plus conservateur depuis l’indépendance du pays sur les questions sociétales, dont la peine de mort qu’il appelait ici de tous ses vœux, fin septembre 2020
Opportunisme et deux poids deux mesures
Avant de conclure à la noblesse de la requête du président Kais Saïed, il est important de comprendre en quoi le geste présidentiel a tout de la posture fondamentalement populiste, et absolument rien d’universaliste, encore moins abolitionniste.
Car la position de principe du président est en effet connue, exprimée de façon catégorique lorsqu’il y a tout juste 4 mois il s’était livré à un vibrant plaidoyer en faveur de la peine de mort. Mieux, le juriste Kais Saïed, pourtant constitutionnaliste, s’était une fois de plus référé au Coran pour justifier « l’impétueuse nécessité du retour à l’application stricte de la peine capitale » en Tunisie. Un pays qu’il faisait ainsi régresser d’au moins 30 années de moratoire, arguant du fait que « chaque société a son propre système de valeurs spécifique », une idée profondément anti universaliste.
A l’époque, le président réagissait de façon zélée, tout comme dans le cas Fakhri Landolsi qui émeut la toile témoin des larmes d’une mère, à une vague de vive indignation sur les réseaux sociaux mis en émoi par le viol et le meurtre d’une jeune femme par un déséquilibré. Cette fois, le président opère donc un grand écart intellectuel en changeant de posture à 180 degrés, au gré des errements de l’opinion publique, mu davantage par le chauvinisme ambiant, outré qu’un citoyen tunisien puisse être exécuté par une juridiction étrangère.
« Je n’arrive pas à croire qu’un peuple se solidarise avec un égorgeur, et que notre président réclame un allégement de peine, comme s’il s’agissait là d’un fait divers ou de délinquance ordinaire sur la voie publique », s’est notamment indigné l’artiste Mariem Ben Hussein.
Au-delà du dossier Landolsi, via lequel il marque des points politiques sur le plan national, chaque fois que le président Saïed évoque la question du terrorisme, son discours mobilise systématiquement certains éléments de langage : l’idée qu’il faille impérativement revenir aux causes profondes ayant conduit au terrorisme, dont « la pauvreté et la misère sociale », est omniprésente dans le discours présidentiel.
Au moment où ce raisonnement de type apologétique est abandonné en Occident et ailleurs depuis plusieurs années, de plus en plus rare même au sein de la société civile, le président Saïed serait probablement bien inspiré de délaisser cette rhétorique qui ne fait qu’accentuer les soupçons d’empathie mal placée. En attendant, des vies brisées en Tunisie pour avoir fumé un joint: des jeunes condamnés à des peines ahurissantes, croupissent en prison en attendant toujours d’être graciés.
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