#9 – Algérie : la double peine des binationaux

 #9 – Algérie : la double peine des binationaux


La rapidité de l’annonce des fermetures de frontières en a surpris plus d'un. Avec la sensation désagréable d’avoir été « oubliés » par la France lors des rapatriements et vus comme « agents de propagation » du COVID19 par les habitants de leur seconde patrie, les binationaux ne savent plus à qui s’adresser pour être rapatriés en France. C’est le cas de Mohand Bechiti, responsable socio-éducatif de la protection de l’enfance, bloqué à Bejaia en Algérie, loin de sa femme, ses enfants et des « minots » dont il s’occupe.


Son voyage ne devait durer que 3 jours. Il en est déjà à 22 jours !


Apprenant la maladie de sa mère, Mohand Bechiti, accompagné de ses deux sœurs, quitte Marseille et prend le premier avion pour Alger. Les 3 membres de la fratrie délaissent, ce qu’isl pensent être le temps d’un week-end, leurs familles, leurs enfants et leurs travails. Arrivés à Alger le 12 mars, ils prennent la direction de Bejaia, où ils vont au chevet de leur maman.


Le 14 mars 2020, stupéfaction : Mohand reçoit un mail d’Air Algérie annonçant la suspension de son vol du lendemain. Qu’à cela ne tienne, il prend d’autres billets pour le 19 mars auprès de la compagnie  Vueling, pensant à une défaillance de la compagnie aérienne algérienne. « On s’est retrouvé en rade !, s'exclame Mohand»


Faisant fi du mail, il décide tout de même, d’aller à l’aéroport pour voir de quoi il en retourne. Les portes de l’aéroport sont closes. Le lendemain, le premier ministre algérien, Abdelaziz Djerad annonce la fermeture des frontières. Il décide de s’inscrire auprès de l’ambassade de France pour être rapatrié.


Commence dés lors une longue série d’appels et de mails à l’Ambassade de France en Algérie. « Pour l’Ambassade, je fais partie de la liste des rapatriés, de même pour la cellule de Covid-19 du ministère des affaires étrangères. Je me suis inscrit sur Ariane. On me dit : « on vous tiendra au courant ». J’ai eu l’impression que nous n’étions qu’une statistique pour le ministère des affaires étrangères. »


 


Des enfants en péril à Marseille


Il faut dire que le retour de Mohand n’est pas un caprice. Né en région parisienne à Gennevilliers, il vit à Marseille depuis 1993 avec sa femme et ses 3 garçons. Du fait de son poste de chef de service éducatif dans la protection de l’enfance, ce quinquagénaire a en charge des enfants livrés à eux-mêmes dans les quartiers de Marseille. « Nous accompagnons des enfants placés en maison d’enfants à caractère social, explique Mohand. Nous sommes ouverts 7 jours sur 7, 365 jours par an. Ces enfants sont placés et s’ils le sont, c’est qu’ils n’ont pas de solution d’hébergement ailleurs. Avec le confinement, le service est en péril. Ca peut avoir des conséquences sanitaires d’une part et d’exclusion sociale d’autre part. Nos métiers socio-éducatifs devraient faire partie des métiers prioritaires mais je n’ai pas l’impression que le président Macron le voit de cet œil.» Son employeur écrit même un mail à l’ambassade pour demander son rapatriement.


Il reste à Alger, espérant un message qui lui indiquerait un vol pour la France. Après plusieurs appels et mails, il reçoit un message SMS de l’Ambassade de France : « Air Algérie nous informe de deux vols commerciaux au départ d’Alger demain matin le 20/03 à destination de Paris Orly. Présentez vous avant 7h00 à l’aéroport. »


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« Attendez, il va y avoir d’autres vols »


Le 20, direction l’aéroport. 2000 personnes se ruent sur les portes. Le vol est complet en quelques minutes, laissant sur le carreau une foule nombreuse. L’ambassade lui propose une solution d’hébergement. « Il me propose une solution en foyer. Le foyer est à 4000 dinars la nuitée alors que l’hôtel où j’étais affichait un prix de 600 dinars. J’ai décliné leur offre. Je suis très content de payer mes impôts mais je n’ai pas été aidé financièrement pour me sortir de cette situation.» Obligé de prendre ses congés le temps de pouvoir rentrer, sa famille vit grâce à son salaire. « Mes congés ne sont pas extensibles. J’ai un crédit immobilier à rembourser et cette situation à des conséquences psychologiques sur les enfants et sur ma femme. » Depuis le 15 mars, il appelle tous les jours la cellule Covid-19. La réponse est toujours la même : « Attendez, il va y avoir d’autres vols ».


Comme le relevait mon collègue Nadir Dendoune dans son article du 21 mars 2020, ils sont nombreux à ne pouvoir faire le voyage retour. Seul Air France assure dorénavant la navette entre la France et l’Algérie, pour rapatrier ce qui représente la plus grande communauté de binationaux en France. « Le problème c’est que tous les vols sont bloqués par les ambassades qui s’octroient toutes les places. Si l’ambassade t’appelle, tu peux partir. Dans le cas contraire, tu n’as aucune chance d’y aller. Même si tu te présentes à l’aéroport, tu es refoulé. »


« J’ai l’impression d’être un pestiféré »


Après une discussion avec un agent consulaire, il a  l’impression d’être délaissé. « C’est très sournois. Il m’a dit : « vous n’êtes pas à la rue. », sous entendant que j’avais de la famille dans le pays d’origine de mes parents. Je lui ai indiqué que des amis à Manille avaient été rapatriés alors que nous ne le sommes pas. J’ai l’impression d’être la cinquième roue du carrosse. Je déduis à travers l’échange que les binationaux ne sont pas une priorité. J’attends de la France qu’elle fasse les mêmes efforts pour les franco-algériens que pour les autres pays. Un ami qui travaille dans une ambassade dans un pays du Maghreb m’a confirmé qu’un binational dans son pays était sous la loi de son pays et qu’elle prônait sur celle de la France. Ca m’a énervé au plus haut point. Cela veut dire qu’une fois qu’on est hors de France, on n'est plus français ! »


Outre ce sentiment d’abandon, il y a aussi la manière dont sont perçus les binationaux dans leurs pays, en cette période de crise sanitaire. « Je l’ai très mal vécu. On est considéré, nous les expatriés comme vecteur de contamination. Pour de nombreux algériens, le Covid 19 a été "apporté" par des familles venant de l’étranger. J'ai légèrement l’impression d’être un pestiféré ce qui en ces temps, n’est pas facile à vivre. J’explique à mes compatriotes que cela fait plus de 14 jours que je suis là. Si je devais être malade, je le serais déjà. C’est très lourd à vivre. J’ai l’impression de vivre une double peine. Oublié par notre chère nation et le sentiment de rejet par mon autre nation. J’ai des fois l’impression que ça me dessert plus que ça me sert cette double nationalité. »


Mohand ne perd pas espoir. L'avocat Hacen Boukhelifa, touché par la situation, a écrit à l'Ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt pour que le dossier avance et a contribué à médiatiser l'affaire. De son côté, le député des Bouches-du-Rhône, Saïd Ahamada essaie de faire bouger les choses pour qu’il puisse retrouver les siens et encadrer à nouveau ses « minots », laissé en déshérence à Marseille.


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