G. Hatem : « Les femmes ont besoin d’avorter, même durant le Covid-19 »
Ghada Hatem est la fondatrice de la Maison des femmes qui accueille notamment des victimes de violences domestiques. Alors que ces dernières explosent en période de confinement, cette gynécologue juge inefficace les dispositions mises en place par le gouvernement.
LCDL : La recrudescence des violences domestiques en période de confinement était-elle prévisible ?
Ghada Hatem : Absolument. On a noté une augmentation en Chine et en Italie. Il n’y avait donc aucune raison que la France y échappe. Les chiffres disponibles sont ceux de la police qui enregistre une augmentation de 30% de ce type de violences. Et ces données n’incluent évidemment pas les femmes, qui du fait du confinement, ne peuvent pas demander de l’aide. Comme toutes les autres associations, nous avons moins de consultations car les victimes peuvent moins chercher secours à l’extérieur car elles n’en ont pas la possibilité.
Estimez-vous efficace le dispositif mis en place par le gouvernement pour protéger les femmes ?
Il est très insuffisant. Les autorités ont pris des semaines à rédiger un texte qui nous a pris un quart d’heure. On a tout de suite compris ce qui nous attendait et sommes extrêmement déçus par le gouvernement. Il aurait fallu prévoir un parcours simplifié pour les femmes souhaitant avorter par exemple. Elles sont déjà punies par le confinement, par un environnement toxique et le joug d’un mari, père ou frère violent. Ce serait bien qu’elles n’aient pas, en plus, à subir une triple peine.
S’agissant des violences, les associations ont désormais pris le relais. Elles lèvent des fonds et mettent à disposition des hébergements. On attend que la police soit plus réactive et que les procédures de mise à l’abri et d’expulsion du conjoint violent ainsi que l’attribution de téléphone grand danger soient plus rapides.
Est-ce parce que le confinement exacerbe les tensions que même des personnes sans antécédent passent à l’acte ?
Tous les couples confinés vivent des tensions mais avec une bonne psychologie et la capacité d’avoir du recul, les choses se passent bien. Et puis, il y a des couples qui pensaient bien s’entendre tant que chacun vaquait à ses affaires et qui 24h/24 en face-à-face ont envie de se tuer. Heureusement, certains ont un profil psychologique qui font qu’ils ne passeront pas à l’acte mais d’autres le feront. Idem pour les enfants qui peuvent subir des violences qui suscitent une grande inquiétude.
Quel impact a eu le confinement sur le fonctionnement de la Maison des Femmes ?
Une baisse du nombre de consultations. Les victimes de violence qui bénéficiaient déjà d’un suivi se sont vues proposer des téléconsultations avec les psychologues. La prise en charge de l’excision, qui ne relève pas de l’urgence vitale, a été arrêtée.
Notre troisième métier, le planning familial reste le plus actif car les femmes ont toujours besoin d’avorter même en période de Covid-19. Nous avons dû accélérer notre procédure afin de limiter les déplacements.
Quel accueil a reçu votre tribune publiée dans le Monde du 31 mars demandant de maintenir l’accès à l’avortement ?
Je l’ai cosignée avec deux collègues et nous sommes assez contents. On a été soutenu par des ministres, des députés, des personnalités influentes, mais, malgré cela, le gouvernement reste sourd. Nous avons sollicité par courrier au ministre de la Santé Olivier Véran en lui demandant une réponse claire et positive.
Nous avons engagé un bras de fer avec le gouvernement car nous savons que dès le déconfinement nous allons avoir un afflux de gamines qui n’ont pas pu venir car elles ne peuvent pas dire à leurs parents : « j’ai un retard de règles et j’ai peur ». Elles ne peuvent plus prétendre aller au lycée et venir nous voir. Quand elles pourront enfin le faire, la situation sera dramatique. Nous savons que le nombre d’interruptions volontaires de grossesse est stable en France depuis des années. Il ne va pas diminuer comme par miracle au printemps 2020. Si les personnes concernées ne sont pas là maintenant, elles viendront plus tard.
Quelles autres problématiques se poseront à l’issue du confinement ?
Nous nous attendons à être inondés de patientes qui vont se dire on va enfin pouvoir s’occuper de moi mais aussi à des découvertes sordides, des drames, voire des meurtres. Dans des lieux isolés, j’ai peur qu’on trouve des enfants et des femmes morts. Tant que tout le monde est confiné personne ne suspecte rien. Il y a aura aussi des couples qui vont entre-déchirer, des grossesses non désirées en pagaille et des enfants pas voulus qui vont naître. Rien de très réjouissant.
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