Etienne Nouguez : « La chloroquine pourrait être génériquée »

 Etienne Nouguez : « La chloroquine pourrait être génériquée »

archives personnelles d’Etienne Nouguez


L’industrie pharmaceutique est en grande tension en ce moment. Avec 60 à 80% des principes actifs produits en Asie, elle pourrait se retrouver à court de matières premières. Le chercheur au CNRS et à Sciences Po, auteur « des médicaments à tout prix. Sociologie des génériques en France », Aux Presses de Sciences Po, Etienne Nouguez revient sur le marché particulier du médicament et du générique.


En quoi le médicament est il un produit à part ?


Le médicament est extrêmement régulé par l’Etat. Vous ne pouvez pas mettre sur le marché, un médicament sans autorisation de mise sur le marché (AMM). L’agence du médicament décide de la circulation ou non d’un médicament. La mise sur le marché se fait à partir d’essais cliniques, d’évaluations, d’expertises de ce qu’on appelle la « balance entre les bénéfices et les risques. » Ca prend énormément de temps.


Reste t’il, en Europe, des producteurs de principes actifs, qui contiennent la molécule thérapeutique ?


60 à 80% du marché des principes actifs se fait hors dEurope, principalement en Asie (Inde, Chine et Thaïlande). Les sociétés en Europe font surtout de la galénique, c’est à dire de la mise en forme des produits pharmaceutiques (voir au cœur de la production de chloroquine). Par exemple pour la chloroquine, le principe actif est produit à l’étranger en Inde. En France, la seule à produire de la chloroquine est l’usine Famar Lyon qui est en redressement judiciaire.


Quand on a un confinement comme en Inde ou en Chine, cela peut-il avoir des conséquences sur la production de médicaments ?


Pour l’instant, il n’y a pas de fermeture des frontières sur la circulation des marchandises. Par contre, le souci avec le COVID-19, c’est que de nombreuses usines chinoises ont arrêté de fonctionner. Cela a provoqué des difficultés de fournitures en principes actifs. Il peut y avoir d’autres raisons à une pénurie de médicaments, comme une usine déclarée non conforme, des importations bloquées car les lots sont jugés mal faits.


Le président Macron a parlé de « guerre ». Peut-on imaginer une réquisition totale du stock de médicaments par l’Etat ?


C’est en partie le cas. On l’a vu sur les masques. On peut l’imaginer sur les médicaments. Le gros problème, c’est que pour réquisitionner, il faut avoir des choses à réquisitionner. Tant que les usines de principes actifs sont à l’étranger, c’est la loi du plus offrant qui l’emporte. Personne ne peut réquisitionner les stocks qui sont en Chine.


Y a t’il des stocks suffisants ?


Les industriels  et les grossistes répartiteurs sont obligés d’avoir des stocks. Ils sont basés sur de la demande normale. Si la demande de chloroquine explose, il pourrait y avoir des problèmes d'approvisionnement. Les stocks sont conséquents mais on n’a pas une vision claire de l’étendue de son utilisation à l’heure actuelle.


S’il y avait un « remède miracle», peut ‘on imaginer une hausse soudaine des prix de ce médicament ?


Ce n’est pas le cas partout  dans le monde, mais en France, les prix sont encadrés. Ils sont négociés avec les industriels. La différence se situera dans le rapport de force. Toutefois, il est peu probable qu’un médicament connaisse une hausse subite de son prix en France du fait de la hausse de la demande.


Vous avez beaucoup travaillé sur les génériques. Est ce que la production d’un générique est automatique ?


Non, pas du tout. Les génériques sont l’envers du droit des brevets. Pour qu’il y ait générique, il ne faut plus de brevets. Ces certificats de propriété intellectuelle protègent l’inventeur du princeps (médicament original, ndlr) pendant 20 ans. Quand il tombe dans le domaine public, n’importe qui peut le copier. Il existe cependant des exceptions au droit des brevets. Des pays ont usé des directives de l’OMC et de l’OMS, pour les trithérapies, en prenant le droit de ne pas respecter le droit des brevets pour un impératif de « santé publique majeure ».


La chloroquine pourrait ‘elle avoir un générique ?


Oui car la chloroquine est commercialisée depuis les années 1950. Il peut y avoir des protections sur certaines formulations de chloroquine par rapport à d’autres mais, comme le principe actif n'est plus breveté, des entreprises pourraient le génériquer. Jusqu’à présent, le prix était sans doute trop bas et le marché trop petit pour qu'il soit intéressant pour des génériqueurs d'entrer sur le marché.


Les entreprises se placent-elles automatiquement sur tous les médicaments à génériquer ?


Tout dépend du volume. Tous les marchés ne sont pas assez "gros" pour intéresser les producteurs de génériques. Un producteur de princeps est comme une écurie de formule 1. Il a peu de produits mais ce sont des produits à forte valeur ajoutée. Un génériqueur est un producteur de masse qui se place sur de nombreux marchés nationaux différents. Il doit vendre à grande échelle pour que ce soit rentable.


Le générique est ‘il différent en termes de qualité par rapport au médicament ?


Il est différent mais pas de moindre qualité. Légalement, un générique doit avoir la même composition en principe actif, la même forme galénique (pilulle, suppositoires, etc..) et la même biodisponibilité, c'est-à-dire la même diffusion dans le corps. Par contre, ils peuvent être différents sur tout le reste (couleur, taille du médicament, manière de le découper, etc..). Cela peut avoir des conséquences car pour le consommateur, le générique ne ressemble plus à son médicament habituel. En médecine avec l’effet placebo, le fait de croire que son médicament est moins bon, peut produire des effets moins importants dans l’organisme.


Comment se répartit le marché du médicament entre le princeps et les génériques ?


Les génériques représentent un tiers du marché du médicament en France. Pourtant, les pharmaciens donnent un générique dans 8 cas sur 10 où c'est possible. Cet écart entre la part des génériques parmis les médicaments généricables et la part dans l'ensemble des médicaments s'expliquent par les comportements des médecins, qui ont une attirance pour les derniers médicaments sortis et protégés par un brevet. On reproche la non-percée des génériques en France aux patients mais ce sont les médecins qui bloquent, surtout les médecins spécialistes. Même s'ils peuvent parfois avoir quelques réticences à l'égard de la substitution, les patients dans leur grande majorité semble avoir adopté les génériques.


 



Des médicaments à tout prix. Sociologie des génériques en France, Etienne Nouguez, Les Presses de Sciences Po.


 


Voir aussi :


#1 Au cœur de la production de chloroquine et d’Azithromycine


#2 Au cœur de la production de chloroquine et d’Azithromycine


Tribune : il faut sauver le « soldat » Famar Lyon


Rachid Lamrini : « Approvisionnez vous « normalement » en médicament »


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