Paris. L’exposition « Attention travail d’arabe » séduit les lycéens du 19e

 Paris. L’exposition « Attention travail d’arabe » séduit les lycéens du 19e

La classe de terminale du lycée Georges Brassens (Paris 19è) est à l’heure ce vendredi 2 octobre. Avec leur professeur, elle a rendez-vous à 10h avec Ali Guessoum. Il est là pour leur présenter son exposition « Attention, Travail d’Arabe ». Ce communiquant de 55 ans a l’habitude de ce genre de rendez-vous. Depuis 2001 et la création de son association « Remembeur », Ali Guessoum travaille à démonter les stéréotypes avec des expositions d’affiches humoristiques et des interventions en milieu scolaire.

Ali Guessoum, fondateur de « Remembeur ».

Ce matin, ce sont donc une quinzaine d’affiches qui ont été déployées à la Maison du combattant, de la vie associative et citoyenne (Macavac), une salle située dans le 19è arrondissement de Paris.

Les affiches qui visent à déconstruire les préjugés sur les immigrés et leurs descendants, en détournant des slogans publicitaires, sont placées « en ordre chronologique », précise d’emblée Ali Guessoum. Elles racontent une partie de l’immigration en France.

 

Le titre de l’exposition est pleinement  assumé par son auteur. « Le titre est provocateur mais il permet surtout de rappeler l’histoire. Avant la colonisation française en Algérie, le travail d’arabe était perçu comme un travail de précision. Ce terme est né au huitième siècle quand une horloge mécanique d’une précision inouïe a été offerte à Charlemagne par des Arabes. L’expression « travail d’arabe » est malheureusement aujourd’hui une insulte », regrette Ali Guessoum.

Chaque affiche est expliquée par l’auteur avec précision, ainsi que le choix de l’image et du texte. « A un moment, je me suis dit qu’il fallait traiter les questions de racisme autrement que sur un air victimaire et amer, et surfer sur le second degré et l’humour en faisant appel à notre mémoire collective », précise Ali Guessoum.

Algérien arrivé en France à l’âge de 7 ans, Ali Guessoum a 18 ans en 1983. Comme des milliers de jeunes de son âge, il participe à la marche pour l’égalité et contre le racisme –  rebaptisée « marche des Beurs ».

« Ce n’étaient pas des Arabes qui manifestaient mais des jeunes qui demandaient les mêmes droits. On était des enfants français avant d’être des enfants d’immigrés », rappelle, amer, Ali Guessoum aux élèves.

L’année d’après, une autre manifestation « Convergence 84 » arrive à Paris avec le slogan « la France, c’est comme une mobylette, elle a besoin de mélange pour avancer ». Sur place, les professionnels de l’antiracisme qui finiront tous dans les plus hautes sphères de l’Etat (Julien Drey, Harlem Désir, Malek Boutih, etc.) y distribuent des petites mains en plastique avec écrit dessus « touche pas à mon pote ».

Un slogan que déteste Ali Guessoum et qu’il a choisi de détourner en « touche pas à mon vote ». « Touche pas à mon pote était teinté de paternalisme. Il a servi à Mitterrand à récupérer les voix des immigrés et de leurs enfants. On a confisqué la parole à cette génération. Il ne faut jamais déposséder les principaux intéressés, ce sont eux les experts des discriminations », martèle Ali Guessoum.

Au-delà de la déconstruction pédagogique et douce, les affiches permettent donc de donner une voix à ceux qui ne peuvent pas se défendre. « C’est important de se réapproprier notre histoire, de poser nos sentiments par l’image », détaille encore Ali Guessoum.

Les élèves en classe de terminale du lycée Georges Brassens (Paris 19è) à l’exposition « Attention travail d'arabe ». Photo : Nadir dendoune
Les élèves en classe de terminale du lycée Georges Brassens (Paris 19è) à l’exposition « Attention travail d’arabe ». Photo : Nadir dendoune

Les élèves sont concentrés et semblent apprécier l’approche de l’auteur. « La moitié de la classe a pris l’option art. Cette exposition tombe à pic pour eux. Elle leur permet de voir ce qu’on peut faire avec l’art », explique leur professeur.

Ce dernier demande à Ali Guessoum pourquoi a-t-il choisi le format publicitaire.

« J’aime ce format, je le trouve très percutant. Je voulais que les affiches soient comprises de tous. C’est important pour moi d’être accessible du plus grand nombre », soutient l’artiste. Mission accomplie : à l’issue de la présentation, tous les élèves sont ravis.

« Cette exposition est superbe. Les affiches répondent aux questions que nous, adolescents, on se pose face au racisme. On en parle beaucoup entre nous. On a tous un ami qui a été victime de racisme », commente Edouard. « Les messages sont clairs et on y parle de tous les racismes », dit-il avec enthousiasme.

Effectivement, Ali Guessoum n’oublie personne. En plus de mettre en avant les apports de l’immigration maghrébine en France (Le Camembert Président devient le Camembert Résident, avec en sous-titre : « L’immigration, il ne faut pas en faire tout un fromage », « Maure pour la France », hommage aux anciens combattants des colonies), l’auteur dénonce également le racisme antichinois (« Ils sont ceinture noire du racisme et s’attaquent à la communauté asiatique » « Chinadown, le very bad trip »), le racisme anti-Roms («Après les Macaronis, Espingouins, Polacks, Portos, Bougnoules, Nègres, Chinetoks, tous les chemins du racisme mènent aux Roms »…).

Ali Guessoum s’en prend également au mythe du complot juif. La « Confiture Bonne Maman » se transforme en « Confiture Bonne Mytho ».  Le couvercle du pot est remplacé par une kippa, le titre est sans ambiguïté : « La parano, ça conserve ».

Garence, béret sur la tête, ne tarit pas d’éloges. Elle a particulièrement adoré l’affiche du  « scabreux » (détournement du jeu le Scrabble) qui met en lumière les raccourcis qui sont faits entre musulmans et terroristes. « J’en entends parler sans arrêt et c’est important de dénoncer ces amalgames». 

Bahia, elle, raconte qu’à la maison, elle un a rôle régulateur. « Mes parents ne sont pas racistes mais il peut arriver qu’ils disent des choses un peu limites. Je pense que c’est plus dû à leur parcours », minimise la lycéenne.

Ali lui propose au tac au tac de les emmener voir l’exposition.

Gratuite mais sur réservation, le public peut la découvrir jusqu’au 9 octobre prochain.

Maison du combattant, de la vie associative et citoyenne – 20, rue Edouard-Pailleron, Paris 19e.

Visite sur rendez-vous (masque obligatoire) – Réservation au 01-53-72-89-10 ou [email protected].