Palestiniennes : Pasionarias malgré elles
Dans le dossier du mois, le Courrier de l’Atlas revient sur les Palestiniennes, pasionarias malgré elles, qui se battent pour la Palestine et leurs droits.
Rima Hassan Mobarak, 31 ans, est une juriste et militante franco-palestinienne qui a vu le jour dans un camp de réfugiés en Syrie et est arrivée en France à l’âge de 10 ans. L’édition française de Forbes l’a classée parmi les 40 femmes exceptionnelles en 2023, mais cette mise en lumière n’a pas été du goût de tous. Arthur a dénoncé la nomination d’une personne qu’il qualifie d’“antisémite”, ce qui a incité la femme de loi à poursuivre l’animateur en justice pour diffamation. L’affaire a pris une telle ampleur que le mois dernier, la direction du magazine économique a préféré annuler la cérémonie de remise des trophées, prévue le 28 mars au Ritz à Paris, destinée à récompenser 40 personnalités féminines au parcours remarquable.
Adania Shibli soutenue par des Nobel
Née en 1974 en Galilée, Adania Shibli vit aujourd’hui entre Berlin et Jérusalem. Auteure de pièces de théâtre, de nouvelles et de romans, cette écrivaine de langue arabe devait recevoir au salon du livre de Francfort, en octobre dernier, le prix LiBeraturpreis pour Un détail mineur. Mais du fait des attaques du 7-Octobre, la remise de cette distinction n’a pas eu lieu. Cette décision a suscité une vive réaction dans le monde de l’édition. L’oeuvre en question, fruit de douze années de travail, s’inspire d’un épisode révélé en 2003 par le quotidien israélien Haaretz. En août 1949, des soldats ont kidnappé une jeune bédouine, l’ont collectivement violée, puis tuée et enterrée dans le Néguev…
C’est le viol comme arme de guerre que dénonce, de sa plume incisive, Adania Shibli dans ce troisième roman, en plantant le décor à la manière d’un Hitchcock. Un détail mineur fait penser à Disgrâce du Sud-Africain J. M. Coetzee, Nobel de littérature en 2003, qui en a d’ailleurs fait l’éloge. D’autres lauréats du même prix et de grands noms de l’édition ont par ailleurs apporté leur soutien à la finaliste du Booker Prize 2021 en signant une pétition contre sa mise au ban, lors de la Foire du livre de Francfort. De quoi espérer voir un jour Adania Shibli devenir la première écrivaine arabe à remporter le prix Nobel de littérature ? L’avenir nous le dira.
Samia Halaby est une figure emblématique de l’art abstrait. Née en 1936 à Jérusalem, elle fut la première femme à enseigner au sein de la Yale School of Art, à New Haven dans le Connecticut. Présente dans de prestigieuses institutions à travers le monde, elle est exposée au British Museum à Londres et au Mathaf à Doha, entre autres. A 87 ans, cette artiste s’apprêtait à inaugurer le 23 février dernier, au Musée d’art de l’université de l’Indiana, une grande rétrospective consacrée à son oeuvre, mais un courrier de deux phrases l’a informée de l’annulation à la dernière minute de cet événement, en préparation depuis trois ans. Motif invoqué ? Des questions de sécurité ! En 1948, année de la Nakba, la petite Samia avait 11 ans. Avec ses parents, elle a d’abord trouvé refuge à Beyrouth, avant de s’établir aux Etats-Unis. Elle n’a jamais cessé de peindre la terreur de ceux qui ont vu ou craignent de voir leur maison volée. Plus de 15 000 personnes ont signé la pétition pour que son exposition soit maintenue.
Ces trois femmes issues de générations différentes ont été confrontées depuis le 7-Octobre aux mêmes tentatives d’étouffement. En cherchant à les museler, ceux qui ont voulu les “canceler” n’ont donné que plus d’écho à leur voix. Ce qu’elles traversent est symptomatique de ce que vivent les palestiniennes depuis trop longtemps. On se souvient notamment de la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée par l’armée israélienne le 11 mai 2022 à Jénine.
Reporter de guerre à 9 ans
Derrière Rima Hassan Mobarak, Adania Shibli et Samia Halaby, il y en a des milliers d’autres, illustres ou inconnues, qui depuis 1948 résistent à l’injustice et à l’oppression, quitte à se retrouver en prison pour un post sur les réseaux sociaux. Lutter pour exister mais comment ? En s’improvisant reporter de guerre à 9 ans, à l’instar de Lama Jamous qui montre son quotidien sous les bombes à Gaza à ses presque 900 000 abonnés Instagram ? Pour beaucoup, le combat passe par l’écriture, la cuisine, le tatreez (broderie traditionnelle), le chant, le cinéma et l’engagement inconditionnel pour la paix. Rendre hommage à ces héroïnes, est-ce vraiment nécessaire de l’écrire, n’est l’aveu d’aucune forme d’antisémitisme. Laisser s’exprimer les unes sans haïr les autres. Réduire au silence ne génère que frustration et radicalisation. On peut déplorer les victimes dans un camp “et” dans l’autre. Dans ce “et” réside tout l’espoir perdu de celles et ceux qui croient que seule la violence peut répondre à la violence
Articles du dossier :
- Rima Hassan : « Je suis habitée par la Palestine »
- Prison : La triple peine des détenues Palestiniennes
- Palestiniennes : le choix du sacrifice ultime
- Féminisme en Palestine : le combat continue
- Palestine : Des passeuses de mémoire contre l’effacement
- Palestine : Fadwa Touqan et autres déflagrations poétiques