Opinions. Coronavirus: L’enfer, c’est (toujours) les autres
« L’enfer, c’est les autres », cette maxime qui a bercé notre adolescence a constitué par la suite le principal sujet de désaccord avec mon épouse qui pense toujours, d’ailleurs pour sa part que « l’enfer, c’est sans les autres ». Deux conceptions du monde qui s’entrechoquent, l’une marquée par un principe de réalité, qui considère « l’homme comme un loup pour l’homme » et une autre vision de la vie où l’altérité est une richesse, ou le devoir d’ingérence humanitaire dans la vie des autres est vital, rejoignant en cela le fameux cri de ralliement de Jacques Brel : « j’ai mal aux autres » !
Ces beaux débats à l’ombre d’une bonne théière traditionnelle ont-ils encore un sens aujourd’hui avec la pandémie du Coronavirus ? Surtout quand une pub payée rubis sur ongles en puisant dans les deniers publics vous conseille « si vous aimez vos proches, n’approchez pas trop » ?
Hier, vivre avec les autres était un enfer, aujourd’hui, s’approcher d’eux, c’est risquer de prendre un ticket pour l’enfer, la seule différence, c’est qu’on ne sait pas trop si c’est vous ou l’autre qui passera le premier, l’arme à gauche.
Cette tombola funèbre ou funeste, impose désormais de s’adresser aux autres derrière un masque car, non seulement nous sommes obligés de garder nos distances mais de plus, pour se parler, il faut se cacher derrière un paravent en tissu, un masque de fer aurait été plus efficace pour faire obstacle à ce minuscule salopard qui s’incruste entre les narines ou les lèvres en attendant qu’un génial scientifique trouve et prouve que finalement, ce virus passe tout simplement par les pores, auquel cas, il va falloir imposer un scaphandre étanche à chaque citoyen.
D’ores et déjà, on est passé de la prudence à la panique, la peur du Covid-19 est devenue un réel obstacle à toute vie sentimentale, professionnelle ou amicale. Un vrai cauchemar ! Drôle d’époque, une pathologie comme l’anxiété sociale que les psychiatres traitaient hier dans l’ambiance feutrée et discrète de leur cabinet est devenue une posture, un mode de vie qui prouve au contraire que vous êtes bien sain d’esprit.
Cette anxiété sociale devenue normative après avoir été maladive, peut revêtir différents masques, d’intensité et de gravité variables. Alors qu’un être normalement constitué recherchait ardemment cette chaleur immédiate et brûlante du regard d’autrui, maintenant sa seule présence provoque le trouble.
Comme pathologie, l’anxiété sociale est diagnostiquée en effet comme « une manifestation universelle, renvoyant aux sensations d’appréhension, de conscience aiguë et douloureuse de soi et de détresse émotionnelle ressenties dans les situations de danger réel ou fictif ».
Il faut savoir que les psychologues évolutionnistes, sont convaincus que l’anxiété sociale aurait un rôle majeur de régulation des conflits sociaux, en poussant les uns à adopter une attitude de soumission face aux autres sinon les affrontements entre classes sociales seraient incessants.
Sans tomber dans le complotisme, n’est-il pas donc légitime de se demander pourquoi, d’une pandémie, ni plus grave ni plus destructive que la grippe , on a pris un malin plaisir à provoquer une panique telle qu’il nous est demandé aujourd’hui de renier tous nos comportement sociaux normatifs ?
Et si nous étions tout simplement face à une pandémie qui a mis à nu un système libéral sauvage qui s’est révélé incapable d’offrir des conditions de vie dignes à chacun. Or c’est bien le moment de mettre l’intérêt humain au centre de l’intérêt public, au moment même où on n’a jamais eu autant besoin de voir des hommes se frotter à d’autres hommes pour échanger des idées, des mots, des visions du monde au lieu de limiter l’échange à l’économie des marchandises.
L’idéal des Lumières, c’est celui qui donne des clés de compréhension à l’opinion publique en place et lieu des superstitions, des infox, des théories de charlatans et le flicage numérique.
N’est-ce pas le moment de réfléchir à un nouveau pacte social, écologique et démocratique privilégiant la qualité de vie sur la quantité de biens, de définir un autre rapport de force avec les puissances d’argent, les grandes fortunes et les transnationales, passer enfin à un autre modèle de société, plus démocratique, basé sur le partage effectif des richesses ?
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