Décryptage du discours de Mohammed VI : La trahison comme mode de gouvernance
En tant que journalistes, nous ne sommes pas là pour faire la cour aux puissants. Quand de surcroit, c’est le chef de l’état, lui-même, Mohammed VI, en l’occurrence, qui dénonce l’incurie de la classe politique, questionner l’actualité devient un devoir, dans l’espoir de déboulonner ces apparatchiks de la politique et autres mafieux de l’administration. Étude de texte.
Un premier constat : le dernier discours royal prononcé à l’occasion du 18e anniversaire de la fête du trône est né d’une colère. Celle d’un chef d’État qui voit des efforts colossaux partir en fumée à mesure que l’assurance de voir chacun participer effectivement au gouvernement de la cité s’évanouit petit à petit. Pour que le désenchantement succède à l’euphorie des premières heures du règne, c’est que l’heure est vraiment grave. Si la protestation du monarque est solitaire, elle n’est pas unique, nombre de Marocains, voire la majorité, ressentent exactement le même malaise. La crise actuelle est bien plus qu’une forme aiguë d’un mal chronique, celui d’une faible gouvernance, cet euphémisme utilisé par Mohammed VI pour pointer du doigt les jeux politiciens et la corruption qui font désormais un si piètre usage de la démocratie.
Un terme m’a particulièrement interpellé dans cette allocution : « trahison ». Trahison, un maître mot par les temps qui courent. Un verbe à conjuguer à la justice, à l’administration, aux ministères et à ces pompes à fric que représentent les grands marchés publics. Qui dit marchés publics dit gros sous, et qui dit gros sous dit corrupteurs et corrompus. Avec l’avènement du nouveau règne, on avait souhaité conjuguer le verbe corrompre au passé. Malheureusement, le bakchich n’a jamais été aussi déterminant qu’aujourd’hui. Jamais parfum de scandale n’a été aussi fort même si de temps à autre on exécute un ou deux Abdelhanine Benalou pour faire bonne figure. Pour certains, servir et se servir ne sont pas antinomique. Quand une société étrangère comme le grec Archirodon, qui n’a pas réussi à mener à terme un projet de pont à Abou Dhabi décroche un marché en or de 70 milliards de centimes pour construire un émissaire qui évacue le gypse au large de Jorf Lasfar pour le compte de l’OCP, qui est responsable ? Quand par ailleurs, la même société, n’ayant pas mené à bien son travail (l’émissaire a explosé jetant à même le rivage la matière polluante) empoche le chèque et se met aux abonnés absents pour ne pas répondre aux sollicitations de l’OCP, qui est coupable ? Qui va payer la double facture, financière et environnementale ? Quand le ministère de l’Équipement confie en 2013 la construction du nouveau port de Safi à une boite de BTP, peu expérimentée qui plombe le projet de 4 milliards de DHS en fournissant un quai inutilisable. Au final, ce quai dont plus de 45 blocs ont déjà éclaté est inutilisable et aujourd’hui le même ministère multiplie les réunions parce qu’il n’a pas d’autre solution que de construire un autre port, qui paiera la facture ? N’est-ce pas de trahison qu’il s’agit là ? On verra aussi combien de trahisons seront éventées par les conclusions des rapports qui ne manqueront pas de tomber quand les enquêtes sur les projets initiés à Al Hoceima seront finalisées. Ce sera aussi l’occasion de pointer les administrations et les ministères les plus corrompus.
Si après ça, vous avez encore envie de savoir pourquoi les citoyens ne font tout simplement plus confiance à la classe politique, il suffit de jeter un simple regard à la coupole, d’observer quelques instants, ces honorables députés profondément assoupis pour être définitivement dégoutés de la politique. Combien d’élus au parlement doivent-ils leur siège à des entourloupes de bas étage, quand ce n’est pas à l’argent sale ? C’est toujours le suffrage universel qui les mènent au sommet, mais au service des appareils partisans et non plus du peuple. Combien de responsables, de chefs de partis, voire de ministres qui trainent des casseroles reviennent régulièrement au-devant de la scène et sans le moindre soupçon de pudeur, regret, remords ou retenue. L’indignité, le déshonneur, l’opprobre qu’ils trainent avec un lourd passif ne sont rien devant le bonheur conséquent aux ors de la fonction.
On devrait quand même dire merci à ceux qui nous ont épargné la honte de voir un profil comme celui de Khalid Alioua revenir dans la formation du gouvernement actuel.
Abdellatif El Azizi