« On fait comme s’il y avait un camp contre un autre », Christophe Korell, policier

 « On fait comme s’il y avait un camp contre un autre », Christophe Korell, policier

Christophe Korell, policier, détaché au ministère de la Justice et président de l’association « Agora des citoyens, de la police et de la justice (Acpj) ». Crédit photo : LouizArt

Christophe Korell est policier depuis 1997. Aujourd’hui, détaché au ministère de la Justice, il préside l’association « Agora des citoyens, de la police et de la justice (Acpj) ».  Une association qui tente de créer des espaces de dialogue entre la police et la population. Nous avons justement dialogué avec lui, longuement. Il nous livre sa réalité du métier. Une réalité rarement reflétée dans les médias « mainstream ». 

 

LCDL : Comment êtes-vous devenu policier ? 

Christophe Korell : Un peu par hasard. Un ami m’avait parlé du service civil dans la police, et il m’en avait dit que du bien, alors je me suis laissé tenter. Je me suis senti très utile.

L’année suivante, en 1997, j’ai décidé de passer le concours de Gardien de la Paix. Je me suis alors retrouvé affecté à Asnières-sur-Seine, après une année de formation.

Justement, vous, qui avez grandi en Alsace à Mulhouse, comment se passe l’arrivée en banlieue parisienne ? 

Ça n’a pas été simple. Il faut savoir que plus de 60% des policiers qui sortent de l’école débarquent en Île-de-France. La moitié du contingent francilien est originaire d’une ville de moins de 20 000 habitants. Ils ne sont donc pas nécessairement habitués aux grandes villes.

Dès notre affectation, nous devons trouver un logement très vite. On arrive dans un coin que nous ne connaissons pas, où nous manquons de repères. Avec une petite paie et les loyers chers à Paris, je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre une colocation avec un collègue.

Je n’avais aucune famille, aucun ami en région parisienne.  Du coup, le risque, c’est d’être, au moins au début, constamment entre collègues, que ce soit au travail ou à l’extérieur. On fonctionne alors en vase clos.

En 1997, vous arrivez alors au commissariat d’Asnières…

Oui et là aussi, cela n’a pas été simple. Personne ne nous explique quel est le tissu social de la ville. On aurait pu par exemple nous présenter les associations et les clubs sportifs locaux. Nous aurions pu nous présenter à la population, commencer à tisser des liens.

On nous a juste dit que tel quartier, c’est la merde. Résultat : avec les collègues, on finit par voir ce quartier en question, ainsi que les jeunes qui y habitent comme une source de problème. Si l’on n’y prend pas garde, tout le quartier devient pour nous la zone de délinquance.

Vous dites aussi qu’il y a un problème d’encadrement en région parisienne…

Oui. Il y a seulement 13% de gradés dans certaines directions parisiennes. En province, le chiffre est de 30%. La police francilienne est surtout une police très jeune, qui manque donc d’expérience.

Il peut arriver que l’on ait, par exemple, des chefs de bord (NDLR : le responsable du véhicule) qui sont dans la police depuis seulement un an !

Énormément de jeunes hommes se plaignent du tutoiement systématique des forces de l’ordre à leur égard…

Pour moi, c’est un faux problème. J’ai tutoyé de jeunes adolescents. J’ai toujours eu du mal à dire « vous » à un môme de 15 ans, même si je suis conscient que c’est contraire à la déontologie de la police. Par contre, en retour, j’acceptais le « tu ».

Pour moi, la question du tutoiement est un faux problème, parce que je rappelle qu’on peut dire « tu » et être respectueux et à l’opposé et dire « vous » et ne pas être respectueux. Je crois que c’est donc, surtout, une question d’approche.

On entend de plus en plus dire que la police française est raciste. On parle de 50% de vote RN au sein des forces de l’ordre…

La police française est à l’image de la société française. Je ne pense pas qu’il y a plus de racistes dans la police qu’ailleurs. Une partie de mes collègues qui votent Front national le font surtout par dégoût de la politique.

Pour ma part, même si je sais que certains policiers sont racistes, ils ne le montrent jamais dans le cadre de leur boulot, et, c’est le plus important. Même s’il y a forcément un risque de traduire ses idées par des actes, du fait des pouvoirs dont disposent les policiers.

Mais il ne faut pas non plus se cacher. Il y a des comportements racistes. Et on le voit, notamment à travers les faits divers qui sortent régulièrement dans la presse. C’est une réalité. Comme aussi, certains collègues, issus de l’immigration, le disent eux-mêmes ».

Après, quand on est d’origine étrangère, oui, on a plus de mal dans la société française qu’un blanc, à trouver un emploi, à se loger, à s’insérer. Mais ceci dépasse le cadre de la police.

On devrait arrêter de parquer dans les mêmes lieux tous les pauvres. J’enfonce des portes ouvertes mais il faut mettre le paquet sur le logement, l’éducation. La police, ne pourra, à elle toute seule, résoudre toutes les problématiques de la société française.

Selon un récent sondage, le sentiment de défiance de la population envers la police dépasse les 30% …

Effectivement et le chiffre est important même, s’il est sensiblement le même depuis plusieurs années. Comparé à d’autres polices, ailleurs en Europe, il est un peu plus élevé. Il faut donc se demander pourquoi.

Ce qui me dérange, c’est qu’il n’y a aucune remise en question de la part de nos supérieurs. J’entends souvent mes collègues me dire que les 30% de gens qui ne nous aiment pas sont des délinquants. C’est absurde, c’est bien plus compliqué que cela, même si l’on n’arrivera jamais à convaincre tout le monde.

On fait comme s’il y avait un camp contre un autre. C’est oublier que la police est au service des citoyens, de tous les citoyens.

Les gendarmes ont l’air d’avoir plus la « cote »…

Oui c’est vrai. Peut-être que la discipline militaire qui leur est enseignée y trouve une part.

Mais aussi, il faut rappeler que les gendarmes travaillent dans leur immense majorité hors des villes, plutôt à la campagne. Donc, ils gèrent moins la délinquance de masse du « quotidien ». Et il leur est plus facile, par essence, d’avoir un contact de proximité avec les citoyens. Ce qui est plus complexe dans les grandes agglomérations.

Ils ont donc, à la fois, moins à faire usage de violence, tout en étant plus proches des administrés. Le tout explique peut-être, au moins en partie, ces différences. Les  métiers de policier et de gendarme ont les mêmes objectifs, mais ils se font de façon un peu différente, chacun dans sa culture.

Vous dites aussi que la police n’est là que pour réprimer…

Oui. Et c’est le fruit d’une volonté politique, depuis des années. Et forcément, quand elle ne fait que sanctionner, elle ne peut être aimée, sauf peut-être par celles et ceux qui n’ont jamais affaire à elle.

Aujourd’hui, il n’y a que deux façons d’avoir affaire à la police dans notre pays. Soit on est une victime, soit on est accusé d’un délit. En dehors de cela, l’immense majorité de la population n’a aucun contact avec la police. Avant, les policiers allaient discuter avec les gens.

Dans certains quartiers populaires, les policiers savaient quel jeune était en train de « glisser », quel jeune quittait l’école. Cette proximité avec la population, en plus de tisser du lien, était également pour nous une mine de renseignements. Il y avait des policiers qui ne s’occupaient que de faire de la prévention.

Aujourd’hui, on ne fait que de la répression. La fameuse politique du chiffre instaurée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Désormais, il faut multiplier les interpellations. Attention, je ne critique pas la répression, j’en ai fait pendant plus de quinze ans. Mais elle doit s’équilibrer avec la prévention. L’un ne doit pas aller sans l’autre, dans une politique globale.

Que pensez-vous du rôle des syndicats de police ? 

Malheureusement, comme ils sont bousculés par leur base, et qu’être syndicaliste, c’est d’abord défendre ses gars, les syndicats de police pratiquent trop souvent le populisme. Ils devraient plutôt tenir un discours mesuré, nuancé. Les flics de terrain ont du mal à prendre le recul nécessaire, et ça, on peut se dire que c’est normal.

Quand on est au plus près de la souffrance des gens, il peut être compliqué de sortir de l’émotion. Les syndicalistes, eux, devraient être là pour ça. Prendre de la hauteur, de la mesure.

Et puis, les médias, dans leur majorité ne donnent la parole qu’aux idées extrêmes, clivantes. Le discours que nous essayons d’avoir avec notre association cherche à apaiser, à trouver des solutions pour avancer, sans cliver. Mais c’est compliqué, dans une société où il faut être pour ou contre, où il n’y a pas de place pour la nuance. Créer le buzz à partir de petites phrases.

Vous présidez donc l’association « Agora des citoyens, de la police et de la justice (Acpj) ». Une association qui tente de créer des espaces de dialogue entre la police et la population…

Oui. On n’a plus le choix aujourd’hui que d’essayer de retisser du lien entre la police, la justice et les habitants, et en particulier avec certains jeunes habitants des quartiers populaires, avant qu’il ne soit trop tard. J’ai moi-même changé d’avis au contact des gens.

Avec notre association composée de policiers, de magistrats, d’avocats mais aussi de citoyens qui n’ont pas de lien professionnel avec ces métiers, nous organisons des débats avec les associations qui font appel à nous. A ce jour, principalement en Île-de-France, mais il n’est pas du tout exclu d’aller en province.

Le but est de réfléchir. Policiers, personnels de justice, jeunes de quartiers populaires, nous avons tous nos clichés, nos représentations…

Quand un policier reconnaît devant des jeunes de quartiers populaires que la police, représentante de l’Etat, qui a donc un devoir d’exemplarité, fait parfois des erreurs, cela permet d’apaiser les tensions et d’entamer un dialogue constructif avec eux. Ces jeunes peuvent alors, eux aussi, reconnaître qu’il leur arrive parfois d’aller trop loin. Ensemble, nous essayons d’avancer.

L’idée c’est aussi d’influer sur le politique ? 

Bien entendu. Notre association se veut être force de proposition à l’attention des élus, même si c’est compliqué. Nous leur expliquons que la répression bien que nécessaire, ne peut se substituer  à la prévention.

Cela demande d’ajouter des effectifs à ceux actuellement en place. Et ça coûte cher, c’est une réalité. Sans volonté politique, ça ne peut pas marcher.

Aujourd’hui, le gouvernement a 5 ans, enfin 4, la dernière année sert à la campagne électorale pour mener à bien sa politique. Et c’est bien trop court.

Pour inverser la donne, il faudrait installer des politiques sur du long terme. Malheureusement, le politique a besoin de résultats tout de suite, s’il veut avoir une chance d’être réélu.

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