Omar Raddad : l’injustice l’a tuer

 Omar Raddad : l’injustice l’a tuer

Omar Raddad a été gracié par le président Jacques Chirac en 1996. ALAIN JOCARD / AFP

La commission d’instruction de la Cour de révision tient une audience, ce jeudi 15 septembre, à propos de l’affaire Omar Raddad. Ses conclusions à venir permettront de classer le dossier définitivement ou alors d’ouvrir la voie à un nouveau procès qui pourrait innocenter l’ancien jardinier. Retour sur une affaire rocambolesque qui ressemble à l’une des plus grosses erreurs judiciaires de l’histoire française.

 

Le 24 juin 1991, le corps sans vie de Ghislaine Marchal est retrouvé dans la chaufferie de sa maison à Mougins, dans le sud de la France. La riche veuve a été sauvagement assassinée. Sur une porte du sous-sol où le cadavre est retrouvé une inscription désormais célèbre écrite avec le sang de la victime : “Omar m’a tuer.” (sic) La faute de conjugaison la plus célèbre de l’histoire judiciaire française. L’unique Omar dans l’entourage de la victime ? Omar Raddad, 29 ans, son jardinier.

Forcément, la première piste que suivent les enquêteurs mène vers lui. Trois jours après le meurtre, il est inculpé. Trois ans plus tard, cet immigré marocain écope d’une peine de 18 ans de prison. Il a beau crier son innocence, présenter un alibi qui s’avère invérifiable -car il y a méprise sur la boulangerie où il a déclaré avoir acheté son pain à l’heure du crime-, suivre deux longues grèves de la faim, tenter de se suicider par deux fois, rien n’y fait.

Les enquêteurs sont persuadés de sa culpabilité. Pourtant aucune trace de son ADN n’est retrouvée sur la scène du crime. Et guère d’empreintes génétiques de la victime sous ses ongles ou sur ses vêtements. Leur argument ? Madame Marchal l’a elle-même dénoncé avant de succomber. Ce père de famille, arrivé en France en 1986, a beau avoir un casier judiciaire vierge, il est à leurs yeux le coupable idéal. Cet homme a des problèmes financiers, voilà donc son mobile tout trouvé : l’argent. N’insistait-il pas pour obtenir des avances sur salaire ?

Pour son plus grand malheur, Omar Raddad ne parle pas bien français et lors des premiers interrogatoires, il n’a pas le droit à un interprète. Lorsque la Cour d’assises des Alpes-Maritimes, à Nice, prononce le verdict le 2 février 1994, c’est le tollé général. Sa défense de l’époque, le redoutable Jacques Vergès se fend de cette phrase : “Quelqu’un dont j’ai prouvé l’innocence vient d’être condamné à une peine qu’il ne mérite pas. C’est la célébration de l’anniversaire du centenaire de l’Affaire Dreyfus. Il y a cent ans, on condamnait un officier qui avait le tort d’être juif, aujourd’hui on condamne un jardinier parce qu’il a le tort d’être maghrébin.”

Enquête sur l’ADN

Pour beaucoup, ce verdict révèle les discriminations et des injustices que subissent les immigrés en France. Armand Djian, le président de la Cour d’assises, avait dès le premier jour du procès, le 24 janvier, répliqué à Omar Raddad qui réclamait la présence d’un interprète : “Celui qui ne sait ni lire ni écrire doit cacher sa tête dans un trou.”

A l’issue du verdict, l’écrivain Jean-Marie Rouart initie un comité de défense d’Omar Raddad et consacre un premier livre à cette affaire qui en inspirera bien d’autres. En mars 1995, le pourvoi en cassation déposé par la défense est rejeté. L’année suivante, le jardinier marocain est gracié par le président Jacques Chirac à la demande du roi Hassan II qui suit l’affaire de près dès ses débuts.

Libéré depuis vingt-six ans, Omar Raddad n’a jamais renoncé à clamer son innocence. En 2001, son avocate, Me Sylvie Noachovitch, forte d’une expertise qui avait suscité des doutes sur la paternité des inscriptions (présence de deux ADN masculins), dépose une première requête en révision mais de nouveau la cour estime qu’“aucun élément nouveau présenté n’est susceptible de faire naître un doute sur la culpabilité du condamné”.

L’affaire ne disparaît pas pour autant de la scène médiatique. En 2011, l’acteur et réalisateur Roschdy Zem contribue par un film poignant, Omar m’a tuer, à ce qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. En 2018, l’association Dynamic Maroc (voir interview de sa porte-parole) se mobilise pour faire connaître le long combat d’Omar Raddad.

Côté procédure, il faudra attendre décembre 2021 pour que la justice décide de rouvrir le dossier et d’enquêter notamment sur l’ADN que l’on a retrouvé mélangé au sang de la victime sur les inscriptions accusatrices. La juridiction compétente devrait statuer sur la révision du procès aux alentours du 20 mai.

Dernier ouvrage en date à mettre son grain de sel dans cette affaire qui ne manquait déjà pas de rebondissements, « Ministère de l’injustice », de Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon. Les auteurs révèlent une enquête parallèle réalisée en secret par les gendarmes à partir de 2002 et dont la Cour de révision n’a jamais eu vent. Cette piste, qui n’a pas été suivie jusqu’au bout, mènerait vers des bandits slaves et disculperait le jardinier marocain.

Son innocence, son avocate actuelle, Me Sylvie Noachovitch, en est convaincue. Pour elle, la condamnation d’Omar Raddad est l’une des plus grandes erreurs judiciaires du XXe siècle. Même son de cloche pour le pénaliste Yassine Bouzrou pour qui l’affaire Omar Raddad relève de la “violence judiciaire”, un exemple où “la justice a dysfonctionné et a beaucoup de mal à se remettre en question”. Selon lui, d’énormes doutes subsistent sur la culpabilité du condamné et il y aurait même des éléments qui démontrent son innocence. “En matière pénale, le doute profite à l’accusé”, rappelle-t-il.

Une proie facile

Omar Raddad a-t-il été reconnu coupable sans charges suffisantes en raison de ses origines ? “A une époque où n’existaient pas les garanties procédurales actuelles, notamment la présence d’un avocat dès la garde à vue, et que nous avons un présumé coupable qui s’exprime très mal en français et une victime issue d’un milieu bourgeois, forcément les origines d’Omar Raddad ont joué contre lui”, estime un magistrat qui a requis l’anonymat. “Il n’a aucune assistance, il n’a droit ni au silence ni à un avocat. Il est forcément parti perdant. Le fait qu’il soit un jardinier marocain fait de lui une proie facile. Aujourd’hui, les choses se seraient passées différemment”, poursuit ce juge qui pense que la vérité n’éclatera au grand jour que si un beau matin une personne se présente en disant : “C’est moi qui ai tué madame Marchal.”

Roger-Marc Moreau, le criminaliste qui enquête sur l’affaire depuis ses débuts, estime qu’“on sait pertinemment qu’Omar Raddad n’est pas le coupable mais il s’agit de couvrir l’institution judiciaire”. Il avance qu’il y a une prise de conscience que le procès doit être révisé. “Si on le veut, on peut. On a les moyens de prouver son innocence et d’avoir la vérité sur l’affaire mais cette décision quasi politique ne sera prise que s’il y a une pression médiatique. Si tout le monde est au courant que c’est une véritable injustice, que la justice veut cacher la vérité pour couvrir des intérêts particuliers, la population ne l’acceptera pas”, conclut-il plein d’espérance.