« Obsessions identitaires », celles qui engendrent une « vision guerrière »
Anthropologue et coordinateur scientifique de la plateforme internationale sur le racisme et l’antisémitisme, Régis Meyran est l’auteur du livre « Obsessions identitaires », paru en janvier aux éditions « Textuel ». Petit tour d’horizon sur le point de vue de l’auteur.
À travers l’histoire de l’évolution du concept « identité » aux Etats-Unis et en France, et ce depuis le XIXème siècle, Régis Meyran identifie deux types d’identités : celle ouverte, qui lutte contre les discriminations des minorités pour une forme émancipatrice, inclusive, visant à défendre des droits, afin d’aboutir à une meilleure démocratie. Puis il y a l’identité fermée, excluant l’Autre, le diabolisant, en faisant un ennemi.
« Qu’il y ait des cultures et des modes de pensée différents, cela est un fait qui témoigne de la richesse et de l’inventivité humaine. Mais en enfermant les cultures dans des ontologies hermétiques, les unes par rapport aux autres, on pense le monde selon des identités fermées », écrit l’anthropologue. Or en France, ajoute-t-il, le discours sur l’identité devenu l’obsessionnel, fait référence aux identités fermées. Ainsi, face à l’identité blanche, chrétienne, gauloise, de souche… on y oppose l’islam, l’islamisme, le féminisme, les juifs dans certains cas, les islamo-gauchistes, etc., souligne Régis Meyran.
Pour l’auteur, les entrepreneurs de l’identité obsessionnelle fermée sont en majorité les nationalistes républicains, les mouvements d’extrême-droite, relayés par des politiques adeptes de certains plateaux et des médias. Quant aux défenseurs de l’identité ouverte, émancipatrice, qui se trouvent dans les mouvements anti-racistes, sont taxés de cancel-culture, continue-t-il.
Régis Meyran rappelle que l’origine de cette crispation identitaire remonte aux années 2000 avec le Front National. Cependant, avec le mandat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), lequel avait créé un ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, ce thème semble avoir envahi tout l’espace politique, ajoute-t-il. Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, affirmait devant des étudiants du syndicat étudiant de droite « L’Uni » : « Nous devons protéger notre civilisation », et « Toutes les civilisations ne se valent pas ». Depuis, comme le dit l’auteur, l’identité n’a cessée d’être présentée de façon « guerrière », reprise un peu partout, et omniprésente sur la scène médiatique française. Les promoteurs de l’identité nationale se multipliant en animant un sentiment de peur et d’insécurité.
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Régis Meyran souligne que, si dans les années 1880, l’ambiance se focalisait sur le « péril juif » et a mené à une croisade anti-juifs, aujourd’hui c’est au tour du « grand remplacement », et à la croisade contre les musulmans. Il ajoute que pour accentuer le climat anxiogène de la peur de l’autre, souvent de fausses informations sont reprises en boucle, comme en témoignent les affaires de burkini en Corse, à Nice, l’affaire du métro La Chapelle, etc.
Les obsessions identitaires auront des conséquences fortes et durables sur la société de demain pour Régis Meyran. Selon lui, le constat est clair : « Les obsessions identitaires traversent le corps politique, la sphère médiatique et l’espace public, et débouchent sur une vision guerrière. Elles contribuent à instaurer un climat anxiogène voire à terme, pré-fasciste ».
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