Zyriab, prince du luth et maître d’élégance
Musicien de génie, fin lettré, compositeur et poète, il est l’un des principaux fondateurs de la musique arabo-andalouse au IXe siècle. Connu pour avoir introduit le luth en Andalousie, il est aussi célèbre pour son raffinement.
Abou Al-Hassan Ali Ibn Nâfi, dit “Zyriab” (“l’oiseau noir”, en lien avec son teint foncé), naît dans le village kurde de Mossoul, en Irak, en 789. Il est le fils unique d’une famille plutôt pauvre. A Bagdad, où son père s’installe, il étudie la science, la littérature, la géographie et l’astronomie, et se révèle un brillant élève. Mais il va exceller en musique, auprès de son maître, le grand Ishaq al-Mawsili, un kurde lui aussi originaire de Mossoul, et descendant d’Ibrahim al-Mawsili, musicien de cour, lequel a fondé à Bagdad le premier conservatoire de musique arabo-musulmane. La ville est alors un centre mondial de la culture, de l’art et de la science.
A 12 ans, Zyriab éblouit déjà par son chant et son jeu au luth. A 19 ans, il fait de cet instrument, venu de Perse, un oud en lui ajoutant une cinquième corde. La notoriété du jeune homme parvient jusqu’au calife Haroun al-Rachid, qui le convoque à la cour. Séduit par sa voix d’or et son jeu brillant, ce dernier le comble de cadeaux somptueux. Fou de jalousie et de rage de voir son protégé l’éclipser, Ishaq al-Mawsili ordonne alors à Zyriab de fuir Bagdad au plus vite, avec une compensation en argent, sous peine de prison ou de mort en cas de refus.
Le jeune musicien accepte et quitte la capitale abbasside. Il passe quelques années à la cour des Aghlabides à Kairouan, en Tunisie. Après un bref séjour au Maroc, il s’établit à Cordoue en 822, où le calife omeyyade Abd al-Rahman II l’accueille de façon princière et le traite avec les plus grands honneurs. Zyriab reçoit 200 pièces d’or par mois, d’abondants dons en nature, comme des maisons, des jardins et des champs valant une fortune. Il se marie dans le luxe avec une fille de la famille royale dont il aura trois enfants. Conseiller très écouté du calife, Zyriab devient une sorte de ministre de la Culture auprès de lui. Il crée une école de musique à Cordoue, premier conservatoire d’Europe, ouvert à tous et financé par la cassette du monarque.
Il fait de Courdoue la capitale du bon goût
Outre ses travaux de musicologue qui font le succès et le raffinement de la musique arabo-andalouse, cet artiste de génie multiplie des inventions artistiques majeures : il invente des techniques poétiques et vocales telles que le “mouachah” ou le “zajal”, qui donnèrent naissance au flamenco. Il compose alors un millier de poèmes mélodiques qui seront joués et chantés de Cordoue à Carthage. Perfectionniste, il introduit à la cour le système des “noubas” – fondement de la musique andalouse –, codifie le chant, explore les musiques du Nord, les “romanceros”, et assimile le chant grégorien qu’il transporte dans le “malouf”.
En plus de la musique, Zyriab fait aussi découvrir aux Andalous le jeu de polo et les échecs. Son goût du luxe et son charisme font de lui le maître d’élégance dans la région. Il révolutionne les modes vestimentaires, les bonnes manières, la cosmétique, la coiffure, la gastronomie, l’art de la table. Cordoue, grand centre intellectuel de l’Europe d’alors, devient la capitale du bon goût. A sa mort, en 857, Zyriab laisse en héritage un véritable art de vivre andalou, dont le raffinement va rayonner en Europe et dans tout le bassin méditerranéen.
MAGAZINE OCTOBRE 2017