Tanger, « Place to be » des célébrités du monde

 Tanger, « Place to be » des célébrités du monde

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Servie par l’Histoire et la mythologie, Tanger a de tous temps exercé un pouvoir de séduction sur les artistes et les écrivains. Tour d’horizon. 


Mythes et voyageurs


A tout seigneur, tout honneur. Commençons par Hercule ou Héraclès. La mythologie raconte qu’il aurait réalisé le onzième de ses travaux : cueillir les pommes d’or du jardin des Hespérides à Lixus (Larache). Puis le demi-dieu aurait été défié par le géant Antée qu’il finit par vaincre et dont la colline du Charf abriterait le tombeau. Epuisé, Hercule remonte alors vers la pointe nord-ouest, à Tanger, où il aménage des grottes pour se reposer.


Plus près de nous, le grand voyageur Ibn Battûta (1304-1377) a aussi marqué la ville du Nord, où il repose. Né à Tanger, issu de la moyenne bourgeoisie, il y fait des études religieuses. Il quitte Tanger, en 1325, pour accomplir un pèlerinage à La Mecque, il y retournera à trois autres reprises au cours de sa vie. Ses périples durent au total trois décennies. Il parcourt une distance de 120 000 kilomètres, et explore l’équivalent de 44 Etats actuels sur trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Europe ! En 1355, Ibn Battûta consigne tous ses souvenirs dans l’ouvrage Rihla (Voyage).


 


Les écrivains européens



Tanger a ensorcelé une pléthore d’écrivains. Alexandre Dumas (1802-1870) y passe deux jours dans le cadre d’une mission en Méditerranée pour le ministère de l’Instruction publique. Il écrit un court livre Le Véloce, de Cadix à Tanger, dans lequel le ton est moqueur, voire narquois. Quant à Mark Twain (1835-1910), lorsqu’il accoste en 1867, en qualité de journaliste, il est conquis : “Nous voulions de l’étranger complet et absolu (…). Nous l’avons trouvé à Tanger. Ici, pas une chose que nous ayons vue.”



Joseph Kessel (1898-1979) séjourne à Tanger dans les années 1950 et en tire un beau roman, Au Grand Socco. Paul Morand s’y exile entre 1950 et 1953, mais ne s’y plaît guère. Jean Genet (1910-1986), lui non plus, n’apprécie pas la ville, lui préférant Larache, à 80 kilomètres. Il venait néanmoins à Tanger percevoir ses droits d’auteur à la Librairie des Colonnes. Dans son Journal du voleur, il décrit son arrivée à Tanger, une ville qu’il voit comme interlope et un trouble reflet de lui-même. L’écrivain espagnol Juan Goytisolo fuit le franquisme et vit entre Paris, Marrakech et Tanger. Il consacre à cette dernière un livre, Don Julian, qui relate le lent parcours dans la ville d’un personnage anonyme s’identifiant au comte Don Julian, le gouverneur espagnol qui, au VIIIe siècle, a trahi son pays en l’ouvrant aux troupes espagnoles. Roland Barthes, lui, séjourne au Maroc en 1969 et 1970 et se rend souvent à Tanger.


 


Paul Bowles et la Beat Generation



Avec Paul Bowles, une nouvelle page s’ouvre. L’inspirateur du mouvement de la Beat Generation pose ses valises à Tanger en 1949. Venu pour un été, il y restera jusqu’à sa mort, en 1999. Il écrit à Tanger The Sheltering Sky (Un thé au Sahara). Puis il voyage, enregistre de la musique rifaine, retranscrit des récits oraux. Et révèle au grand public les ouvrages de Mohamed Mrabet, son amant et le dernier survivant de cette période faste, et de Mohamed Choukri qu’il traduit en anglais.


Les écrivains de la Beat Generation, cette poussée bohème de l’après-guerre des Burroughs, Gysin et Ginsberg, ont véhiculé l’image d’un Tanger où sexe, haschich et douceur de vivre faisaient bon ménage. Paru en 1959, Le Festin nu, de William Burroughs, est une plongée dans l’enfer de la drogue, dans une fantasmatique interzone entre New York et Tanger.



Truman Capote arrive aussi dans la ville en 1949. C’est au côté de Paul et de Jane Bowles qu’il découvre Tanger et la dévoile dans ses Impressions de voyage. Jack Kerouac y passera quelques semaines avant d’embarquer pour Marseille.


Jusqu’en 1956, Tanger bénéficie d’un statut international. Neuf puissances garantes, plusieurs consulats et légations, trois postes, quatre devises… Les gangsters et espions anglais y côtoient travailleurs espagnols, banquiers indiens ou pakistanais, et les écrivains américains tels que Tennessee Williams, Gore Vidal ou John Hopkins…


 


Mohamed Choukri, le réalisme à l’état pur


L’auteur Mohamed Choukri (1935-2003) arrive dès 1942 à Tanger, à l’âge de 7 ans, fuyant la misère de son village natal rifain, Beni Chiguer. Jeune, il fugue et mène une existence difficile, écumant les petits boulots, mangeant dans les poubelles, côtoyant les prostituées. Il apprend à lire et à écrire à 21 ans puis devient professeur d’arabe et écrivain. Il raconte sa vie dans deux romans autobiographiques, au style brut et réaliste, Le Pain nu et Le Temps des erreurs. Aujourd’hui, une fondation Choukri existe à Tanger. C’est à Tahar Ben Jelloun que l’on doit la traduction du Pain nu. Ben Jelloun rejoint la Perle du Détroit pendant son enfance. Il évoque la ville dans Harrouda, sous les traits d’une prostituée et inspiratrice – visage pluriel d’une cité insaisissable – ou encore dans Dernier jour à Tanger, court roman sur la mort de son géniteur.


 


Les peintres


Quand Eugène Delacroix débarque au Maroc, en 1832, il accompagne une ambassade, venue rassurer le sultan Moulay Abderrahmane sur les ambitions françaises dans la région, suite à la prise d’Alger. Delacroix en profite pour sillonner le pays. Tanger l’éblouit : “C’est un lieu fait pour les peintres. Le beau y abonde… Je suis tout étourdi de ce que j’ai vu.” Il en revient avec 80 tableaux et des sujets qui l’inspireront toute sa vie.



Henri Matisse, lui, se rend à Tanger en 1912 et 1913, chaque fois en hiver. Il se retrouve cloîtré, par un temps exécrable, à l’hôtel Villa de France. Dans la chambre n° 35, improvisée en atelier, le maître du fauvisme peint de sa fenêtre d’où il a vue sur Tanger : natures mortes, paysages, puis une série de portraits. D’autres orientalistes succombent à la beauté de la lumière tangéroise, comme José Tapiro (1835-1913), reconnaissable à la précision de son trait et au chatoiement des couleurs.


 


Les inclassables…



Les Rolling Stones n’ont pas pu résister à l’appel de Tanger. Brian Jones débarque en 1968 pour découvrir les Jajoukas, des bergers nomades qui se réunissent chaque année pour jouer leur musique dans les montagnes rifaines. Le guitariste enregistre un disque qui sort après son décès, en 1971, sous le label des Stones. En 1989, Mick Jagger et les siens reviennent à Tanger et enregistrent un nouvel album, avec la chanson phare Continental Drift.


A Tanger, Malcolm Forbes (1919-1990), le PDG du magazine du même nom, est connu pour sa superbe propriété : un somptueux palais de 1 880 m2, 33 chambres luxueuses au milieu de 10 hectares de terrain. Il y collectionnait les soldats de plomb, jusqu’à 115 000 figurines ! Et s’amusait à reconstituer les grandes batailles historiques.


Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont nourri un attachement fort au Royaume. Notamment à Marrakech, où ils ont créé le jardin Majorelle. Mais aussi à Tanger : le couple s’y est fait construire la villa Mabrouka, sur les falaises dominant le port de la ville. Plus tard, Pierre Bergé a acquis la villa Léon L’Africain et a racheté en 2010 la Librairie des Colonnes.



Barbara Hutton (1912-1919), l’héritière des magasins Woolworth, est célèbre pour sa vie mondaine à Tanger, dans sa belle demeure au cœur de la médina. “C’est le paradis ici”, s’écriait celle qui se maria sept fois et se ruina dans la Perle du Détroit.


MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017