Benjamin Stora, l’historien des mémoires

 Benjamin Stora, l’historien des mémoires

Le Palais de la Porte Dorée


L’incontournable historien de la guerre d’Algérie part à la retraite en mai, mais reste président du comité d’orientation du musée national de l’Histoire de l’immigration. Retour sur un parcours hors norme


Après trente-cinq ans d’enseignement et la direction d’une vingtaine de thèses sur l’histoire de la guerre d’Algérie et de l’immigration, Benjamin Stora quitte ses fonctions d’inspecteur général de l’éducation ­nationale. Voilà cinquante-six ans que l’Algérie s’est ­libérée et a accédé à son indépendance : l’historien est celui qui a permis aux Français comme aux Algériens de faire face au refoulé de la guerre d’Algérie. Quand il soutient sa thèse dédiée au “Zaïm” Messali Hadj, il marque durablement l’historiographie du nationalisme algérien alors balbutiante.


 


Benjamin Stora documente et analyse inlassablement les trajectoires des premiers nationalistes de l’Etoile nord-africaine des années 1920, en passant par ses leaders charismatiques Messali Hadj ou Ferhat Abbas jusqu’à l’avènement du Front de libération nationale (FLN) en 1954. Ce travail colossal prend la forme d’un Dictionnaire biographique des militants nationalistes ­algériens et côtoie la biographie de Messali Hadj interdite de publication en Algérie jusqu’en 1992.


 


Bête noire de l’extrême droite


Il consacre une seconde thèse à L’histoire politique de l’immigration algérienne en France, publiée en 1992, et démontre avec force la place fondamentale de l’immigration dans l’histoire du nationalisme algérien. C’est à cette même époque que la silhouette bonhomme de l’historien et ses sourcils broussailleux commencent à apparaître régulièrement dans les médias quand l’actualité est secouée par des “retours de mémoire”.


Son ouvrage fondateur, La Gangrène et l’Oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie (1991), inaugure ses travaux sur les enjeux de la mémoire qui traverse alors notre société. Bête noire de l’extrême droite, il ne fait pas non plus l’unanimité dans certains milieux rapatriés qui lui reprochent de ne pas suffisamment prendre en compte les douleurs du départ et les exactions commises sur les pieds-noirs et les harkis. Il demeure pourtant celui qui permet le dialogue mémoriel et politique entre les deux rives, à la fois reconnu par la France et l’Algérie, comme un grand historien.


 


Celui qui murmure à l’oreille des présidents


Au fil d’une cinquantaine d’ouvrages et de dizaines de films, Benjamin Stora a su accompagner une génération de chercheurs qui, à sa suite, ont documenté les usages des images de la guerre d’Algérie (Marie Chominot), l’insoumission des soldats français (Tramor Quemeneur) ou ont produit une histoire de la fédération de France du FLN (Linda Amiri).


Celui qui, dès qu’il s’agit d’Algérie, murmure à l’oreille des présidents, de François Mitterrand à Emmanuel Macron, demeure un acteur académique et politique majeur en faveur de l’apaisement des relations franco-algériennes, et un promoteur de l’histoire de l’immigration au sein du Palais de la Porte Dorée. La portée de son héritage histo­riographique est incontestable : nul doute que son usage continuera d’irriguer les travaux des chercheurs des deux rives pour enfin un jour ­raconter une histoire commune. 


Naïma Yahi


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