Visites en série de prédicateurs fondamentalistes, l’ombre de l’Arabie Saoudite plane sur la Tunisie

 Visites en série de prédicateurs fondamentalistes, l’ombre de l’Arabie Saoudite plane sur la Tunisie

Wajdi Ghoneim (au centre)


Le Mauritanien Mazid Chenguiti, le Syrien Abderrazak Mehdi, l’Egyptien Wajdi Ghoneim, pour ne citer qu’eux… La Tunisie voit se bousculer ces derniers jours un nombre inhabituel de cheikhs étrangers. Une vague de prédicateurs des plus radicaux du monde arabo-musulman, souvent en tournée dans plusieurs villes aux quatre coins du pays.


 


L’organisation méthodique de ces visites, leur concomitance, les moyens déployés, ainsi que le peu de médiatisation qui les entoure, interpellent et posent la question des agendas motivant pareil phénomène.


Il était prévisible que dans la Tunisie post révolution, les fraîchement créées associations religieuses et coraniques, chaque jour plus nombreuses, allaient vouloir inviter ces idoles des spectateurs des chaînes TV satellitaires missionnaires, ceux-là mêmes qui voient en la Tunisie depuis des décennies une cible à évangéliser en priorité.


Cependant, une source autorisée appartenant à la société civile et suivant de près le dossier nous apprend, sous couvert d’anonymat, qu’il se joue derrière ce calendrier chargé une lutte d’influence entre certains princes saoudiens à l’image du très actif Nayef ben Abdelaziz Al Saoud d’une part, et l’émirat du Qatar à l’aura grandissante sur toute la région d’autre part.


Outre leurs vues respectives aux intérêts antagonistes sur le gâteau révolutionnaire de l’Egypte et de la Tunisie, la nomination en octobre dernier de Nayef Ben Abdel Aziz, 78 ans, comme prince héritier et ministre de l’Intérieur très conservateur ne plait pas au prince Hamad du Qatar, connu pour être proche d’Ennahdha.


Ce dernier poursuit un agenda de l’islam politique relativement plus modéré que le modèle wahhabite plus rigoriste, toujours prôné et financé par le royaume saoudien qui entretient des rapports plus tendus avec Ennahdha.  


 


Les pitreries de Wajdi Ghoneim


L’interruption surprise de la méga conférence de Wajdi Ghoneim hier dimanche constitue une probable illustration de ces luttes intestines entre deux forces œuvrant en coulisses.


Ce prédicateur parmi les plus radicaux des Frères Musulmans, reçu triomphalement, a rassemblé environ 10 000 personnes hier dimanche à la Coupole du Palais des Sports d’El Menzah qui était à la peine pour accueillir une affluence record, composée essentiellement de la base salafiste qui s’élargit de jour en jour en Tunisie (kamisses et niqabs étaient légion).   


Il est connu pour avoir notamment encouragé à l’excision, en la qualifiant de « makroumah » (bénédiction faite aux femmes) et de « chirurgie esthétique ».


Dans un autre extrait audio datant de 2008, on peut l’entendre inviter explicitement à égorger les « mourtaddin » (apostats), et à lapider jusqu’à la mort les coupables d’adultère.


L’essentiel de sa conférence de dimanche a consisté en des pitreries ultra réactionnaires, délivrées sur le style du one man show de mauvais goût et sur le mode du défoulement qu’on lui connait. 


Avant son entrée en piste, des slogans antisémites qui se banalisent ont été entonnés par une foule quasiment en transe. Ce qui fait comprendre aux démocrates (une trentaine seulement protestait à l’extérieur sous des intimidations diverses) qu’ils ne jouent pas armes égales avec une rhétorique de l’exaltation des pulsions les plus belliqueuses et primitives des peuples.


Contre toute attente, sa communication est abrégée après à peine une heure de prêche, alors que certains avaient fait 200 km en bus pour y assister.


A 1 heure et 11 minutes, il s’adonne à une défense ouverte de la polygamie. Peu après l’assistance lui tend un papier. Il y découvre, confus, qu’on l’invite à en rester là.


Embarrassé, l’un des hôtes de l’évènement ne trouve rien de mieux à invoquer qu’une bousculade fictive (nous n’en avions constatée aucune sur place) et la poignée de protestataires à l’extérieur qu’il décrit comme éléments perturbateurs, pour expliquer l’interruption.


Bien qu’invérifiables à cette heure, des ordres verticaux semblent avoir précipité la fin d’une messe salafiste qui tournait à la démonstration de force embarrassante pour le nouveau pouvoir, électoralement contre-productive pour Ennahdha, et surtout nuisible à une image du pays auprès de l’opinion internationale que le parti, sous le feu de la critique, souhaite vraisemblablement ménager.


Seif Soudani