Vers un « féminisme de droite » en Tunisie ?
Ce sont les laissées pour compte du Printemps arabe pour les uns, celles par qui un vent de révolte avait commencé à souffler dans les rues de Tunisie et d’Egypte pour les autres. La condition des femmes dans le contexte révolutionnaire de la région paraît aujourd’hui complexe, entre le retour en force du conservatisme religieux et l’émancipation par l’engagement politique. Où se trouvent dans le paysage politique tunisien éclaté actuel les idées féministes ? Sont-elles encore à gauche ? Avec l’arrivée en scène de libéraux souvent libertaires, la modernité n’est-elle pas en train de changer de camp ?
Une statistique particulièrement préoccupante a été récemment publiée par l’Instance Supérieure Indépendante des Elections : 5% seulement des têtes de listes électorales actuellement en campagne pour la Constituante sont des femmes…
L’association Egalité et Parité avait déjà tiré la sonnette d’alarme en amont dès le 2 septembre dernier devant une tendance qui se précisait déjà dès le début du dépôt des candidatures. Il s’en suit un constat d’échec évident : une volonté affichée par le nouveau code électoral d’impulser l’idée de parité dans les listes, non concrétisée s’agissant des têtes de listes, les véritables candidats propulsés sur le devant de la scène politique.
La gauche des valeurs, toujours en pointe
Véritable laboratoire d’idées à l’avant-garde des problématiques touchant aux faits de société, le Pôle Démocrate Moderniste (PDM) pouvait se permettre de lancer une expérience pilote en la matière, en s’en tenant à son objectif d’une parfaite parité : 32 listes, avec à leurs têtes 16 femmes et 16 hommes, d’autant que les enjeux électoraux sont moindres pour ce rassemblement de 4 partis, comme le font remarquer ses plus gros concurrents (PDP et FDTL en tête).
En véritable Marianne de la révolution tunisienne, Amel Belkhiria, candidate Tunis 2 du PDM déjà photographiée par le Courrier de l’Atlas, a fait il y a quelques jours une apparition remarquée dans les médias en rappelant que « lorsque la révolution égyptienne était encore en gestation, des voix s’étaient élevées contre les images en provenance de Tunisie, montrant des femmes portées sur les épaules des hommes, sous-entendant que les femmes n’avaient pas leur place là ni même dans la rue. » Elle ajoute que l’intellectuel égyptien Alaa Al Aswany répondit alors aux auteurs de ces articles : « Portez vos femmes sur vos épaules, et la révolution aura lieu ! ».
Perçu dans l’opinion comme étant une formation très à gauche, le PDM consiste dans les faits en une somme de partis de centre-gauche, avec à leur tête un parti social-démocrate, Ettajdid. L’extrême gauche tunisienne, incarnée surtout par le Parti Communiste Ouvrier Tunisien, évoque quant à elle peu les questions ayant trait à l’égalité homme-femme et au féminisme, encore absorbée par des luttes de classes et des luttes anticapitalistes et « anti impérialistes » qui la détournent des idéaux universalistes.
Afek Tounes, « le parti des femmes »
Pour trouver le deuxième parti en termes de nombre le plus important de têtes de liste femmes, c’est vers un parti libéral de centre-droit qu’il faut se tourner : Afek Tounes et son égérie et porte-parole Emna Mnif qui a volé la vedette au reste des dirigeants Afekistes.
Plus étonnant encore pour un parti étiqueté de droite économique, cette dernière fut alignée hier soir jeudi sur Nessma TV lors d’un débat sur la question de la parité face à une Dalila Msaddek de la liste indépendante Doustourna, un réseau pourtant considéré comme parmi les plus révolutionnaires, à gauche du PDM qui n’a finalement esquissé une alternative à l’ex article 1 de la Constitution que dans le sillage des juristes de Doustourna. Mnif y est paradoxalement apparue comme celle qui défendait le plus les quotas féminins et une parité encouragée par le législatif, face à une adversaire mise sur la défensive.
Nous avons interviewé Narjess Babay, membre du comité central d’Afek et candidate sur la liste Tunis 2 du parti. Celle-ci ne semble pas s’en étonner, déplorant même le fait qu’il y aurait pu y avoir davantage de femmes encore, si ce n’était leurs responsabilités professionnelles. Cependant, tout comme Emna Mnif, à la question « le parti défend-il des valeurs féministes ? », la candidate répond qu’elle ne souhaite pas vraiment s’enfermer dans des cases idéologiques.
C’est sans doute là que se trouve la nuance entre un féminisme d’une certaine façon contingent, motivé par un pragmatisme économique et social dans cette droite tunisienne économiquement libérale à l’anglo-saxonne, et un féminisme plus intrinsèque, motivé par des idéaux laïques et progressistes à gauche. Un glissement de la modernité sociétale n’en est pas moins en train de s’opérer vers la droite. Il s’arrête néanmoins aux frontières de la « droite de la droite », Ennahdha étant le grand parti ayant aligné le moins de femmes têtes de liste.
Seif Soudani