Une alternance laïque est-elle possible en Tunisie à l’avenir ?

 Une alternance laïque est-elle possible en Tunisie à l’avenir ?

En Tunisie

Pour clore cette trilogie avec l’intellectuel tunisien Hamadi Redissi, nous avons voulu savoir ce qu’il pensait des possibilités d’alternance pour la Tunisie de demain, maintenant que les islamistes d’Ennahdha ont la confortable avance électorale que l’on connait, une avance qu’ils peuvent consolider aux prochaines législatives. Toutes proportions gardées, il n’y a guère de précédant historique où un pouvoir islamiste a cédé la place à une alternance laïque, du moins dans l’Histoire récente.

L’un des piliers de toute démocratie digne de ce nom, c’est le pluralisme politique. Et qui dit pluralisme dit alternance à la tête du pouvoir. Or, en Iran (pays donné en exemple de démocratie par Rached Ghannouchi) où il existe une opposition laïque qui a dû se résoudre à l’exil, cela fait 32 ans que le régime des mollahs prospère et prétend être démocrate puisque c’est là « la volonté du peuple ».

Dans les royaumes du Golfe, toute velléité d’opposition autre que confessionnellement sunnite a été matée, parfois avec le concours des wahhabites saoudiens. Bien plus modéré et même laïque, l’islam politique de l’AKP est au pouvoir en Turquie depuis bientôt 10 ans et a enregistré un score record aux dernières élections législatives turques qui donnent un troisième mandat à ses dirigeants. Le bus de campagne d’Erdogan affichait même « AKP jusqu’en 2023 ». Des voix s’élèvent déjà pour dénoncer le virage autoritaire que semble prendre le pouvoir islamo-conservateur.

Ennahdha se réclamant (à tort selon l’intellectuel) de l’AKP, nous avons interrogé Hamadi Redissi sur les chances pour la Tunisie de voir un jour un autre parti succéder à Ennahdha dans n’importe quel scrutin futur, sachant que ce parti lorgne déjà sur les ministères de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Culture. Ce qui laisse présager d’une volonté de la mise en place d’un projet de société de longue haleine.

En Tunisie, même si elles sont divisées et affaiblies, les forces progressistes restent majoritaires au jour d’aujourd’hui. Et la vitalité de la société civile permet d’entretenir l’espoir d’une opposition capable de renverser la dynamique actuelle.

Si cela se concrétise à l’avenir, cela normaliserait l’islam politique en une force conservatrice à l’image des Chrétiens démocrates occidentaux, une formation politique parmi d’autres, jouant parfaitement le jeu démocratique, à l’abri des tentations totalitaires.

LCDA : Pensez-vous qu’il puisse y avoir une alternance autre qu’islamiste à moyen ou long terme, maintenant que les islamistes sont la première force à la Constituante, sachant que beaucoup pensent que la Tunisie peut être le premier pays de l’Histoire contemporaine qui verra une alternance laïque succéder à un pouvoir islamiste ?

Hamadi Redissi : Je l’espère ! Cela est possible. Je l’espère même si j’ai pu constater la réaction des islamistes bien avant les résultats du premier scrutin libre : ils avaient déjà menacé de faire descendre les gens dans la rue si jamais ils ne gagnaient pas aussi largement qu’ils ne le prévoyaient. La plupart des malversations et irrégularités électorales (observées notamment par l’ATIDE) ont été le fait des islamistes.

Par ailleurs, l’un des principaux points sur lesquels Hamadi Jebali (numéro 2 d’Ennahdha) a insisté à sa première sortie médiatique post élections, c’est de réviser le code électoral, du moins de le réajuster dans certaines de ses dispositions. Ils se préparent donc déjà à la prochaine échéance.

Il faudra d’abord que les prochaines élections continuent à être supervisées par la haute Instance indépendante pour les élections, à laquelle il faudra donner beaucoup plus de moyens, à la fois juridiques, économiques et techniques, pour qu’elle puisse réaliser sa mission dans les meilleures conditions.

Je pense qu’il peut y avoir alternance pour plusieurs raisons. Premièrement, les islamistes ne pourront pas résoudre les problèmes économiques à court terme en Tunisie. Or, les élections sont programmées dans une année, à moins de renvoyer sine die les élections, auquel cas ce serait un putsch ou un coup d’état légal, par prolongation indéfinie dans le temps de leur mandat.

Deuxièmement, le camp laïc et moderniste est fort en Tunisie : n’oublions pas qu’il représente 60% de ceux qui n’ont pas voté Ennahdha. Sans compter que certains de ceux qui ont voté Ennahdha, notamment les classes moyennes et les plus défavorisées comptant des chômeurs, seront déçus par la gestion d’Ennahdha. Idem pour les hommes et les femmes qui seront vraisemblablement frustrés par des attentes et des promesses non tenues.

Seulement, tout dépend de savoir si les islamistes vont jouer à la régulière les règles du jeu, ou bien s’ils vont ruser et essayer de garder le pouvoir par des méthodes non démocratiques. Dans ce cas, la Tunisie aurait alors changé une dictature policière par une dictature religieuse mais douce.

Propos recueillis par Seif Soudani