Un non-voyant contre les non-dits
Aziz Zogaghi – Comédien, ce jeune aveugle est le héros de la 1re saison du site “J’en crois pas mes yeux”. Douze sketchs pour créer du lien et rire des quiproquos entre voyants et non-voyants. Par Yann Barte
C’est souvent comique, un voyant ! Aziz Zogaghi, comédien aveugle, s’amuse encore des comportements absurdes des gens qui voient. “Dans le métro, par exemple, j’attends que tout le monde sorte du wagon avant de descendre moi-même. Les gens pensent alors que j’espère de l’aide et chopent ma canne : mon principal indicateur. C’est comme si on vous disait ‘avance’ en vous mettant la main sur les yeux”, explique Aziz dans un éclat de rire.
Ce type de situations, le comédien en rencontre tous les jours. A la longue, c’est vrai, ça use un peu… Mais Aziz pardonne volontiers la maladresse, si toutefois les gens acceptent de rester eux-mêmes.
Ce sont ces situations, présentées sous forme scénarisée, qui ont séduit le jeune comédien, candidat l’été dernier à jencroispasmesyeux.com (JCPMY). Après un casting, Aziz, par ailleurs technicien au CNRS, est finalement sélectionné. “J’avais très envie de ce rôle. Je m’y reconnaissais complètement.” Douze sketchs décrivent des situations aussi banales que cocasses : une personne qui se croit obligée de brailler à l’oreille d’un aveugle (“Pour qu’il voie mieux ?”) ; une commerçante qui se refuse à parler directement à un non-voyant : “Une situation fréquente”, explique Aziz, “comme si on était inapte à comprendre la question qu’on nous pose”.
Face à l’angoisse, et quelquefois aussi à la bêtise des voyants, Aziz répond souvent avec sarcasme, pour éviter une repartie plus brutale, parfois tentante. “J’aime les personnes qui restent naturelles, même si elles sont maladroites. Mais rien n’est plus embarrassant que le malaise de l’autre, les silences et ce mystère qui entoure le handicap…”
Clichés bien trempés
Les personnes aveugles liraient toutes le braille, seraient de supers coups au lit et n’entendraient bien que lorsqu’on leur crie dessus “parce qu’il faut bien compenser”…
A travers des clips Web humoristiques, le site JCPMY, créé par les deux entrepreneurs Jérôme Adam et Guillaume Buffet, passe ainsi en revue quelques clichés bien trempés. De courts textes, plus didactiques, et bien plus dédramatisants que moralisateurs, nous aident à mieux communiquer. Les voyants ont-ils conscience qu’au restaurant les aveugles choisissent souvent le premier plat du menu pour ne pas importuner les autres ? Ont-ils conscience de les faire flipper inutilement en hurlant “attention !” à chacun de leurs pas ? “Les personnes qui me voient arriver en trombe sur un escalier me crient toujours ‘attention !’ comme si j’allais me casser la gueule, alors que je connais parfaitement l’endroit”, raconte Aziz, qui vit ainsi des frayeurs tous les jours.
Humour et handicap
Mais le comédien se réjouit de rencontrer aussi des gens formidables de gentillesse ou de naïveté. Et tant pis si leurs indications sont rarement précises : “Attention, une marche.” Ok, mais elle est comment, montante ou descendante ? “Au bout vous allez à droite.” Au bout de quoi ?… “On est vraiment dans un monde de visuel !” résume Aziz. Le plus pénible : “La pitié, et tous ceux qui mettent en avant la religion. Au Maroc, c’est encore plus pesant.”
Sans parler, là-bas, de cette infantilisation des personnes handicapées : “La Banque populaire a tout simplement refusé de m’ouvrir un compte sans tuteur, sous prétexte que je pouvais me faire arnaquer. Mais mon tuteur peut aussi m’arnaquer !”
Aziz a toujours voulu être mêlé au monde des voyants, il hait, plus que tout, les ghettos. Il a souvent aussi testé ses limites, comme foncer en moto sur le boulevard Gandhi de Casablanca, un matin très tôt. Plus raisonnables, les aveugles ? JCPMY correspond à ces nouvelles campagnes de sensibilisation, plus interactives, moins compassionnelles. L’humour dédramatise et rapproche. C’est tout le projet de la web-série. La seconde saison déboule bientôt, sur un nouveau handicap, moteur cette fois. Avec cette phrase de Pierre Desproges en exergue sur le site : “Quand les aveugles lisent en braillant, au risque de réveiller les sourds.”