Un livre-événement sur les vrais enjeux des révolutions arabes
Ce jeudi 6 octobre paraît aux éditions Gallimard, un livre-événement au sujet du monde arabe. C’est probablement la réflexion la plus pertinente et le plus aboutie publiée sur les enjeux réels du printemps arabe, et des moments décisifs que vivent ces pays.
Ce jeudi 6 octobre paraît aux éditions Gallimard, un livre-événement au sujet du monde arabe. C’est probablement la réflexion la plus pertinente et le plus aboutie publiée sur les enjeux réels du printemps arabe, et des moments décisifs que vivent ces pays.
L’auteur est le tunisien Ali Mezghani, professeur agrégé de droit privé à La Sorbonne où il enseigne le droit des pays arabes.
Et c’est justement là qu’intervient sa réflexion. L’essai est intitulé « L’Etat inachevé– La question du droit dans les pays arabes ». Selon le mot d’un autre éminent penseur tunisien, Ali Mezghani a fait ici le tour de la question d’une manière définitive. Une question, celle du droit, qui est centrale dans le devenir des sociétés arabes.
Les pays arabes qui ont vécu la révolution, tout comme les autres d’ailleurs, ne peuvent pas échapper aux interrogations suivantes :
-quel est l’Etat qu’ils veulent, qu’ils doivent construire ?
-le monde arabe restera-t-il une exception en matière de démocratisation ?
-quelle est la place de la religion dans ces sociétés ?
D’un pays à l’autre et depuis de nombreux siècles, ces sociétés vivent un conflit de normativité entre la charia d’un côté et de l’autre, le droit ; ou si l’on veut, entre le droit ancien et le droit moderne. Les deux extrêmes sont l’Arabie saoudite et la Tunisie. Dans ce dernier pays, seule une partie de la sphère privée est encore régie par un droit d’origine islamique.
L’auteur fait d’intéressants développements sur la charia et plus généralement l’évolution du droit musulman depuis les temps fondateurs du Prophète. Il explique remarquablement bien, comme l’avait fait Mohamed Arkoun par exemple, ce phénomène de clôture de l’ijtihad et de la réflexion. A partir du 10ème siècle, une orthodoxie musulmane est arrêtée, figée et sera verrouillée ultérieurement, un peu partout, par des alliances entre pouvoir politique et oulémas. Trois à quatre siècles après la mort du prophète, il n’y aura plus d’ijtihad, de réflexion vivante et autonome ; les musulmans vont se contenter, pour régir leur vie et comprendre leur religion, des travaux des anciens, qu’il s’agira tout le temps de reproduire et d’expliquer. Mais sans aller au-delà.
Le pire, c’est que pour accéder à la source qui est censée être la plus élevée et la plus précieuse, c’est-à-dire le coran, les lecteurs, interprètes, exégètes, juristes, le feront désormais non pas directement mais en passant par les interprétations définitives des anciens. La société arabo musulmane sacralise son passé et les hommes du passé. La société se fige. Et le « droit » qui la régit également. De siècle en siècle, les normes sont puisées dans un contexte dépassé, celui qui prévalait au moment de la révélation.
Parallèlement, à partir du 19ème siècle, ces sociétés vont se poser des questions sur elles-mêmes, et entrer en contact avec des sociétés européennes qui ont progressé dans les domaines des sciences humaines, du droit, de la construction d’Etats modernes.
Le conflit de normativité entre droit ancien et droit moderne va alors connaître diverses fortunes selon les époques et les lieux.
A supposer que les sociétés arabo-musulmanes cherchent, au sortir des révolutions par exemple, à construire des systèmes démocratiques et donc un Etat de droit, cela suppose un certain nombre de pré requis, que l’auteur liste, explique et analyse.
Ce qu’est un Etat de droit :
-Un Etat dont la « puissance est contrôlée », grâce à une constitution qui sépare les pouvoirs; c’est « par la constitution que la société devient un corps politique et s’émancipe du pouvoir politique ».
-L’Etat de droit règle les problèmes, les différends, d’une manière pacifique. « La puissance de l’Etat est juridique, elle est limitée par le droit ».
-l’Etat de droit signifie « hiérarchie des normes, séparation des pouvoirs, contrôle judiciaire, égalité citoyenne, respect des droits fondamentaux, des libertés civiles et politiques ».
-Dans un Etat de droit démocratique, « la loi ne peut pas avoir n’importe contenu ».
-Il n’y a pas d’Etat de droit sans « autonomie de la loi, souveraineté législative du peuple ». Le peuple est souverain et source finale du droit. Le droit dispose d’une autonomie totale. Il est vivant, s’adapte aux contextes et aux évolutions.
-L’Etat de droit est «le lieu où les tensions se résolvent, ce par quoi la nation existe et se fait connaître ».
-cet Etat est « inséparable du droit ; ce dernier est nécessaire aux libertés fondamentales et à la démocratie » ;
La charia a-t-elle sa place dans ce système ? non, évidemment. Car pour elle, les sources du droit ne peuvent être que le coran, la sunna, le consensus et l’analogie. Ces deux derniers registres sont très limités puisqu’au final, ils consistent à revenir au savoir des anciens.
La conclusion de cet essai qui fera date, c’est que « le véritable enjeu des révolutions arabes, c’est leur capacité à clarifier leur rapport à la modernité et à redéfinir le statut de leur passé ».
N. E.